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Musical Écran – Retour sur la cinquième édition en cinq moments forts

La semaine dernière, Bordeaux vibrait au son des documentaires musicaux proposés par le festival Musical Écran. Retour sur une cinquième édition éclectique et réussie à travers cinq films de la sélection.

Du 7 au 14 avril, le festival de cinéma développé par l’équipe de Bordeaux Rock investissait les salles de l’Utopia, mythique cinéma indépendant Bordelais, et d’autres lieux phares de la ville pour une semaine de projection et de rencontres autour de plusieurs films documentaires musicaux. Au programme, pas moins de 23 films et plusieurs concerts, encadrés par une sélection de 8 films en compétition officielle, tous produits et réalisés l’an dernier.

Le public a répondu présent tout au long de la semaine,
l’événement réunissant plus de 6000 festivaliers.
© Miguel Ramos

Puisqu’il était physiquement (quasi) impossible de se rendre à tous ces événements et que notre cœur s’est porté sur certaines séances en particulier, retour sur cinq moments forts du festival qui en disent long sur la variété et la qualité de la programmation cette année encore.

Soirée hommage à Alan Vega

Mercredi, l’artiste plasticien et musicien Marc Hurtado venait présenter au CAPC (Musée d’Art Contemporain de Bordeaux) ses travaux menés en collaboration avec Alan Vega, iconique chanteur du groupe Suicide disparu en 2016. Plusieurs clips et courts-métrages au programme (dont Saturn Drive, très dérangeant portrait des derniers jours du chanteur sur son lit d’hôpital) et surtout un film documentaire saisissant, Infinite Dreamers, filmé au plus près du groupe dans son dernier tour de piste, qui révèle comme jamais l’aspect multi-facette et spirituelle d’Alan Vega et son acolyte Martin Rev. Tout en étant conscient de sa propre déperdition (apparaissant sur scène et dans les coulisses physiquement très affaibli), le duo se révèle avant tout un groupe soudé, artistes complets d’une profonde lucidité et qui, au crépuscule de son existence, semblent plus apaisés et vivants jamais.

Saturn Drive Duplex, un des nombreux clips réalisé par Marc Hurtado
et projeté lors de la soirée hommage à Alan Vega du 10 avril 2019.

Musicalement édifiant (les délires bruitistes du duo n’ont jamais semblé si violents), Suicide semble enfin récolter les lauriers de sa longue et brillante carrière, lui conférant un statut de groupe avant-gardiste un peu à part, ni tout à fait occulte ni tout à fait pop. On boit littéralement les paroles mystiques d’un Alan Vega amusé qui explique venir de Saturne, “un lieu où je retournerai à ma mort“. Sa vision de la religion (les lignes du temps qu’il semble déceler dans le symbole du crucifix) est ainsi explicité, tandis que Martin Rev disserte sur les pouvoirs physiques du son, à travers des théories poétiques convoquant univers multiples et masses sonores. “Vouloir faire le concert parfait est le meilleur moyen de ne pas y arriver, c’est toujours quand on s’y attend le moins que l’on est le meilleur” clame le duo. Un film pleins de philosophie qui peut toutefois lasser par ses aspects esthétisants et sa volonté de capturer parfois l’anecdotiques, mais qui touche droit au cœur et fait office d’oeuvre-testament assez exemplaire.

Marc Hurtado clôturera la soirée par un concert en solo à la pointe de l’avant-garde, comme il le fût aux côtés d’Alan Vega ou avec son groupe Étant Donnés, toujours en activité.

Ethiopiques : Revolt of the Soul

S’appuyant sur le travail du français Francis Falceto dans ses découvertes et engagement auprès de la musique rock, funk et soul éthiopienne, le polonais Maciek Bochniak dévoile enfin l’histoire se cachant derrière la série de disque “Ethiopiques”, collection qui a révélée et popularisée la musique Éthiopienne à travers toute l’Europe.

