Mercredi 23 janvier, Juan Guaidó, président du Parlement vénézuélien et figure principale de l’opposition à Nicolas Maduro, s’est autoproclamé président par intérim de la République bolivarienne du Venezuela.
Le jeune député de droite et membre de Volonté Populaire, parti fondé en 2009 par l’opposant Leopoldo Lopez, a donc créé une situation inédite en revendiquant la prise du pouvoir en lieu et place du président élu. Une déclaration qui a suscité applaudissements et soutiens immédiats de la part des Etats-Unis et d’onze des quatorze Etats du groupe de Lima, qui avait été créé afin de mettre un terme à la crise vénézuélienne. Six Etats européens, dont la France, ont quant à eux donné jusqu’au dimanche 3 février à Nicolas Maduro pour convoquer de nouvelles élections libres, faute de quoi ils reconnaîtraient Juan Guaidó comme nouveau président. Un ultimatum que le président investi pour la deuxième fois le 10 janvier dernier a d’ores et déjà fermement rejeté.
D’autre part, cette annonce a provoqué les cris d’orfraie de la Russie, de la Chine, de la Turquie ou encore du Mexique, qui ont dénoncé un coup d’Etat orchestré par l’impérialisme américain. Ils n’ont pas manqué de rappeler la tentative ratée contre Chávez en 2002, largement aidée par Washington et plusieurs grands médias. Les alliés de toujours du Venezuela, Cuba et la Bolivie, ont quant à eux réaffirmé leur soutien à Nicolas Maduro. Jean-Luc Mélenchon, leader de la France Insoumise, espère, lui, qu’il « tienne ».
Un régime au bord du gouffre
Alors que les mobilisations contre le gouvernement, lancées mercredi dernier à l’initiative de l’opposition, ont conduit à une grave escalade de la violence – 35 morts et plus de 850 arrestations au lundi 28 janvier 2018 -, le régime socialiste vit actuellement un tournant.
Pour David, la trentaine, expatrié en Colombie : « cette vague de protestations a été particulièrement violente du côté du gouvernement, ce qui m’inquiète beaucoup. En 2014, en six mois de manifestations, il y a eu environ 130 morts et 3 000 prisonniers ; en 2017, après quatre mois, 163 morts et plus de 5 000 prisonniers ; aujourd’hui, on en est à peine à deux semaines et il y a déjà 40 morts et plus de 1 000 prisonniers. Cela montre que Nicolas Maduro se maintient au pouvoir par la violence et qu’il est dans une situation si critique que la répression augmente ».
Comme les réactions internationales en témoignent, le gouvernement vénézuélien compte toujours des soutiens régionaux et internationaux auprès de certaines factions d’extrême-gauche ou des principaux opposants à l’impérialisme états-unien, Russes et Chinois en tête de liste.
Cependant, il est aujourd’hui difficile, voire intellectuellement malhonnête, d’ignorer le virage autoritaire pris par le régime depuis le début de la crise institutionnelle en 2014. Les principaux opposants ont progressivement été mis hors état de nuire : Leopoldo Lopez est assigné à résidence, Henrique Capriles, candidat à l’élection présidentielle en 2013, est lui condamné à quinze ans d’inéligibilité présidentielle, alors que Freddy Guevara, ancien vice-président de l’Assemblée, est pour sa part réfugié à l’ambassade du Chili. Multiples violations des droits de l’homme, réélection illégitime en mai 2018, contrôle politique de la Cour Suprême, etc. : longue est la liste d’exemples témoignant du caractère anti-démocratique et illibéral du régime vénézuélien.
Pour autant, les événements des jours passés ont amené plusieurs observateurs à alerter sur les dangers d’une telle arrivée au pouvoir, bien qu’elle ne soit jusqu’à présent pas soutenue par l’armée. Une transition vers un régime démocratique est nécessaire et appuyée par une majeure partie de la communauté internationale et surtout par des millions de Vénézuéliens, qu’ils demeurent sur le territoire de la république bolivarienne où qu’ils aient fui le pays. Il n’empêche qu’il soit sain de s’interroger sur les risques concernant une arrivée au pouvoir de Juan Guaidó par un tel cheminement.
De la chute du modèle chaviste…
Un petit retour en arrière s’impose. Hugo Chávez, au pouvoir au Venezuela de 1999 jusqu’à sa mort en 2013, avait réussi à mettre en application sa « révolution bolivarienne », en réduisant massivement la pauvreté et permettant à son pays d’enregistrer un boom économique inédit pendant près de vingt ans. En surfant sur la vague de gauche déferlant sur l’Amérique latine dans les années 2000 – les Kirchner en Argentine, Evo Morales en Bolivie, Rafael Correa en Equateur, Pepe Mujica en Uruguay ou encore Lula au Brésil – communément appelée « giro a la izquierda », il a joui d’une forte popularité auprès des classes populaires et s’est affirmé comme une figure forte de l’opposition à l’hyperpuissance états-unienne.
