© Kamila-K-Stanley
En mars dernier, elle sortait son deuxième album Nuits sans sommeil, opus noctambule et entêtant. A l’occasion de son passage au Printemps de Bourges, on a passé un moment avec la reine de la french-pop Cléa Vincent. Rencontre avec une amoureuse de la nuit et des strass.
On en a passé des nuits banches à rêver de cette entrevue avec Cléa Vincent. Puis elle arrive, un peu sans prévenir, la veille : “Demande d’interview acceptée”. Panique à bord. Une après-midi pour se replonger dans ces nuits sans sommeil, dans ces mots d’amour sur bandes pop-électroniques. Lorsqu’on arrive devant la porte de la salle d’interview, c’est une jeune femme souriante et spontanée qui nous accueille. Pas de veste à paillettes pour cette fois mais un cœur et des yeux qui brillent. Les éternelles boum d’adolescence, les femmes, la nuit et le cinéma : avec Cléa on saute à pied joints d’un sujet à un autre, toujours avec malice et enthousiasme. “Enchantée Pauline, Enchantée Cléa ” : les présentations sont faites, place aux questions !
Bonjour Cléa, bienvenue au Printemps de Bourges ! Est-ce que tu peux nous raconter ton histoire avec le festival ?
Bonjour Pauline ! Je suis déjà venue quatre fois au Printemps de Bourges. La toute première fois, c’était en OFF du festival. J’ai joué à l’arrière d’un camion boutique d’un collectif qui s’appelait Noir Gazol. J’ai amené du matériel et une sono et je me suis retrouvée à jouer sur le petit marché du printemps en mode un peu punk (rires). Suite à ce concert, j’avais même eu un article dans les Inrocks, ça m’avait un peu récompensé de mes efforts. L’année d’après, j’ai été programmé dans le IN pour mon premier album Retiens mon désir, ensuite je suis revenue avec un autre projet qui s’appelle Garçons et cette année je reviens à Bourges pour présenter mon dernier album Nuits sans sommeil et je suis très contente. D’ailleurs, quand j’ai su que je jouais à Bourges, j’ai fait des sauts de cabris chez moi ! (rires) Puis Bourges c’est un vrai tremplin pour les artistes parce que c’est vraiment un festival de professionnels. Donc quand on passe par Bourges, on rebondit souvent sur d’autres dates. Et je suis une grande accro aux concerts, plus j’en fais, mieux je me porte, donc c’est double bonus !
En 2016, tu sortais ton premier album Retiens mon désir, le mois dernier, tu es revenue avec un nouvel album Nuits sans sommeil. Qu’est-ce que tu as fait de ton temps entre ces deux disques ?
Après la sortie de mon premier album, on a tourné pendant deux ans à fond les manettes, j’ai fait 150 dates en tout avec Cléa Vincent et Garçons. Et en parallèle, j’ai composé le deuxième album. Heureusement, mon binôme d’écriture Raphaël Léger était là pour m’épauler et m’aider à composer.
Donc vous écrivez tous les morceaux ensemble ?
Oui, souvent, l’un ou l’autre on a une belle idée de chanson et on la termine ensemble. C’est très fluide, c’est un vrai ping-pong musical, on est très complémentaires. Après on a enregistré ensemble le dernier album et puis on est repartis en tournée. Il n’y a pas vraiment eu de pause entre les deux.
Donc tu es un peu une hyper-active n’est-ce pas ?
Oui, je suis complètement hyper-active. Dès que j’ai cinq minutes, je monte un nouveau projet. Je suis ultra-passionnée. Récemment, j’ai même crée une émission de télé sur la pop. Je suis une vraie work-holic, une accro au travail, parce qu’en fait je ne considère pas ça comme du travail, je considère ça comme ma vie. Dès que mon travail s’arrête, je m’ennuie.
Dans ton premier album, il y’avait quelque chose d’assez solaire, d’assez enfantin, une certaine naïveté presque adolescente. Et pour Nuits sans sommeil, on dirait que tu as gagné en maturité en abordant des sujets plus sensibles comme la condition de la femme (Sexe d’un garçon) ou encore les dessous de la vie d’artiste (Dans les strass). Est-ce que tu vois cet album comme un “album de la maturité” ?
Oui, c’est totalement ça. Retiens mon désir c’était une collection de chansons que j’avais écris entre 20 et 27 ans. Après le premier album, je suis repartie de zéro, j’ai réécris des nouvelles chansons. Donc nécessairement, c’est l’album de la maturité. Entre mes deux albums je suis passée d’adolescente jeune fille à femme. Je l’ai senti dans mon corps, dans mon esprit, dans ma façon de prendre de l’assurance dans la voix. Il y’a eu une vraie métamorphose, une vraie évolution et c’est sûr qu’on l’entend.
Du titre de l’album aux paroles des morceaux, en passant par l’atmosphère musicale générale de l’album, il y’a toujours la nuit qui plane. Qu’est-ce qui t’inspire tant dans la nuit ?
