© Theo Mercier, Erwan Fichou & Jeremy Piningre
Dernier souvenir de notre périple au Printemps de Bourges. Nous avons passé un moment avec le duo noir Kompromat, nouveau projet techno de la chanteuse Rebeka Warrior et du producteur électronique Vitalic.
Pour les plus ardus de dark-techno, peut-être vous souvenez-vous de ce titre sorti en 2016, La mort sur le dancefloor, un hymne à la fête noire qui avait mis tout le monde d’accord dans les entrailles des clubs souterrains. Ce titre, c’était le fruit empoisonné d’une collaboration entre deux artistes bien connus de la scène électronique française : la chanteuse Julia Delanoë aka Rebeka Warrior (Sexy Sushi, Mansfield TYA) et le producteur Pascal Arbez-Nicolas aka Vitalic. Trois ans après, les deux compères se retrouvent pour former le duo Kompromat, un projet techno qui tabasse chanté dans la langue de Goethe avec quelques touches de français. L’aventure commence avec un premier morceau en guise de “tube”, Niemand , un titre et un clip qui avait annoncé la couleur : Kompromat sera noir. Dans la foulée, un album, Traum und Existenz (Rêves et existences), comme une vague de froid sur le paysage électronique français un peu trop sage. En écoutant l’album, on s’attendait à rencontrer un duo emo-dark qui n’a de yeux que pour la mort et les cendres. Loupé. Les deux artistes, complices et taquins sont tous sauf ombres et nous présentent leur album comme un puits noir transpercé d’une lumière transcendante. Un album d’EBM et de post-punk digéré qui marque une pause dans leurs carrières respectives. Rencontre avec un groupe qui nous parle de Céline Dion quand on leur parle de la mort.
Bonjour Kompromat, vous entamez tout juste votre tournée avec ce nouveau projet. Comment vous vous sentez ?
Julia : On a fait des festivals à l’étranger, au Portugal et aux Pays-Bas. Et on a fait le festival Panorama aussi. Puis notre première date solo à Paris. On prend nos marques. Au Trabendo c’était génial.
Pascal : Les gens chantaient même en allemand. (rires)
Julia : C’est notre plus grande fierté d’arriver à faire chanter le public français en allemand.
Je suis un peu novice en russe, je suis allée voir la traduction du nom du groupe, j’ai trouvé “Informations compromettantes recueillies contre des personnes susceptibles d’être soumises à un chantage, pour des raisons essentiellement politiques” ; alors, c’est engagé Kompromat ?
P : Oui et non. Ce sont des choses qui me touchent personnellement mais ce n’est pas le but du groupe. Le message est différent.
J : Le nom c’est surtout parce que Pascal est russophone donc il a souvent utilisé le russe pour ses noms de scènes : Vitalic, Dima. C’est Pascal qui l’a choisi, j’ai bien accroché au nom.
P : Elle est très paresseuse.
J : Il m’aurait dit “jambon’ j’aurais dit oui. (rires)
Toi, Julia, tu t’es toujours beaucoup engagée, je pense notamment à tes projets multiples (Sexy Sushi, Mansfield TYA, Rebekka Warrior), ça traverse toute ton œuvre. Puis tu as récemment signé le manifeste contre le sexisme dans la musique. Est-ce que c’est important pour vous de vous engager à travers votre art ?
J : Je ne suis pas engagée frontalement. Je ne suis pas politisée musicalement même si on est toujours un un peu obligé de l’être dans cette société. On subit les conséquences de certaines choses et on doit en parler et défendre des valeurs en tant qu’artiste. Alors oui, ça peut faire bouger les choses.
P : Tu crois toi ? Je sais pas trop. Moi je fais passer des messages filtrés, c’est jamais frontal. Ce n’est pas mon rôle.
J : Passer un message direct ça ne m’intéresse pas. Dans l’ensemble d’un projet, on voit bien qu’il y a des valeurs. Et pour le manifeste que j’ai signé, c’est parce que les femmes sont en sous-représentation dans tous les milieux mais pas seulement dans la musique. C’est pour qu’il y ai plus de programmatrices, plus d’artistes femmes…
P : Elles sont quand même moins bonnes les programmatrices femmes.. (rires)
J : Tu sais que cette réflexion est tombée dans les commentaires du manifeste ? Un abruti qui a lancé : “Mais les djettes sont moins bonnes, elles savent pas caler des disques”. Mais à quelle époque vit-on ?
Je vois un peu votre album comme une danse macabre et mentale, souvent on dit “danser pour oublier“, quand j’écoute Kompromat, ça remue pleins de questions, de troubles, c’est plutôt “danser pour panser/penser“. Comment vous le voyez cet album vous ?
P : Souvent, on dit qu’il faut deux ans pour analyser son disque, moi je suis plutôt d’accord avec ça.
J : On analyse aussi ce qu’on a fait en parlant avec les journalistes. Mais je suis assez d’accord sur le fait que c’est un album assez introspectif dans le sens où l’on espère que ça va remuer des choses.
P : Mais ce n’est pas un album prise de tête pour autant. Il y’a quelque chose de très dansant, de très lumineux. Quand les gens disent “ça tabasse” ou “c’est très sombre”, c’est qu’on se réfère trop à Vitalic ou à Rebekka Warrior. Ce n’est pas complètement dark, ni hédoniste, il y a un côté éclipse dans Kompromat.
J : Mais comme ces mouvements musicaux qu’on aime bien, l’EBM (l’electro body music, ndlr) ou la cold-wave.