Cependant, en se basant uniquement sur l’exportation du pétrole, qui représente 95 % des exportations vénézuéliennes, Chávez a pris le risque de ne pas diversifier les sources de revenus de l’économie nationale. Ce que plusieurs économistes latino-américains ont nommé « rentisme pétrolier », l’idée qu’une croissance du prix de l’or noir allait bénéficier infiniment au Venezuela, a alors gangréné la pensée commune, et surtout l’esprit des faiseurs de l’action publique, et a donc rendu l’économie vénézuélienne totalement dépendante de facteurs exogènes, parmi lesquels le prix du baril.
Lorsque celui-ci a brutalement été divisé par deux en 2015, la production pétrolière, et par conséquent l’économie nationale, ont logiquement dégringolé. En effet, à la fin des années 1990, la production du pays excédait les 3 millions de barils par jour ; aujourd’hui, elle ne dépasse pas 1,3 million. Par ailleurs, d’autres facteurs ont contribué à paralyser l’économie vénézuélienne, parmi lesquelles une inflation structurelle à deux chiffres, une corruption endémique, ainsi qu’au niveau international, les nombreuses sanctions économiques des Etats-Unis.
La crise institutionnelle que traverse le Venezuela depuis plusieurs années ne saurait pour autant se résumer à cet aspect économique. D’un point de vue politique, le chavisme n’a en effet pas survécu à la mort de son créateur, véritable leader charismatique au sens de Weber, qui aura façonné une idéologie indissociable de sa personne. Depuis son arrivée au pouvoir en 2013, Nicolas Maduro n’a su assumer le rôle d’héritier qu’on attendait de lui, et ce qui était initialement une crise de gouvernance a peu à peu dégénéré en régime autoritaire.
… à l’autoritarisme de Nicolas Maduro
Ainsi, dès décembre 2015, le gouvernement a perdu la majorité à l’Assemblée, gagnée par l’opposition. Cependant, il s’assura un contrôle du pouvoir judiciaire en faisant désigner des membres de la Cour Suprême acquis au pouvoir exécutif par l’ancienne majorité parlement chaviste, juste avant que l’opposition devienne majoritaire au Parlement. De plus, en 2016, alors que l’opposition avait recueilli assez de signatures pour l’organisation d’un référendum révocatoire, validé par le Conseil National Electoral (CNE), ce dernier fut mis en péril par le gouvernement.
En 2017, la situation s’aggrava lorsque la Cour Suprême déposséda l’assemblée de ses compétences législatives et se les attribua, privant ainsi l’opposition de tout pouvoir. Au cours des violentes protestations qui suivirent d’avril à août, les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre firent 163 morts, selon l‘Observatoire vénézuélien des conflits sociaux (OVCS), un organisme d’opposition au régime.
Quelques exemples parmi tant d’autres qui illustrent la dégénérescence progressive du modèle chaviste et le glissement vers un modèle autoritaire, parallèlement à une récession économique toujours plus forte. Comme le résume parfaitement Edgardo Lander, sociologue vénézuélien, dans un article du Monde Diplomatique : « brinquebalant, l’édifice tenait grâce à deux clés de voûte, résume Lander : Chávez et la rente pétrolière ».
Une crise généralisée
A la conjonction des tensions économiques et politiques, s’était greffée une crise énergétique, comme nous le soulignions dans un article en 2016. Si la situation était déjà critique à l’époque, elle a aujourd’hui empiré, jusqu’à se transformer en l’une des plus graves crises humanitaires mondiales.
En effet, la population souffre d’une pénurie des stocks alimentaires et d’une insuffisance de médicaments qui ont facilité le développement d’un marché noir, aux prix extrêmement élevés. Les queues interminables, les rationnements et les étalages vides rappellent les dernières heures de l’URSS ; dans une vidéo de juin 2017, le youtubeur mexicain Luisito Comunica avait, déjà à l’époque, donné un aperçu préoccupant d’un supermarché à Caracas. Il a également mis en lumière l’insécurité permanente en expliquant l’agression dont il a été victime, rappelant ainsi que Caracas est la deuxième ville la plus violente au monde.
De plus, le pays se caractérise par une hyperinflation qui dépasse tout entendement, de 1 370 000 % en 2018 selon le FMI, et pourrait atteindre 10 000 000 % cette année, rappelant celle de la République de Weimar. L’année dernière, la récession économique a été de 18 %. Le prix du « pan de jamón », ou pain au jambon, aliment basique, a par exemple augmenté de 225 000 % en 2018. Pour faire face à l’hyperinflation, le gouvernement a décidé en 2018 de retirer cinq zéros de la monnaie nationale, passant du bolívar au « bolívar soberano », et de lancer une cryptomonnaie, le « Petro », la première monnaie virtuelle émise par un Etat souverain. Sans résultat concret jusqu’à présent.
