Tous les 15 jours, Maze vous offre un tour d’horizon des dernières sorties musicales. Voici douze disques qui ont (plus ou moins) marqués nos rédacteurs ces deux dernières semaines.
Mac DeMarco – Here Comes The Cowboy
Simple, lent et mélancolique, le cinquième album du canadien Mac DeMarco est une digne extension de son précédent projet, This Old Dog, sorti en 2017. Here Come The Cowboy a été écrit et composé très rapidement, se voulant imparfait. Le “Pepperoni Playboy” propose des textes plus matures que ses premiers travaux et montre que son personnage s’est assagi, mais aussi fatigué de la réputation qu’il s’est construit. Ainsi, grâce à l’utilisation d’une multitude d’instruments, Mac DeMarco nous entraîne dans une longue balade, au tempo lent, mais pas ennuyante. Les plaisirs sont variés et homogènes. Nobody, quasiment entièrement acoustique, amorce réellement l’album qui se veut simple. On The Square et Heart to Heart sont particulièrement réussis, rappelant l’excellente One More Love Song du précédent album. Certains titres sont surprenants, tel que Choo Choo qui amène un coup de “peps” à l’ensemble. N’oublions pas K, chanson d’amour nostalgique, écrite pour Kira, la petite amie du chanteur. Finalement, que l’on apprécie ou non la direction musicale dans laquelle Mac DeMarco s’engage, force est de constater que le chanteur nous propose un album abouti, qui reste cependant en deçà de ses précédents travaux.
Coups de cœur : On The Square, Heart to Heart, Choo Choo, K
Sortie le 10 mai
Pierre-Louis Herrouin
Tyler The Creator – IGOR
« N’entrez pas dans ça en attendant un album de rap. N’attendez aucun album. Juste, allez-y, sautez dedans ». C’est l’événement de la semaine, Tyler The Creator à lâché son cinquième album chez Columbia Records, IGOR, un ovni alternatif qui met à l’honneur le hip-hop et les sonorités électroniques. Pas de doute la réussite est au rendez-vous pour cet héritier de Flower Boy sorti en 2017 (déjà ?) : voix féminines souls, rythmiques frénétiques, et toujours la voix profonde du rappeur Tyler Okonma. L’artiste américain convoque ici des empreintes relatives à l’amour, indiquant des craintes, des nouveautés, des bouleversements. La musique entre en collision avec nos sens, frappant l’auditeur dès la première écoute. A la fois d’une spontanéité déroutante et d’une habilité sophistiquée, les cris à gorge déployée de ce protagoniste incontournable de la scène actuelle ont tout pour convaincre, une fois de plus.
Coups de cœur : ARE WE STILL FRIENDS ?, I THINK
Sortie le 17 mai
Caroline Fauvel
The National – I Am Easy To Find
Deux ans après Sleep Well Beast, album convenu mais cohérent pour The National, et très efficace, la bande de Matt Berninger revient avec I Am Easy To Find, en laissant cette fois un peu indifférent. Né d’une collaboration avec le réalisateur Mike Mills, qui cherchait à illustrer son court-métrage du même nom, récit initiatique d’une jeune femme, l’album fait la part belle aux voix féminines. Et c’est à peu près la seule bonne nouvelle de ce disque. La présence des chanteuses Gail Ann Dorsey, Sharon Van Etten, Lisa Hannigan, This Is the Kit et Mina Tindle équilibrent souvent très bien la voix profonde du crooner rock de Cincinnati. Sauf qu’à vouloir être trop doux, The National oublie la rage, la puissance, et ne s’impose pas. Les ingrédients mélodiques pour un bel album, habillé du coup de frais féminin, étaient là. Mais il règne à la fin de cet album, de surcroît trop long (16 titres, plus d’une heure), un amer goût d’inachevé… et un certain ennui.
