CINÉMAFestival de Cannes

CANNES 2019 – « J’ai perdu mon corps » – Entretien avec Dan Levy

© Rezo Films

Maze est allé à la rencontre du compositeur, musicien et producteur Dan Levy pour la sortie du premier long métrage d’animation de Jeremy Clapin, J’ai perdu mon corps, dont il a composé la musique du film.

Dan Levy a commencé sa carrière musicale dans la composition de musiques de film dans les années 2000 bien avant de monter le groupe The Do en 2006 avec Olivia Merilahti et de sortir leur premier album The Mouthful en 2008 qui les propulsa sur la scène pop internationale. Producteur pour des artistes reconnues comme Jeanne Added ou encore Thomas Azier, il est à Cannes cette année pour présenter J’ai perdu mon corps à La Semaine de la critique.

J’ai perdu mon corps suit l’histoire d’une main tranchée qui échappée d’une salle de dissection, tente de retrouver son corps. Sa folle cavale à travers la ville de Paris, lui permet de se remémorer toute la vie partagée avec le corps qu’elle recherche tant, jusqu’à leur rencontre amoureuse avec Gabrielle.

Vous avez composé la musique de films très différents aux ambiances très éclectiques. Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler sur J’ai perdu mon corps  ?

Dan Levy  : C’est un projet nouveau pour moi. C’est un film d’animation, un film qui demandait une autre technique, une autre approche de composition et surtout une autre façon de travailler. En animation, on ne travaille plus sur un montage que l’on reçoit mais plutôt en amont sur des storyboards. Je découvre l’animation depuis un an et j’ai l’impression d’avoir la même façon de travailler. Ce sont de très gros travailleurs, très précis, avec beaucoup de patience comme pour la musique. Pour le long métrage en prise de vue réelle, c’est trois mois ou deux mois de tournage avec un montage qui change tout le temps, en animation on est obligé de tout écrire à l’avance et le montage ne peut pas changer à la seconde près.

Cela veut dire que vous aviez fini la musique bien longtemps avant la finalisation des images et la sortie du film  ?

Non, on a tout fait en parallèle. Il faut se dire que c’est six ans de travail pour le réalisateur et neuf mois pour le compositeur. On ne vous appelle pas au dernier moment en vous disant qu’il faut avoir fini la musique pour le mois prochain. C’est beaucoup plus laborieux, plus précis et encore plus libre en terme d’émotions. Il y a plus de demande de soutien avec la musique dans l’animation que dans la prise de vue réel.

Comment  avez-vous rencontré Jeremy Clapin et comment s’est créée l’envie de travailler ensemble  ?

Ça s’est passé normalement. Une production vous appelle parce que le réalisateur a pensé avec son équipe à une poignée de compositeurs. On vous demande de «  proposer quelque chose  ». J’ai du trouver du temps pour m’enfermer pendant quelques jours pour avoir le temps de présenter ma propre idée du film. Elle lui a plu et on a continué à travailler ensemble.

Sur quel matériau de base vous êtes-vous appuyé pour construire cette première idée ? Le scénario, des storyboards ?

Au début ils m’ont envoyé deux scènes mais je ne les ai pas utilisé car je ne fais pas comme ça, je fais de la musique inspirée du scénario. On me l’a ensuite envoyé pour que je travaille dessus. On vous donne des éléments mais l’idée musicale du film part surtout d’une discussion avec le réalisateur.

Dans la construction de l’univers sonore vous basez-vous plutôt sur l’atmosphère des images ou cherchez-vous à aller au contraire, en contre-point de ces dernières  ?

Ce sont des émotions différentes, encore une fois, il faut proposer quelque chose. Le cinéma il faut en parler longuement en amont avant de faire quoi que ce soit de très précis. La seule manière qu’a trouvé le monde du cinéma pour parler de la musique, ce sont des références. C’est très compliqué. Pour J’ai perdu mon corps, les références ont été cassé et les idées qu’on s’est faite sur la musique ont été bouffé par l’élan artistique du film. Comme un bon disque en pop, je pense que les bonnes choses viennent toujours naturellement et sans difficultés.

Jeremy Clapin vous a t’il donné beaucoup de liberté pour la composition  ?

Oui, libre de proposer ou de présenter ce que je voulais mais tout est en rapport avec le réalisateur. Cela ne veut pas dire que tout s’est bien passé dès le début. Vous proposez quelque chose et lui a une idée très différente et il ne s’attend pas à ça. Ensuite, il se met à vivre avec cette musique parce qu’on a la chance d’avoir plus de temps en animation pour developper la musique. Le thème principal du film a été refusé premièrement par Jeremy. Je pense, qu’on a très peur de la place que prend la musique de film en France. On a peur que la musique soit plus présente que les images ou qu’au contraire elle ne soit qu’une joliesse d’ascenseur.

J’ai perdu mon corps est un film fantastique et à la fois très réel. Une main ensanglantée se balade dans Paris à la recherche du corps qu’elle a perdu et raconte son histoire. Avez-vous cherché à accompagner le fantastique du film ou êtes-vous plutôt venu vous positionner en contre-pied de cette première facette macabre de l’histoire ?

