CINÉMA

Le Pigalle – la mélancolie du temps qui passe

Avec son documentaire Arte, David Dufresne et ses conteurs de rue peignent tendrement un Pigalle qu’on ne connaîtra plus.

“C’était chaud, sale et humide : c’était Paris la nuit”

C’est ainsi que David Dufresne nous plonge dans son Pigalle des années 80. Le Pigalle qui avait fait danser toute la bohème dans les bars tenus par des voyous  ; le Pigalle à la marge, celui des reclus, des canailles, des artistes, de ceux mis au banc de la société, qui ne vivent que la nuit  ; le Pigalle qui se noyait dans les magouilles, le whisky, les fumées de cigarettes, l’encre et le sang  ; le Pigalle des rabatteurs et des maquereaux mais aussi des jazzmen et des écrivains ; c’est le Pigalle vieux de cent ans et qui aujourd’hui n’est plus.

© Arte – La place Pigalle

Une valse magnifique et tragique, au présent et au passé

Pour nous raconter cette histoire, David Dufresne nous embarque dans une valse entre présent et passé : le présent, c’est le camion qu’il gare place Pigalle, et avec lequel il projette des films tournés dans le quartier, des images d’archive. Autour de ce « cinéma de poche sauvage », sont exposés articles de journaux, affiches de film, photos d’époques : et ainsi, parisien ou de passage sur la place, le temps d’un jour, on regarde, on écoute et on rêve ce Pigalle du passé. L’installation de Dufresne, dans sa myriade de reliques fait fantasmer un âge révolu et pour certains aussi, affluer des souvenirs de jeunesse.

C’est eux surtout que David Dufresne filme dans le présent, leurs rides autour des yeux et leurs sourires attendris. Grâce à leur mots, ces conteurs nous plongent dans leurs vingt ans, et font danser le Pigalle mort, agitent par leurs souvenirs les bras et les jambes du « quartier dans le formol » qui est le nôtre aujourd’hui. Et on entre par là dans la deuxième face du documentaire, le deuxième temps de la valse : les images d’archives, les extraits de films qui accompagnent et illustrent les paroles d’Eliane, Pierrot, Christine, cette ancienne prostituée, ce patron de bar à la retraite, cette nièce de maquereau. Leurs histoires semblent contes, des contes qu’ils nous disent avec leur voix éraillées, un peu tremblantes, la voix d’une vieille dame, d’un vieil homme qui ont vécu.

Et une fois emportés, dans les rues saturées de néon, les boîtes sordides, les cafés de bagarre où Renaud chanterait «  Y m’a filé une beigne,  j’lui ai filé une torgnole, y m’a filé une châtaigne  », on ne veut plus en sortir. Et au prochain pas de la valse, quand il faut se retourner et faire face au présent, la chute est rude  : Bio C’bon à la place du Narcisse, une crèche à la place du Trafalgar, deux lieux d’anthologie écrasés par la gentrification, et notre cœur meurtri de n’être pas né au bon moment.

© Arte – Concert de rue Mano Negra

La jeunesse folle hier, la vieillesse paisible aujourd’hui

Il est vrai que le réalisateur n’est pas un incroyable narrateur  ; que sa voix neutre aux accents de voix off de reportage piteux manquent à souligner le bouillonnement insensé du quartier qu’il dépeint  ; que son montage ne se distingue jamais, ni son mixage son, nous laissant un coulant d’images d’archives et d’extraits qui mériteraient meilleur traitement  ; que ses cadrages d’interview et ses prises de vue sont mal éclairées.

Pourquoi alors ce documentaire fascine-t-il autant  ? Pourquoi toute une critique pour un documentaire de mercredi après-midi  ? Pour deux choses  : pour les yeux des conteurs, du vieux patron ou de l’ancienne prostituée, du travesti ou de la belle jeune fille qui a vieilli, les yeux de tous ceux-là quand ils reviennent sur les lieux où leur jeunesse s’est échappée ; et pour leur voix usée d’avoir trop raconté. Et Aznavour de conclure «  Où sont-ils à présent… Mes vingt ans  ?  ».

Etudiante en master à l'ESCP Europe, un Zola caché derrière mon ordinateur en cours de comptabilité, et vite on court au cinéma après l'école.

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