Coups de cœur : Oblivions, The Pull of You, Light Years
Sortie le 17 mai
Kevin Dufrêche
Holly Herndon – PROTO
Pour son troisième album, la princesse californienne de la scène électronique expérimentale a vue les choses en grand. Et pour cause : outre les nombreuses collaborations humaines (comportant notamment une chorale, élément centrale du projet), elle s’est surtout laissée guider par.. une intelligence artificielle. Répondant au doux nom de Spawn, ce programme réagissant aux timbres vocaux humains mêle son propre chant à la dose d’humanité qui parcourt cette oeuvre futuriste et PROTOcolaire d’où il s’échappent des notes pouvant rappeler autant Meredith Monk que Björk ou Aisha Devi. Si les quelques touches mainstream ancrent ce disque dans une certaine forme de modernité (presque) déjà dépassée et peuvent décevoir face à la dimension modale de certaines parties, il n’en demeure pas moins un projet qui ne semble pas avoir d’âge, à la fois visionnaire tout en comportant des références à la fois très anciennes et très actuelles. Un écosystème inédit, drainé par le principe de communauté et d’intercommunication, entre interludes et vraies pièces de composition, qui donne naissance à une musique d’un nouveau genre, qui ne peut que subjuguer par sa beauté et son processus.
Coups de cœur : Crawler, Extreme Love, Frontier, Bridge, Godmother
Sortie le 10 mai
Camille Tardieux
Tim Hecker – Anoyo
À l’automne dernier, le producteur Tim Hecker sortait Konoyo, “Le monde dans lequel nous vivons”, en japonais. Il y a lié ses compositions ambient expérimentales aux notes des instruments du Tokyo Gakuso, un grand ensemble de gagaku, la musique classique japonaise. Il sort ce mois-ci Anoyo, qui signifie “le monde ultérieur”, l’ “au-delà”, par opposition à Konoyo. Issu des mêmes sessions d’enregistrement dans la banlieue de Tokyo, cette nouvelle œuvre ne dévie pas du tracé emprunté par la précédente. La production est fine, profonde. L’alliage des deux sonorités est cohérente et précise. Pour autant, ce nouvel album est, sinon moins grave que son prédécesseur, quelque peu moins sombre.
Coup de cœur : That world
Sortie le 10 mai
Victor Costa
Efrim Manuel Menuck & Kevin Doria – Are Sing Sinck, Sing
Un peu plus d’un an après son deuxième album solo, le ténébreux Pissing Stars, Efrim Menuck, l’un des principaux fondateurs de Godspeed You ! Black Emperor (formation emblématique du courant post-rock) revient avec un nouvel album, fruit de sa collaboration avec Kevin Doria, musicien de l’ombre venu de la scène drone américaine. Cinq titres captivants où les territoires électriques côtoient l’électronique, tout en drones, distorsions et boucles hypnotiques, ponctués par la voix fragile et tourmentée du Montréalais. Un disque enregistré au Mexique qui ne déroge pas de la qualité à laquelle nous a habitué Efrim Menuck depuis plus de vingt ans avec ses différents projets, dans des thématiques toujours aussi politiques et incandescentes, faisant de lui une sorte de prophète esthétique à l’exigence rare, aussi mystérieux que fascinant. Le duo donnera quelques concerts en France ces prochains jours, à commencer par l’Usopop : une occasion à ne pas rater.
Coups de cœur : Do The Police Embrace ?, Fight The Good Fight,
Sortie le 10 mai
Camille Tardieux
Obsimo – Addiction
Un univers électronique minimaliste et intrigant qui obsède autant qu’il enveloppe : voilà ce que propose le jeune bordelais Obsimo. Après deux EP remarqués qui dévoilaient alors les contours d’une électro froide et élégante, l’artiste revient pour un premier album Addiction qui nous transporte sur des terres glacées où la beauté survient par répétition. Des boucles inspirantes et addictives qui se mélangent à des échos lointains et autres bruitages entêtants, le producteur, machines et guitare sous les doigts dessine des images sonores dans lesquelles on plonge les yeux fermés. A l’écoute d’Obsimo on songe bien évidemment au trio berlinois Moderat ou encore à The Blaze, des magiciens du son et de l’image qui créent des paysages exaltants où il fait bon flâner.
Coups de cœur : Biceps, Kama
Sortie le 17 mai
Pauline Pitrou
Sweat Like An Ape ! – Spells That Rhyme
Cela fait plusieurs années qu’on le sait, la scène bordelaise retranche dans ses rangs bon nombre de pépites ; entre le label Talitres, l’indomptable blondie Victorine, la pop enjouée de Talisco, le rock de Noir Désir etc. il y a de quoi faire. Depuis 2013 c’est le quatuor Sweat Like An Ape ! qui semble commencer à tirer son épingle du jeu, groupe qu’on souhaite presque immédiatement affilier à des groupes comme Parquet Courts, Franz Ferdinand ou encore Altin Gun. Et une pochette qui illustre l’univers touche à tout du collectif ; coloré et empreint d’une certaine spontanéité qui ne laisse, sans aucun doute, personne de marbre sur scène.