Depuis que je suis enfant, j’ai une obsession pour les boums. Quand j’étais invitée à une soirée, je ne pensais qu’à ça. Je réfléchissais à comment j’allais m’habiller, quels disques j’allais passer… La nuit pour moi c’est l’excitation, la fête. Mais pas dans l’excès, c’est vraiment une fête bon enfant. Mes parents organisaient régulièrement des grosses teufs à la maison et j’adorais ça. J’aime l’espace qu’offre une fête où l’on va danser et je pense que c’est l’une des choses qui m’a le plus inspiré pour ma musique. Et puis la nuit, c’est plus facile de tomber amoureux, les premiers baisers c’est rare qu’ils se produisent la journée, en tout cas en ce qui me concerne. Mes plus belles histoires d’amour ont toujours commencé la nuit.
Récemment, tu as signé le Manifeste contre le sexisme dans le milieu de la musique aux côtés de 700 autres femmes comme Pomme ou encore Clara Luciani. C’était évident pour toi ? Est-ce que tu penses que ça va vraiment faire changer les mentalités ?
J’espère oui. Ce qui est beau c’est un peu comme hashtag Me too, c’est avant tout des femmes qui sortent du bois et quoi qu’il advienne, ça opère une solidarité entre les femmes. Et ça, c’est puissant. Je ne sais pas si ça changera les mentalités des mecs mais au moins on est ensemble et c’est beau. C’est un plaisir de dialoguer avec des femmes, de raconter ce qu’on subit. Ca nous donne du courage. Quand j’entends des nanas parler de leur métiers et de leurs techniques pour s’imposer, je suis admirative et ça me donne beaucoup de force.
Tu la ressens cette solidarité entre les artistes de la nouvelle scène française toi ?
Oui, beaucoup. A commencer par mon projet Garçons dans lequel je suis, on est trois chanteuses et il m’a permis de discuter avec les filles, on est devenues quasiment soeurs. C’est des grands moments de discussion. Je n’ai pas les mêmes conversations avec les filles de Garçons qu’ avec mes musiciens. On n’aborde pas les mêmes sujets. C’est très enrichissant de discuter avec des hommes et des femmes. Mais avec les meufs, il y’a cette solidarité très dangereuse qui peut donner lieu à des projets méga-forts. Méfiez-vous des femmes, on est trop puissantes !
Dans ton dernier album, il y’a qu’un seul duo, celui sur Maldone avec Voyou. Tu peux nous raconter pourquoi tu l’as choisi lui ?
C’était évident. On s’est rencontré dans une soirée que j’avais organisé, il avait accepté l’invitation, il a repris Jardin d’hiver, c’était très beau. Puis il y’a eu une évidence quand je l’ai entendu chanter et jouer de la trompette. J’étais très impressionnée. Je trouve qu’il y’a vraiment une gémellité entre nos répertoires. C’est un peu comme un jumeau avec qui j’avance dans le cosmos de la musique. Au départ, j’ai eu envie de faire un duo avec Benjamin Biolay, parce que cette chanson lui correspondait bien je trouve.
Dernièrement, j’ai vu que tu avais composé la B.O d’un court métrage intitulé La vie de jeune fille. Ça m’a pas étonné parce que je trouve qu’il y’a un côté très imagé dans ta musique, assez cinématographique, il y’a beaucoup d’images qui apparaissent quand on t’écoute. C’est quelque chose vers lequel tu voudrais tendre, le cinéma ?
Typiquement, je suis tombée en émois devant le film Deux Frères de Félix Moati. J’ai été très attentive à la bande originale que j’ai trouvé super ! Il y’a une part du cinéma français que je trouve merveilleuse. Et clairement, si Félix Moati, Vincent Lacoste ou même Riad Sattouf me proposaient de faire leurs B.O, je serait vraiment partante ! Ou même apparaître dans le film en tant que chanteuse, pour qu’il y ai une fusion entre cinéma et musique, parce que c’est deux mondes complètement différents. Mais oui, pourquoi pas envoyer un petit satellite à la planète cinéma.
Tout à l’heure tu l’as mentionné, la scène c’est vraiment un moment important pour toi. Dans Sexe d’un garçon tu dis “Je suis montée sur scène comme d’autres font l’amour”. Alors, je voulais savoir, quel est ton rapport avec la scène ?
Ce qui est vraiment intéressant depuis que je fais des concerts c’est qu’aucun concert ne se ressemble. Sur scène, il y’a une énorme prise de risque parce qu’on joue tout, on est sur un fil comme des funambules. C’est toujours une grande dose d’adrénaline car on se met en danger, et si on n’est pas en pleine possession de nos moyens, c’est compliqué d’aller au bout du concert. Il faut se préparer à fond, il y’a presque quelque chose de sportif. A chaque fois, c’est un challenge d’arriver au bout du concert et de faire décoller la fusée. La fusée ne décolle pas toujours. Parfois, on ne gagne pas et c’est ça qui est intéressant : on ne gagne pas à tous les coups. A chaque concert, on se demande si on va réussir à garder le contrôle, un peu comme quand tu fais l’amour à une fille ou un mec, il y’a un truc de maturité, un truc au service du public. J’ai un rapport assez charnel à la scène.
Pour finir, tu as de coups de cœur dans la programmation de Bourges ?
Voyou évidemment. Et je suis très curieuse de découvrir Hubert Lenoir aussi.