P : C’est aussi une esthétique qu’on a repris. Mais tu vois par exemple, De mon âme à ton âme, c’est un slow, c’est carrément une balade.
Et le choix de l’allemand qui accentue ce côté noir existentialiste, c’était une évidence cette langue ?
P : Au départ, c’était juste une piste pour tester des choses puis au fur et à mesure la langue s’est imposée d’elle même et une fois qu’on a écrit le premier morceau, c’était difficile de s’en détacher.
J : Moi j’ai quand même essayé de chanter en anglais parce que je me suis dis que ça allait nous ouvrir plus de portes. Et en fait, ça marchait pas du tout. Au final, j’étais contente qu’on défende une langue comme l’allemand qui ne se chante pas beaucoup.
P : Moi ma langue préférée c’est le néerlandais. J’adorerais le parler.
J : Bon, je vais me mettre au boulot dès maintenant alors. (rires)
Un album, une langue ?
J : Ah merde, on va devenir un groupe à concept. (rires)
Il y a un truc quasi-mystique dans votre album, que ce soit dans les paroles (De mon âme à ton âme), ou dans la musicalité (les cloches du début dans Le goût des cendres), c’est quoi votre rapport avec le sacré ?
J : On crée un peu notre sacré à nous. Il y’a une certaine sacralité à faire de la musique et de la poésie aujourd’hui. C’était volontaire. Je me souviens, pour l’intro de Possession, j’ai fait chanter des enfants parce que j’habitais dans un endroit où il y avait pas mal d’enfants.
P : Des enfants choqués à qui il va falloir des années de thérapie pour une petite chanson de trois minutes.
J : Ensuite je t’ai envoyé la piste puis j’ai réécouté le morceau et ça m’a collé de frissons, j’avais les larmes aux yeux. C’est vrai que c’est assez mystique, c’est vraiment une incantation. Ce morceau, je l’ai beaucoup écouté jusqu’à m’en rendre dingue.
Je trouve qu’il y’a une obsession assez prononcée pour le sombre et le morbide à notre époque, je pense par exemple à Mourir au Club de Bagarre ou encore à Miss Kittin qui fait des choses assez dark, vous aussi ça vous fascine la mort ?
P : Moi, ça me fascine pas trop. (rires)
J : Après c’est vrai que notre musique est pas joyeuse, on avait pas envie de dire “Put your hands up”, on voulait dire des vrais trucs et dans ces choses là, on parle de la vie et on parle de la mort. Ça nous intéressait pas de parler de choses futiles.
P : C’est un thème qui est venu vers nous instinctivement. On savait ce qu’on ne voulait pas faire et on ne savait pas vraiment ce qu’on voulait faire mais en tout cas, on voulait mettre du sens.
J : Quand j’écoute tout ce qu’il se passe en musique, il y’a 90 % des sujets qui ne m’intéressent pas. Il y a toute la catégorie “Je vais te baiser” qui représente déjà 87 %. Le reste c’est “J’ai de la thune, j’ai acheté un sac à main”. La chanson française du genre (en chantant) “Elle m’a quittée..” ça m’intéresse pas non plus.
P : Moi j’aime bien ça. J’aime bien Dominique A, Bertrand Belin…
J : Bertrand Belin il parle de vrais trucs. C’est pas Christophe Maé. Donc voilà, il y avait tous ces sujets à bannir. Mais on parle de pleins d’autres choses, il y a pleins de métaphores qui parlent des montagnes, de l’univers en entier. C’est plus cosmique que morbide.
Pour Kompromat, dans quoi vous avez puisé musicalement, artistiquement ?
J : Beaucoup de littérature. Beaucoup d’EBM digéré.
P : C’est un album d’oppostion qui marque un arrêt dans nos projets individuels. Mais aussi un album en réaction à ce qu’il se passe en ce moment dans la musique. Je suis retournée vers une période plus rock et l’EBM c’est du rock avec des synthés.
J : On a beaucoup écouté Liaisons dangereuses. Quand on composait l’album, on a écouté pas mal de truc en allemand et puis j’ai fait pas mal de lectures.
Tu peux nous conseiller un livre à lire en écoutant Kompromat ?
J : Il faut lire La montagne magique de Thomas Mann. C’est très cosmique. Tout se passe dans un sanatorium en haut d’une montagne et le mec passe 700 pages assit dans une chaise longue (rires).
Ah oui, c’est vraiment conceptuel Kompromat !
J : On est entre les nouveaux chemins de la philosophie et la fête de la saucisse. (rires)
A part l’album de Kompromat, c’est quoi le meilleur morceau pour mourir sur le dancefloor ?
J : Moi je voulais que personne meurt sur le dancefloor. Je voulais que la mort danse sur le dancefloor. Faire une queuleuleu avec Satanas.
P : Moi je veux mourir sur Sous le vent de Garou et Céline.
J : Il a encore cité Céline Dion. J’en peux plus..
Comment vous allez faire vivre l’album sur scène ?
P : Il y a beaucoup de choses qui clignotent.
J : A la base, je ne voulais pas de scénographie et Pascal m’a convaincu, maintenant j’en suis hyper fan. Il y a beaucoup de lasers !
Kompromat en concert :
- 26 mai au Rush Festival (76)
- 1 juin aux Nuits Sonores (69)
- 28 juin au Garorock (47)
- 5 juillet aux Eurockéennes de Belfort (90)
- 14 juillet au Dour Festival (Belgique)
- 19 juillet aux Vieilles Charrues (29)
- 23 juillet au Paleo Festival (12)
- 23 août à Rock en Seine (92)