Né dans un contexte politique houleux (où seule existe la musique institutionnelle avant qu’une révolution d’inspiration soviétique ne vienne renverser l’empire), le son des formations rock des années 60 et 70 en Éthiopie vient avant tout de l’import -illégal- de disques américains, ainsi que de la volonté de certains acteurs dissidents (tel que le label Amha Records) de créer une musique qui leur est propre, avec des influences et des sonorités modernes et occidentales. Cette aventure, c’est aussi celle de groupes qui, ayant réussi à sortir de leur pays pour promouvoir leur musique à l’étranger (et notamment aux États-Unis), se sont dissous en cours de route face aux tentations de ces nouveaux ailleurs et à leur attache à leur patrie d’origine, et ce malgré un intérêt croissant de la part du public occidental. Le documentaire dresse donc surtout le portrait de ces destins brisés, à l’image du parcours de Girma Bèyènè, chanteur-star du groupe Ras et Wallias, qui après la gloire vivra une vie de misère en tant que pompiste dans une station service américaine, avant de remonter sur scène en 2015 grâce à l’impulsion et au succès des disques “Éthiopiques”. Mais c’est surtout l’audace et la passion qui transpire derrière ces beaux témoignages, celle de l’amour de la musique, des différentes cultures et des sons nouveaux, tout simplement.

“Ce que j’ai appris durant toutes ces années, c’est que l’Ethiopie n’est pas un pays mais bien une planète à part entière” nous confiera Francis Falceto à l’issu de la séance. A voir cette belle introduction aux musiques Éthiopienne, nous voulons bien le croire.

Where are you João Gilberto ?

Étrange quête que celle de Georges Gachot, réalisateur du film, qui, après la découverte d’un livre du journaliste Marc Fischer, disparu peu avant le début du tournage, va prendre la suite de son enquête sur les pas du fameux musicien João Gilberto, “l’homme qui a offert au monde la bossa-nova” et qui vit depuis une trentaine d’année reclus dans un hôtel, en dehors de la sphère publique et musicale. Georges Gachot marche donc sur les pas de ces deux fantômes (le journaliste et l’artiste), retrouvant ainsi collaborateurs, amis et contact de chacun des deux hommes. De cette mise en abyme ressort pour lui la nécessité d’une mission : celle d’entendre, de ses propres oreilles et de la voix de João Gilberto lui-même son tube Hó-Bá-Lá-Lá , ultime souhait du défunt Marc Fischer, n’ayant jamais pu rencontrer son idole.

L’enquête patine, faite de chassé-croisé parfois troublant (l’ex-femme de João Gilberto s’entretenant, sous les yeux médusés de Georges Gachot, avec l’artiste en question lors d’un coup de fil improvisé, sans daigner établir avec lui le contact qu’il recherche tant) et riche en rebondissement. Alors que tout semble perdu et l’espoir de retrouver un jour la trace de celui qui a coupé la quasi-totalité des liens qui l’unissait avec ses frères humains est presque anéanti, un rebondissement surréaliste -dont nous tairons la nature pour ne pas gâcher la surprise- clôture cette belle aventure, au traitement parfois un peu narcissique (le réalisateur est de tout les plans) mais louable dans l’intention.

Dernier film de la sélection, c’est lui qui remportera finalement le prix du jury, tandis que le prix du public ira au film de Thierry Villeneuve et Marc Dufaud Daniel Darc : Pieces of My Life.

Face B, quand musique et femmes sont à l’écran

Initié par Hélène Larrouturou (fondatrice du label bordelais Miaou Record) et Émilie Cuendet (réalisatrice indépendante), le documentaire Face B se charge de deux missions : éluder la réalité et la variété des différents métiers entourant l’industrie musicale et les artistes, ainsi que questionner la place de la femme dans ces milieux encore bien trop souvent prisés par des hommes. Si la première question reste assez opaque (“difficile d’y voir claire lorsque l’on n’est pas soi-même plongée dans le milieu” confie une intervenante), la seconde est, quand à elle, très bien amenée et débattue au cours de ce document didactique mais original. En un peu moins de 50 minutes, ce sont dix femmes, travaillant dans différents labels, festivals et boites de productions, qui sont interrogées, invitées à parler de leur métier et de leur rapport au monde de la musique mais aussi et surtout de leur vision du secteur et de la parité.

