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L’histoire politique de la chaussure

Qu’il s’agisse des escarpins Manolo Blahnik de Carrie Bradshaw ou des bottes Chanel d’Andrea dans Le diable s’habille en Prada, les chaussures sont un élément essentiel, symbolique, d’un look. Elle peuvent définir le goût, la culture et même la liberté sexuelle. Leur influence va encore plus loin quand elles deviennent, parfois, des instruments de lutte politique.

La naissance de la chaussure

Tout commence dans l’Antiquité. La chaussure est née en Egypte antique pour protéger le pied de la chaleur du sol. Toutefois, rapidement la chaussure devient plus qu’un simple objet utile. Par exemple, la collection de mules de Marie-Antoinette témoigne d’une volonté d’afficher son statut social, son pouvoir politique.

Des siècles plus tard dans les pays occidentaux, la chaussure suit la mode et prend une place importante jusqu’à aujourd’hui. En politique, la chaussure est considérée comme un outil de contestation populaire. Le terme shoeing désigne d’ailleurs en anglais l’action de lancer sa chaussure sur autrui. L’exemple le plus marquant étant celui du journaliste irakien al-Zaidi, qui a jeté sa chaussure sur le président américain G.W.Bush en septembre 2008.

Al-Zaidi contre G. W. Bush

A Bagdad, le président des Etats-Unis Georges W. Bush fait un discours lorsque deux chaussures, l’une après l’autre, sont jetées contre lui. Le journaliste Muntadhar al-Zaidi réalise un tel geste en signe de protestation contre la politique américaine au Moyen-Orient. Le Président réussit à échapper aux chaussures pendant que les gardes de sécurité sautent sur le journaliste pour le sortir de la salle. Une fois l’ambiance apaisée, le chef d’Etat reçoit de nombreuses excuses des journalistes irakiens présents à la conférence.

Une réplique de la chaussure jetée sur le président américain exposée à New York. © Mmuseumm

Malgré un happy-ending et une réaction humoristique de G. W. Bush, cet événement donne la naissance au shoeing et devient mondialement connu. Une représentation de la chaussure est exposée dans le musée Mmuseumm à New York (un musée d’art contemporain). Les vraies chaussures ont été détruites pour éviter qu’elles ne deviennent un symbole.

Depuis al-Zaidi, des événements similaires ont eu lieu au Canada, au Pakistan, en Grande Bretagne ou en Australie. A Taïwan par exemple, le shoeing était devenu un geste de protestation si important qu’en 2013, le gouvernement de Ma Ying-jeou a dépensé plus de 11 000 euros pour installer un filet pour protéger le président contre les chaussures à chaque événement auquel il assistait.

Shoeing et féminisme

En 2014 en Turquie le mouvement #geliyorterlik  (le chausson s’approche) se répand partout dans le pays et inspire les femmes à poster des photos de leurs chaussures sur Instagram. C’est la députée turque Aylin Nazliaka qui lance le mouvement. Elle est ainsi devenue une icône féminisme dans un pays qui essaye de limiter la liberté des femmes. Dans les pays islamiques, le lancement de chaussure ou l’exposition de la semelle est considéré comme une insulte majeure.

Tout commence alors dans le parlement turc lors d’une séance où Nazliaka s’emporte et insiste pour que les législateurs changent un projet de loi et autorisent le vote aux victimes de violence conjugales vivant dans des refuges pour femmes battues. Elle menace l’un de ses détracteurs de jeter sa chaussure contre lui mais elle s’arrête, affirmant que “c’est pas la peine puisque mes chaussures ont plus de valeur que lui”. Dans un pays comme la Turquie où le président Recep Tayyip Erdogan a tenté de mettre en place une restriction de l’avortement, où la violence domestique est un problème majeur, la féministe Aylin Nazliaka se bat à coups de chaussures pour les droits de ses compatriotes.

Shoeing en Europe

Le cas le plus récent dans l’histoire du shoeing se déroule à Strasbourg le 23 octobre 2018. Angelo Ciocca, eurodéputé de l’extrême droite (La Ligue, l’un des deux partis de la coalition au pouvoir en Italie) exprime son désaccord envers le rejet du budget italien par la Commission européenne en écrasant  avec sa chaussure les notes de commissaire européen Pierre Moscovici.

À la fin de la conférence de presse de Pierre Moscovici, Angelo Ciocca rejoint la tribune et prend les notes de ce dernier sur la table. Il enlève une chaussure et l’écrase sur les feuilles devant les yeux du commissaire français. Plus tard, l’eurodéputé italien défendra son geste sur son compte Twitter : ‘’À Strasbourg j’ai marché (avec une semelle faite en Italie ! ! !) sur la montagne de mensonges que Moscovici a écrite contre notre pays ! ! ! L’Italie mérite le respect’’

La réponse du commissaire Moscovici n’a pas tardé  : “L’épisode de la  “chaussure  made in Italy” est grotesque.  Au début on sourit et on banalise parce que c’est ridicule, puis on s’habitue à une sourde violence symbolique, et un jour on se réveille avec le fascisme. Restons vigilants ! La démocratie  est un trésor fragile.’’ La Commission a rejeté le budget italien et a demandé au gouvernement de la coalition de lui présenter un budget révisé sous trois semaines. Made in Italy signifie une certain style, mais pas toujours celui qu’on imagine.

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