Le film s’adoucit tout seul par la magie et la poésie. Il n ’y a rien de macabre dans J’ai perdu mon corps, c’est simplement une main qui recherche son corps, on ne pourrait jamais faire ca en prise de vue réelle. Est-ce que je suis là pour adoucir  ? Non je pense que je suis là pour appuyer la magie de ce film et appuyer son sens. Ce qui m’a plu dans ce film, c’est le langage du destin. Il y a trois films en un et donc trois façons de voir le film. Il y a la version de la main, la version du corps qui n’a pas encore perdu sa main, et la version  de l’histoire d’amour. Toutes ces lignes de récits m’ont permise de faire trois thématiques. Je n’ai pas oublié pendant toute la composition de suivre cette idée de destin et penser que c’est aussi un film qui parle du fantastique, de l’amour…

Vous parliez de thématiques, généralement en animation chaque personnage a son propre thème. Avez-vous construit un thème pour chacune des versions de l’histoire ou selon chaque personnage ?

Non, parce que la musique est plus en rapport avec le scénario, selon moi. C’est lui qui vous entraine à avoir une lecture musicale, plus que les personnages. Les personnages sont une clé de l’histoire, on ne va pas en tant que compositeur se baser sur le personnage, on se base sur le personnage dans son élément, son histoire et son décor. Le personnage seul, je m’en fout.

Vous disiez que les références étaient importantes dans le milieu musical et notamment dans la musique de film, avez-vous eu des inspirations ou des références particulières pour J’ai perdu mon corps  ?

 L’ inspiration est l’histoire du film, comme en pop ou ça va être la chanson, le chanteur, les paroles qui vont créer la matière. Là c’est pareil, c’est un tout. Si j’ai des inspirations extérieures à ce que je fais  ? Oui j’en ai. C’est la force de la musique de film, elle permet de faire tout et n’importe quoi et de se nourir de tout. Ce qui me plait avec la musique de film et qui me déplait en pop, c’est que vous pouvez parfaitement faire de la musique orchestral pour un premier film, une musique électronique sur le second, ou du tuba sur le troisième film, il n’y a pas de règles. Tout est possible. Je me souviens de ce film japonais des années 1960, le sable derrière nous m’y fais penser. Toru Takemitsu avait fait la musique du film uniquement avec des bruits de sable. Ce qui a été  fantastique pendant J’ai perdu mon corps, c’est que l’on a créé entièrement le bruitage. On a beaucoup travailler en parallèle avec les différentes équipes parce que je ne pouvais pas travailler sur un bruitage qui était loin de ma musique et vice versa. Pour moi la liberté de la musique de film est essentielle.

Vous parliez du bruitage et de l’environnement sonore, J’ai perdu mon corps est un film urbain, avez-vous pris en compte cette urbanité dans la composition de la musique  ?

Non au contraire, c’est là où je rejoins votre première question. C’est pas parce que le film se passe dans une ville que je vais changer ma musique. ll y a des moments «  urbains  » où le réalisateur voulait, en dehors de la musique orchestrale, des parties de hip-hop parce que c’était important pour l’histoire. Sinon la musique de film en soi, j’aurais envie de voir ça comme un conte, même si les gens n’aiment pas ce mot. La musique c’est un conte extraordinaire qu’on ne peut pas voir dans la vraie vie. Des fois on est porté par des chansons mais pas par les mots plutôt par leur magie. C’est comme René Char en poésie qui ne vous parle pas comme un Prévert. J’ai découvert René Char en écoutant Pierre Boulez et Le marteau sans maître. Est-ce que le marteau veut dire quelque chose de réel  ? je ne crois pas et c’est la force de la poésie…

Maintenant que vous avez mis un premier pas en animation, cela vous a-t-il donné envie de retravailler sur des projets pour le cinéma animé  ?

Avoir aimer faire ce film ça ne veut pas dire que j’ai envie d’en refaire. Peut être que demain ça sera autre chose. En tous cas, ça sera les mêmes émotions, la même envie de travailler avec cette équipe. Quand tu vis une expérience comme ça, tu es soudé, comme je l’ai été avec The Do, ou avec Jeanne Added. Chaque expérience vous construit, le métier est empirique aussi. Si demain on me propose un autre film d‘animation il faut qu’il soit bon c’est tout. C’est sûr que si Jeremy Clapin me représente un film, je fonce. J’ai aimé travaillé avec lui, comme avec le producteur Marc Du Pontavice que j’apprécie et qui reste un des derniers producteurs émotionnels, touchés par la musique…ce qui est très rare.

Vous travaillez souvent seul en studio pour composer. Pour J’ai perdu mon corps, avez-vous écrit de la même manière ? Vous parliez tout à l’heure de la proximité entre les différentes équipes son pour les films d’animation..

Non, parce que je travaille seul, comme beaucoup de compositeurs. Je trouve que l’écriture musicale est très proche de celle des écrivains. Je suis parti vivre à la campagne depuis sept ans maintenant, parce que j’ai besoin de me lever dans le silence et d’être face à mon travail. Il faut beaucoup de concentration, et je vais faire ma minute vieux, mais c’est devenu de plus en plus difficile avec tous les mails que l’on reçoit J’ai connu une autre époque où il fallait qu’on vous appelle si on voulait vous parler. L’équipe intervient après. Quand j’ai besoin de m’enfermer deux jours pour écrire de la musique, je leur envoie une fois fini et on se revoit après pour en discuter.

Du silence pour créer du bruit donc..

Oui et non, en pop il y a beaucoup de gens qui travaillent tout le temps avec la musique et le bruit. Chacun est différent. Je rencontre beaucoup de gens qui écrivent des paroles, des bouquins ou des scénarios, ils ont besoin d’être seul et moi j’ai besoin d’être seul dans mon jardin à attendre et laisser entrer quelque chose en moi. Aprés c’est très intense pour les autres comme pour moi mais c’est ça aussi de créer ensemble.

Interview réalisée dans le cadre des rencontres de la SACEM

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