© Musical Écran

Si le constat est bien souvent alarmant, la parité intégrale semblent difficile à obtenir sur certains pans (le milieu des attachés de presse, quasi-exclusivement féminin), l’une d’entre elle rappelant par ailleurs que “la femme serait vraiment l’égale de l’homme le jour où, à un poste important, on désignerait une femme incompétente“, citant ainsi Françoise Giroud dans une interview datant de 1983. Les plus vibrants témoignages sont ceux décrivant, lors de réunions ou de rendez-vous importants, la focalisation de l’interlocuteur sur son homologue masculin, délaissant les femmes même lorsque celles-ci ont un poste et un rôle plus important. Un long chemin est donc encore à parcourir, mais gageons que ce type de document, amené sans impératifs ni véhémence, feront bouger les mentalités et surtout admettre, une bonne fois pour toute, que les femmes ont autant leur place que les hommes dans ces milieux en plein développement.

En plus de son message et de son sujet, le film est un bel objet local puisque co-produit avec l’Utopia et se concentrant sur les structures présentes en Nouvelle-Aquitaine.

Desolation Center

Pour la dernière séance officielle du festival, Bordeaux Rock a vu les choses en grand : la première française exclusive du film Desolation Center de Stuart Swezey. Relatant l’aventure musicale d’une poignée de passionnés dans la Californie sous l’amérique reaganienne du début des années 80, le film montre des images d’archives inédites et exceptionnels de performances qui le sont toutes autant.

En suivant les traces du réalisateur / organisateur des événements “Desolation Center”, nous assistons à un témoignage édifiant d’un acte de résistance artistique rare, celui de groupes punk et post-punk qui, repoussés de la ville par les autorités, vont établir une série d’événement dans le désert des Mojaves, à quelques centaines de kilomètres de Los Angeles et qui fût, le temps de quelques soirées, le théâtre de concerts et de performances hors-du-commun devant un parterre de fans de musiques alternatives. Au programme : les prestations déchaînées des Minutemen (dont la mort du chanteur, D. Boon, mettra fin au mouvement), l’apparition psychédéliques de Sonic Youth, l’expérience transcendantale mené par les membres d’Einstürzende Neubauten ou encore les délires pyromanes de Mark Pauline, qui ont bien failli coûter la vie à une partie de l’audience . Jamais nous n’avions vu de si près ce “Woodstock punk”, inspiration phare des désormais mercantiles Lollapalooza, Coachella ou autre Burning Man, ayant donné lieux à des scènes et anecdotes d’anthologie.

Réunissant les interventions de Thurston Moore (Sonic Youth), Blixa Bargeld (Einstürzende Neubauten, Nick Cave & The Bad Seeds) ou encore de Mike Watt (Minutemen, Iggy & The Stooges), le film est une plongée radicale au cœur de ces quelques soirées qui ont changé la face de la musique indépendante et donné naissance au plus beau des fantasmes : celui, pour les âmes présentes ce jour-là, de pouvoir dire “j’y étais“.

C’et donc après une semaine riche en émotions que s’est clôturé le festival Musical Écran, tenant cette année encore toute ses promesses et nous laissant souhaiter que la prochaine édition sera, une fois encore, une cure d’images et de sons de hautes volées.

AMOUREUX DES SONS, DES MOTS ET DES IMAGES, DE TOUT CE QUI EST UNE QUESTION D'ÉMOTION, DE RYTHME ET D'HARMONIE.

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