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Rencontre avec Catastrophe – « La poésie est partout, elle a plusieurs visages »

 Photo : © Jacques-Henri Heim

A l’occasion du Printemps de Bourges, nous avons échangé quelques mots avec le groupe parisien Catastrophe juste après leur passage au Palais Jacques Cœur. Poésie, performance, théâtre, musique : rencontre avec des humains sensibles qui subliment le réel.

«  Nous ne saurons jamais comment vivre mais nous y mettrons toutes nos forces  » ; Catastrophe ce n’est pas seulement de la musique. C’est attraper la beauté de l’instant, saisir la poésie partout, même dans l’invisible. Un groupe qui demande à son auditoire d’écrire ses peurs sur des morceaux de papiers pour ensuite les manger sous leurs yeux. Un groupe qui demande à des inconnus de s’échanger des secrets dans une cabine au beau milieu d’un terrain vague. En 2017, ils sortaient leur premier album, La Nuit est encore jeune, sous le label étincelant Tricatel (Bertrand Burgalat) accompagné d’un livre-manifeste qui esquissa les contours de leur projet. Après l’averse, nous les retrouvons dans leur costumes pastel colorés pour tenter de repousser les nuages en abordant avec eux leur façon d’appréhender la vie à travers leur projet. Catastrophe est une tempête qui fait resurgir en nous les émotions qu’on croyait éteintes.

Catastrophe  : « Bouleversement effroyable et brusque.  », voilà la première définition sur laquelle je suis tombée quand j’ai pianoté ce mot sur internet.  Et c’est étrange, parce que je ne vois rien de tragique dans votre groupe, je vois plutôt une lumière aveuglante, un manifeste du moment présent. A cet instant où je vous parle, qui est Catastrophe  ?

Catastrophe c’est un monstre à six têtes protéiformes et à 153 tenues vestimentaires possibles. C’est un monstre qui fait de la musique, qui écrit des textes, qui danse, qui se promène dans la rue, qui aime le silence, les mèches de cheveux et le petit lac qu’on a dernière nous. Un monstre qui aimerait bien ne rien s’interdire, toucher à tout, rester le plus vivant possible dans ce qu’il fait et donner naissance à des idées qu’il trouve belles et excitantes.

Parfois, je me dis que la vie est cocasse. La dernière fois que j’ai assisté à l’un de vos concerts, c’était à Lyon et la péniche sur laquelle vous deviez jouer était inondée, le concert a été déplacé ailleurs.  Et me voilà avec vous aujourd’hui peu de temps après qu’une Grande catastrophe se soit produite, celle de Notre Dame. C’est magique non  ? Ça vous arrive souvent ce genre de coïncidences ?

Ça arrive souvent oui. Par exemple, tout à l’heure il y en a eu une en simultanée pendant le concert. La mort de quelqu’un annoncée. On jouait avec cette pensée en tête. A Hyères aussi, pour le MIDI Festival, on a fait un concert alors que tous les autres concerts étaient annulés à cause de la pluie et le dernier concert qui était encore possible c’était le notre. On a joué sous des trombes d’eau. Il y en a eu pleins de catastrophes comme ça. Ce genre de choses nous rendent service. Les gens se souviennent de notre concert, un moment spécial se crée. On n’a pas peur des catastrophes, au contraire, on veut les invoquer. La catastrophe c’est un peu ce qu’on attendait pas et ce qu’on ne pouvait pas prévoir, c’est ça qui est intéressant. Ce genre d’événement nous permettent d’être dans une tension et dans une attention beaucoup plus importante. Ça nous ramène à l’ici et maintenant.

A vous lire, à vous écouter, la poésie est partout. Mais j’ai comme l’impression que cette poésie se perd de plus en plus, comme si les gens avaient peur de la regarder dans les yeux, peur de la dire tout haut. Quelle place ont les mots dans votre vie  ?

C’est sûr que la poésie n’est pas très à la mode. Mais à mon avis, il y a pleins de gens qui ont un rapport à la poésie et un rapport poétique au monde mais qui n’emploient pas le mot et s’en méfient. Ce mot-là c’est comme un repoussoir. Il faut prendre des formes détournées pour en parler sans que les gens s’en rendent compte, c’est un peu ce qu’on essaye de faire. Ce mot fait peur et quand on l’utilise, ce qui est derrière n’est souvent pas pertinent. On évite de dire qu’on est des poètes. La poésie naît dans un train, quand quelqu’un a le visage collé à la vitre et qu’il regarde le paysage défiler. Il est dans un état poétique. Mais bon, cela va sûrement changer, tout est affaire de cycle. C’est un besoin fondamental donc elle va être amener à réapparaître sous une autre forme. La poésie est partout, elle a plusieurs visages.

(Un portable vibre)

Tu vois, là, par exemple, parce que le portable d’Arthur vient de vibrer, ça me fait penser à quand on s’extasie du correcteur automatique qui invente des mots à la place de ceux qu’on voulait utiliser, c’est de la poésie. Même les gens les plus réfractaires à l’idée de poésie s’en étonnent, s’en émerveillent.

