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QUINZAINE DES RÉALISATEURS – La solitude, le pas de côté et la résignation amoureuse ont trouvé un nouvel artiste pour les défendre avec grâce et intelligence. Là où beaucoup échouent, Erwan Le Duc brille. Absurde, mélancolie, fantaisie et réflexion brillante sur l’amour se percutent dans ce premier film emballant. Plus qu’un joli coup d’essai, c’est une révélation.
Tout autant compétition audacieuse que parc d’attractions visuelles, la Quinzaine des Réalisateurs est depuis quelques années l’occasion de faire le tour des excentricités comiques françaises. Des comédies, destinés à un large public, mais qui explorent allègrement des zones plus risquées du combat humoristique, abandonnées par les grandes machines du rire. L’Effet Aquatique, Le Monde est à toi et En Liberté ! ont ouvert la boîte aux zygomatiques les années précédentes, avec un succès souvent confirmé en salle. Après Le Daim et en attendant Yves, c’est un Perdrix tous azimuts qui se présente sur la scène du théâtre de la croisette. D’une finesse infinie, le film est une des choses les plus enthousiasmantes de cette quinzaine, et accessoirement du cinéma d’auteur français actuel.
Pour qu’une oeuvre aussi riche et décalée puisse amuser son monde, l’histoire doit être simple, claire en seulement quelques bafouilles. Soit, dans les montagnes vosgiennes, l’existence peu emballante de Pierre Perdrix (Swann Arlaud, dément) gendarme-vieux cliché de la comédie magnifiquement recyclé-mélancolique et lunaire perturbée par l’arrivée d’une tornade en forme de coup de foudre total, sous les traits de Maud Wyler, renversante dans tous les sens du terme. Rien d’extravagant, mais Erwan Le Duc a eu le bon goût (ou la curieuse folie, au choix) d’ajouter au synopsis une colonie de nudistes révolutionnaires, des gendarmes dépressifs qui peuvent avouer « je vous trouve frustré, mon capitaine mais dans le bon sens du terme », des cours d’anatomie de vers de terre, une reconstitution de la Seconde Guerre mondiale où une fois l’on est soldat français l’autre fois nazi, une voiture orange et un tank envahissant. Et vous n’avez encore rien vu. Il faut surtout adjoindre à ce tableau déjà trop débordant pour un si petit village, la tribu Perdrix. Entre la mère, Fanny Ardant, idole auditive de l’auteur de ses lignes, qui collectionne vainement les amants sur l’oreiller depuis la mort de son mari et le frère misanthrope incapable de s’occuper de sa fille qui elle ne pense qu’à s’échapper en internat, le dos de Pierre n’est pas assez large pour porter les fardeaux familiaux. Il doit surtout composer avec cette fille, donc qui lui vole dans les plumes à chaque fois qu’il ouvre la bouche. Dans son garage, Thérèse tient une radio libre où les auditeurs peuvent l’appeler afin de partager leurs doutes et leurs peines de coeur. L’amour peut tout sauver, même les cas désespérés. Cette femme à la démarche si grâcieuse (forcément, on vous dit que c’est Fanny Ardant) survit ainsi en philosophant sur la puissance du sentiment. Ce pourrait être creux, c’est profond et déchirant.
Lors de la présentation dimanche au Théâtre de la Croisette, l’entièreté de la salle avait bien compris qu’elle venait d’assister à l’éclosion d’un talent brut, muni d’un oeil acéré et d’une plume singulière. De cette comédie amoureuse à la frontière de l’absurde, Le Duc crée un émerveillement burlesque constant. Des dysfonctionnements sentimentaux et familiaux, il fait des bulles de mélancolie d’une émotion particulière, à fleur de peau, sans colère ni préciosité. En s’emparant de thématiques tant effleurées dans tant de comédies dépressives dites d’auteur( l’émancipation, la peur de l’engagement, l’incapacité à communiquer) dont seules les dix premières minutes faisaient battre notre pupille, Le Duc surprend par la subtilité de son écriture. L’ossature de la première partie de son film s’apparente à une planche de bande dessinée tendance ligne claire. Chacun est dans son monde, mal protégé et campant sur ses convictions. Puis quelques coups brusques de crayons, et les cases débordent, les personnages s’agitent, se sauvent de leur place préalablement attribuée, en grimaçant ou en s’époumonant. Quelque part entre Jacques Rozier, Aki Kaurismaki et Wes Anderson, Perdrix crée sa propre note, celle d’un instrument usé que l’on aurait plaisir à ré-entendre, en boucle.
Dans son dernier mouvement, Perdrix fixe notre mémoire avec le souvenir d’une troupe joyeuse touchée par la grâce, réunie par l’amour du déguisement et l’exploration des coeurs abîmés. Avec en tête, l’explosion d’une actrice si différente, Maud Wyler, dont l’énergie comique digne de Tex Avery n’a d’égal que la gravité bouleversante de ses errements. Surtout, non content d’être l’un des meilleurs moments cinématographiques de l’année, le film nous accompagne, comme il amarre ses héros, et par sa poésie modeste mais permanente, nous laisse la gorge nouée.