Pour finir en beauté la 15ème édition du festival Bordeaux Rock, les organisateurs ont misé dimanche sur une soirée de clôture exceptionnelle, réunissant le fleuron de la scène bordelaise et des vétérans de la scène expérimentale new-yorkaise. Un final en apothéose, au delà des espérances.
Entamée avec le concert de Peter Hook & The Light (rejouant le catalogue de ses ex-groupes Joy Division et New Order avec un certain panache) le mercredi 23 janvier, la semaine passée fût électrique à Bordeaux. Qu’il s’agisse de la soirée “Rock en Ville” du jeudi, du concert événement de Tender Forever le vendredi ou de la grande kermesse à prix libre autour de Mars Red Sky, Astaffort Mods, Gordon et autres King Khan le samedi, difficile de ne pas ressentir l’énergie particulière qui régnait sur la métropole, notamment à la tombée de la nuit. L’association Bordeaux Rock (également label et organisatrice du festival Musical Écran) a su, une fois encore, réveiller la belle endormie en plein hiver, à l’image de sa soirée de clôture, haute en couleurs et pleines de bonnes vibrations.
Th Da Freak, une première partie en forme de consécration
S’il y a bien un groupe qui a du mal à cacher ses influences parmi les talents émergents bordelais, c’est bien Th Da Freak. Bercés au rock 90’s de Nirvana à Sonic Youth, c’est donc en toute logique que le groupe figurait en première partie de l’une de leurs idoles absolus.
Porté par la fougue de ses membres aux chevelures et “costumes” divers et variés, difficile de résister au son gargantuesque du quintet bordelais. Après une entrée en matière timorée, le temps d’apprivoiser la salle, sa taille et son public, les chevaux sont lâchés : la déferlante Th Da Freak s’abat sur la salle des fêtes de Grand-Parc, n’épargnant rien ni personne.
Qu’il s’agisse de l’entêtante Thick Head, du garage foutraque de Bitten by a dawg ou bien de la parenthèse micro en main du touchant Fuck My Songs and All My Thoughts, la magie opère. Les fans de riffs abrasifs, d’attitude déjanté, d’énergie brute et de paroles douces-amères sont comblés, et rares sont ceux à ne pas être emportés dans le tourbillon sonore que génère la formation. Après un peu plus d’une demie-heure de set, le groupe peine à quitter la scène, devant les applaudissements et l’hystérie d’un public conquis, ravi de découvrir que l’héritage des formations phares des années 90 a encore de beaux jours devant lui.
Thurston Moore Band, un ensemble aux frontières du réel
Ex-Sonic Youth, Thurston Moore évolue depuis plus d’une dizaine d’année dans différents projets à visées plus ou moins expérimentales, mais toujours passionnants. Entouré cette fois-ci de Debbie Googe (My Bloody Valentine), James Sedwards (Nøught), Jen Chochinov (Schande), Jon Leidecker (Wobbly) et Jem Doulton (Róisín Murphy), l’ensemble n’est ni plus ni moins que la crème de la scène indie expérimental et doucement pop. Autant dire qu’après sa venue mémorable, en acoustique et en solo, au Musée d’Art Contemporain de Bordeaux en 2017, l’événement est attendu de pied ferme.
21h : entrée subtile et en douceur pour ce “New Noise Guitar Explorations” dont les musiciens se partagent guitares douze cordes, basse six-cordes, dispositif électronique et batterie. Un arpège à l’accordage et aux dissonances si caractéristique du jeu du géant américain résonne, puis deux, puis trois, et c’est bientôt un tourbillon d’harmoniques, de questions-réponses entre les différents musiciens, successions de jeux sur le timbre, les textures, les échos qui se croisent et s’entrecroisent durant plus d’une heure, créant une masse musicale fluctuante, protéiforme, prodigieuse. Une improvisation ininterrompue découpée en “sections” (si l’on en croit les quelques grilles qui traînent sur les pupitres) pour le plus grands plaisirs des oreilles, flirtant avec des espaces méditatifs ou plus tribaux.
Entre musique contemporaine, structures post-rock et envolées transcendantales, c’est une nouvelle dimension qui s’ouvre et se referme le temps de cette performance hors du commun. Dos au public et concentré, tel un chef d’orchestre qui jouerait pour la première fois une toute nouvelle oeuvre, Thurston Moore en impose. Par sa carrure bien-sûr (on pense, dans le même registre, à la prestance et la direction de Michael Gira des Swans) mais aussi par sa sérénité et sa capacité à se plonger corps et âme dans le son, tenant son auditoire en haleine et dans un silence quasi-religieux. A la fin du set, alors qu’il faudra au public de longues minutes pour retrouver ses esprits après ce voyage sonique exceptionnel, Thurston Moore prend la parole, sans micro, pour contextualiser cette nouvelle pièce. Dédiée à trois artistes féminines déterminantes pour son inspiration (Alice Coltrane, Moki Cherry et Jayne Cortez), elle marque une fois de plus son amour pour des formes musicales éclatées, des inspirations pluridisciplinaires et sa capacité à inscrire, avec des propositions musicales en constante évolution, une expérience hors de l’espace et du temps.
La salle se vide peu à peu tandis les premières discussions, soufflées, tentent de décrire l’expérience et le voyage intérieur que chacun vient de vivre. Partout, des étoiles dans les yeux et des mines réjouies, à l’image de cette semaine forte en émotion, qui nous laisse avec une unique pensée en tête : vivement la prochaine édition.