SOCIÉTÉ

D’Explicite à l’Humanité, la difficile survie des médias

Dans un monde médiatique en crise depuis plus d’une décennie, les médias français ne font pas exception. Certains se retrouvent en péril et la question financière les empêche de se développer. C’est le cas d’Explicite et de l’Humanité. Alors qu’ils n’ont rien en commun, tous deux manquent de budget pour mener leurs reportages à terme et informer leurs lecteurs.

«  Souvent l’info mérite qu’on l’Explicite  », tel était le slogan du nouveau média en ligne initié début 2017 par cinquante-quatre journalistes français sur la centaine ayant quitté la rédaction d’I-Télé à l’automne 2016 après une grève historique. Parmi eux, Olivier Ravanello, qui prend la tête de ce média en ligne, Elodie Safaris, Antoine Genton ou encore Laurent Bazin. Lancé en avril 2018, la rédaction décide dans un premier temps de développer du contenu gratuit afin de se faire connaître. Accessible via un site et une application, Explicite propose des formats variés  : articles, vidéos, photo-reportages ou encore podcasts. Il trouve aussi une certaine visibilité via les réseaux sociaux tels que Facebook en direct, Twitter, Périscope, Youtube ou encore le portail Yahoo. Olivier Ravanello, fondateur du média espère «  renouer un lien avec une partie des gens insatisfaits par le journalisme  ». La ligne éditoriale était simple  : «  des contenus pour approfondir l’actualité  ».

Explicite sur abonnement et sans publicité : pari (trop) risqué  ?

Ce n’est qu’en septembre 2018 que le média décide de passer sur abonnement (11,99€/ mois avec un tarif préférentiel pour les étudiants à 7,99€/mois). Pour être en équilibre, il lui faudrait 33 000 abonnés. Mais il n’en obtient que 1 800. De plus, en ayant pris le parti de ne pas accepter les publicités sur son site et ainsi adopter le modèle économique de Mediapart, non sans risque, le verdict est sans appel. «  Explicite doit déposer le bilan une fois que les reportages déjà en cours seront terminés », déclare le fondateur Olivier Ravanello dans un communiqué.

Le manque d’abonnés mais surtout d’investisseurs puisque le média n’a pas réussi à réunir les 3,5 millions d’euros qu’il cherchait à lever depuis plusieurs semaines, ne lui a pas permis de dégager suffisamment de revenus pour poursuivre son activité. Avec moins d’un an d’existence, l’arrêt d’Explicite témoigne de la difficulté pour un média en ligne de trouver un modèle économique viable. Le choix d’un média sans publicité présentait beaucoup de risques. Un an après la chute d’Ebdo, Explicite vient s’ajouter aux nombreux médias qui n’ont pas survécu à la crise des investisseurs. Mais si certains ne durent pas, d’autres implantés depuis plus d’un siècle peinent à survivre.

L’Humanité peut-il survivre ?

Journal communiste emblématique du paysage médiatique français, fondé en 1904 par Jean Jaurès, l’Humanité doit faire face, lui aussi, à des difficultés financières. Comme de nombreux titres de la presse écrite, l’Humanité bénéficie de subventions de la part de l’État français au titre « d’aide aux quotidiens nationaux d’information politique et générale à faibles ressources publicitaires ». Mais malgré cette aide, l’Huma est depuis plusieurs semaines en cessation de paiement au tribunal de commerce de Bobigny : le quotidien n’est plus en capacité de payer ses dettes, actuelles comme anciennes. A la différence d’Explicite ou d’Ebdo, l’Humanité bénéficiant d’une plus grande structure, ses employés continuent d’être payés via un régime de garantie des salaires (AGS), qui prend le relais lorsqu’une entreprise n’a plus les fonds nécessaires pour les payer.

Patrick Le Hyaric, directeur du journal, appelle ses lecteurs à une «  mobilisation générale  ». Il souhaite aussi «  qu’un soutien populaire et citoyen se mette en place pour aider le journal à surmonter les difficultés financières  ». Un meeting de soutien a été annoncé pour le 22 février à Paris et une souscription a été ouverte pour permettre au quotidien de continuer à paraître. Grâce à ses quelques 33 000 lecteurs quotidiens et ses 175 salariés, l’appel aux dons de 2018 avait déjà permis au journal de réunir près d’un million d’euros pour perdurer. Mais face à la nouvelle détresse du journal, les soutiens sont nombreux  : le SNJ (Syndicat national des journalistes) qui appelle aux dons, mais aussi de nombreuses personnalités tels que Michel Drucker ou encore Laurent Delahousse.

Mobilisation générale organisée le 22 février à Paris pour sauver le journal l’Humanité

Le jeudi 7 février, le tribunal de commerce de Bobigny a rendu sa décision. S’il maintient la décision de placer l’Humanité en redressement judiciaire, le plan de continuation proposé par la direction a été accepté. Cette période de transition permettra de consolider l’économie du journal, de poursuivre son activité, tout en travaillant à un projet de pérennisation du quotidien. Malgré les 470 abonnements réalisés en moins de dix jours depuis l’annonce de la cessation de paiement, la situation de l’Humanité est représentative de la crise de la presse papier mais pose aussi la question de l’indépendance de la presse en France.

Il devient de plus en plus difficile pour les médias d’information de lutter pour leur survie économique tout en produisant un contenu journalistique de qualité. C’est le cas notamment pour les reportages à l’étranger et l’investigation qui nécessitent plus de ressources financières. Pour les quotidiens nationaux, anciens comme nouveaux  : la survie est difficile. Mais tous doivent lutter pour leur crédibilité envers les Français car en ces temps de mobilisation des «  gilets jaunes  » et de diffusion des fausses informations, informer n’a jamais semblé aussi compliqué et décrié.

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