C’est peut être simplement l’émerveillement la poésie alors ?

Oui, l’émerveillement, la surprise et la contemplation. Tu vois en ce moment on fait la communication pour un morceau qu’on a écrit avec des enfant. On colle les affiches dans les rues sous formes de petites annonces avec des papiers à découper. Ce genre de geste peut être poétique parce que c’est en décalage, c’est absurde, c’est une façon nouvelle de communiquer une chanson.

” Pareils à des ballons déjà partis trop haut, nous ne pouvons plus redescendre : dans un ciel sans repères, nous cherchons les nouvelles couleurs. Le monde est une pâte à modeler, pas cette masse inerte et triste pour laquelle il passe. Des futurs multicolores nous attendent. N’ayez pas peur, il n’y a plus rien à perdre.”

– Extrait de la tribune “Puisque tout est finis, tout est permis” par le Collectif Catastrophe

Musicalement, chez Catastrophe on flirte avec les ambiances et les genres, en restant tout de même toujours dans une lignée assez pop. Vous pouvez me parler des grandes influences pour le groupe ?

Musicalement, on est très influencé par la musique nord-américaine, la musique soul, les choeurs, le gospel. Mais aussi par des groupes comme Talking Heads ou David Byrn qui quand ils montent sur scène ne font pas qu’un concert, ils créent vraiment une oeuvre en tant que telle. On aime aussi beaucoup le rap français pour sa sincérité et sa réalité brute. Steve Reich, Tank & The Bangas qui me semble assez proche de ce que fait Catastrophe parce que c’est très difficile de réaliser ce qu’ils font tant qu’on ne les a pas vu sur scène, c’est très axé sur le moment.

Dernièrement, vous avez entrepris un projet pop intitulé «  Bruce Lee  » avec 80 bambins des quartiers nord de Marseille, vous pouvez me raconter cette folle aventure  ?

En fait, on a été appelé par un dispositif qui s’appelle “Franco-éduc”, c’est les Francofolies de la Rochelle qui organisent des ateliers avec des artistes dans des écoles. Nous, on est allé dans dans les quartiers nord de Marseille, on a eu la chance de partir une semaine. Pierre avait préparé des matériaux musicaux et on a écrit des textes avec les enfants, on a chanté et au final on a enregistré le morceau tous ensemble. Ce qui était assez excitant, c’est le fait qu’on ne s’attendait pas du tout à faire quelque chose d’aussi sérieux, à sortir un morceau “pour de vrai”. Et on s’est rendus compte que le sérieux de l’existence commençait dès le CM1. On ne fait pas les choses pour de faux. On a essayé de leur dire qu’on allait mener un projet pop de A à Z et l’idée que le morceau puisse finir sur YouTube les a beaucoup excité. Bon, ils veulent 1 million de vues, nous n’en sommes pas encore là (rires). On a vraiment conçu le projet comme une collaboration, comme un featuring, on n’avait pas envie de faire quelque chose de faux sous prétexte que ce sont des enfants.

Justement, je trouve que ce n’est pas étonnant de votre part, un projet avec des enfants. Chez Catastrophe, on retrouve un peu cette insouciance et cette légèreté enfantine, je pense notamment au morceau Vertigo où l’on peut entendre des choeurs d’enfants mais aussi dans l’intégralité de vos oeuvres.

Je pense que l’enfance c’est une source d’inspiration infinie pour nous dans toutes ses déclinaisons : le côté brut, réaliste, absurde voir même violent. Parfois, les enfants ont une brutalité et une dureté, un côté cru dans ce qu’ils disent, ils sont assez libres en fait. Ils ont une capacité d’émerveillement et de questionnement immense. Les enfants sont des êtres assez radicaux dans ce qu’ils font. Et ce qui fait partie des grandes tristesses c’est de voir des enfants devenir adultes trop tôt, qui se mettent tout de suite dans un cadre alors qu’ils ont le temps. La fraîcheur de l’enfance c’est un état qu’on recherche constamment. Quand on a fait ce projet, ça nous crevait d’être au contact d’autant d’énergie et d’un autre côté ça nous vivifiait de voir à quel point ils n’étaient pas endormis.

Tout à l’heure, vous avez joué au Palais Jacques Cœur, vous pouvez me livrer un souvenir à chaud de ce spectacle ?

C’est déjà un très bon souvenir. C’était assez agréable parce qu’il y avait un beau piano à queue, une qualité d’écoute et une certaine présence, le lieu était assez sacré. On a essayé beaucoup de choses qu’on n’avait jamais fait avant. Il y’a même une dame qui a pleuré sur Pussy, ce qui est assez inhabituel. Comme quoi, selon les instruments qu’il y’a sur scène, les émotions différent.

Pour finir, est-ce que vous pouvez me confier un secret que je ne garderai pas pour moi ?

On a tous le même tatouage. Mais on ne te dira pas ni où il est, ni ce qu’il représente. (rires)

Fervente prêtresse de la pop française et de tout ce qui s'écoute avec le coeur.

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