Coups de cœur : Groom of Doom, My Silent House
Sortie le 10 mai
Guillaume Lacoste
Stand Wise – Flight Simulator (EP)
Férus de synthèse analogique, les deux compères Diego et Raphael engage un processus musical tourné vers des voix assumés et vaporeuses, et des harmonies électroniques aux accents pop. Après un premier EP en 2015, Hours, et quelques singles publiés, ils sortent Flight Simulator une épopée lyrique qui rêve éperdument d’Amérique et d’ivresse perdu sous une esthétique luminescente et édulcorée, qui ne fait que confirmer les bonnes augures supposées par Bill Murray, morceau porteur de cette composition presque trop courte.
Coups de cœur : Bill Murray, Le Havre
Sortie le 16 mai
Caroline Fauvel
Hervé – Mélancolie FC (EP)
“A tous les bancales sur le banc, les vacants, le sourire forcé”. Sur le dos du maillot d’Hervé, le doux mot de mélancolie gravé en lettres noires. La musique comme un stade bouillonnant où l’on transpire et l’on crie, où l’on se bat pour exister. Chez Hervé, on va droit au but, pas de non-dits, pas de filtres. Le petit nouveau du label Initial (Clara Luciani, Eddy De Pretto…) débarque au devant de la scène pop française et nous offre Mélancolie FC, un premier EP sincère et brutal qui côtoie la mélancolie de très près. Un chant haletant et urgent qui se mêle à des nappes électroniques dansantes. Le jeune homme de 26 ans livre six titres aux accents parfois bashungiens, artiste dont il admire le travail et s’inspire auquel il accorde d’ailleurs une reprise (La peur des mots). Chanter pour aller mieux, affronter la peur des mots, la peur de vivre en dansant à cœur et corps battants. On a choisi notre équipe. Hervé sera en concert ce lundi au Point Éphémère (Paris).
Coups de cœur : Cœur poids plume, Mélancolie FC
Sortie le 17 mai
Pauline Pitrou
Rhye – Spirit (EP)
On ne présente plus l’univers de Rhye tant il est déjà entré dans les mœurs et dans le cœur de celles et ceux qui ont eu un jour la bonne idée de venir se perdre dans le cosmos émotionnel, sur l’album Woman puis Blood. Un an après avoir transformé l’essai avec ce dernier, le Canadien Michael Milosh revient à ses premiers amours ; par là entendons du personnel mais aussi une certaine appétence pour le piano, qu’il chérit plus que tout sur cet EP. Un huit titres sensuel et sincère à l’image de Needed, lequel fait dans son clip, l’allégorie du besoin d’être désiré, mettant en scène en gros plan des femmes tentant de faire bonne figure quand le manque est manifestement évident et discernable.
Coups de cœur : Needed, Malibu Nights
Sortie le 10 mai
Guillaume Lacoste
Archive – 25 (Compilation)
Bâti atour du duo Danny Griffiths – Darius Keeler aux claviers, Archive fête ce mois-ci ces 25 ans d’existence avec une compilation XXL et une tournée très attendue. L’occasion de faire le point sur ce groupe à géométrie variable, auteur de douze albums fascinants, plus ou moins inspirés mais toujours efficaces en terme d’abolition entre les genres : trip hop, electronica, hip hop, rock, pop, ambient, tout un monde sensible et complet qui se dessine depuis un quart de siècle dans nos oreilles. Ce sont donc cette fois-ci 43 titres en formes de best of, n’excluant aucun disque ni collaborateur, comprenant les fameux morceaux-fleuves Again et Lights, et surtout huit morceaux inédits, spécialement écrits pour l’occasion, dont deux nouvelles collaborations : Remains of Nothing avec Band of Horses et Lightning Love avec l’écossais Steve Mason. Autant dire que les anglais nous gâtent avec cette nouvelle livraison, faisant à la fois office de bilan et de jalon pour les prochaines productions de ce groupe qui n’a certainement pas fini de nous surprendre.
Coups de cœur (parmi les inédits) : Lightning Love, The Hell Scare Out Of Me, Hyper Real, Heart Beats
Sortie le 10 mai
Camille Tardieux