Enfin, et surtout, selon le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR), 5 000 Vénézuéliens quittent le pays chaque jour, soit près de 3 millions de personnes depuis le début de la crise. Dans la ville frontalière de Cúcuta, en Colombie, on enregistre dans les maternités plus de naissances de bébés vénézuéliens que colombiens depuis août dernier. D’une grave crise institutionnelle, ce pays en est donc arrivé à une situation d’urgence humanitaire, des milliers de citoyens vénézuéliens prenant la route chaque jour vers la Colombie, la plupart tentant de rejoindre ensuite l’Equateur et le Pérou.
Certains leaders proches de Washington
Dans ce contexte de crise, le mécontentement croissant de la population et les revendications incessantes pour un changement de régime sont plus aisés à comprendre, en particulier pour les plus démunis. Pour autant, l’opposition au gouvernement a souvent été qualifiée de bourgeoise et accusée par le président vénézuélien et par ses soutiens d’être influencée par l’impérialisme occidental.
Ainsi, le président institué le 10 janvier dernier clame toujours être le représentant du peuple, et que « l’immense majorité des vénézuéliens » qui sont derrières lui sont « rendus invisibles » par les médias, comme il l’a affirmé dans un point presse vendredi 25 janvier. Au contraire, il s’affirme victime d’une oligarchie qui, corrompue par la puissance américaine, cherche à le renverser. Juan Guaidó, « un gamin qui joue à la politique », selon les mots de Nicolas Maduro, n’échappe pas à cette critique pour les appuis du gouvernement actuel, bien que lui-même se revendique être un enfant des classes populaires, étant le fils d’un chauffeur de taxi.
Ces affirmations, si elles peuvent d’apparence sembler empreintes d’une certaine paranoïa, sont en partie véridiques. En effet, l’ombre de l’Oncle Sam planant sur son « arrière-cour », pour reprendre l’expression popularisée depuis la doctrine Monroe, n’a jamais disparu en Amérique latine, en particulier au Venezuela où les enjeux pétroliers sont prééminents pour la puissance nord-américaine. D’autant plus que l’Organisation des Etats Américains (OEA) et son secrétaire général, Luis Almagro, souvent présentée comme un organe d’ingérence des Etats-Unis en Amérique latine, affiche également un soutien inconditionnel à Juan Guaidó.
De plus, les fers de lance de l’opposition ont souvent eu des liens étroits avec la haute bourgeoisie nationale et les Etats-Unis. Maria Corina Machado, une des principales figures de l’opposition derrière Juan Guaidó, n’a par exemple jamais caché son goût pour l’orthodoxie économique et plus précisément pour le « capitalisme populaire ».
Une opposition autrefois divisée et maintenant unie
C’est donc la relation étroite de certains membres de l’opposition avec Washington et le fait que les Etats-Unis appuient les manifestations avant même leur début – Mike Pence avait invité les opposants vénézuéliens à sortir dans la rue – qui ont conduit de nombreux soutiens du régime à dénoncer un coup d’Etat.
« Pour la première fois, l’opposition est unie derrière un homme »
David
Cependant, bien qu’il existe toujours un nombre non négligeable de sympathisants de Maduro parmi les Vénézuéliens, mettre en opposition le peuple chaviste à la bourgeoisie est dépassé. En effet, de nombreux individus issus des classes populaires en sont venus à protester contre le gouvernement de Maduro en raison de leur précarité extrême, et l’opposition est désormais plus hétéroclite, mais unie contre Maduro.
Comme le souligne Maria Fernanda, une jeune vénézuélienne qui étudie en Espagne, « depuis son arrivée au pouvoir, avec la débâcle économique et tout ce qu’il s’est passé, il a perdu environ les trois quarts des soutiens qu’il avait auparavant ». De plus, elle évoque un certain clientélisme qui, s’il a permis à Nicolas Maduro de garder des voix, se retourne aujourd’hui contre lui. Les Comités locaux d’approvisionnement et de production (CLAP), un mécanisme créé en 2016 afin de distribuer des produits de première nécessité aux populations défavorisées, ont ainsi été l’objet de nombreuses critiques. « Certaines personnes ne pouvaient recevoir les caisses d’aliments si elles ne votaient pas pour le Partido Socialista Unido de Venezuela (PSUV), le parti au pouvoir » affirme Maria Fernanda.
L’opposition, aussi hétérogène qu’elle soit, est ainsi beaucoup moins divisée qu’auparavant selon elle. Même son de cloche du côté de David : « c’est la troisième vague de protestations massives, après celles de 2014 et de 2017. Mais le panorama est très différent, car pour la première fois, l’opposition est unie derrière un homme, qui semble dépourvu d’intérêts ».
Alors, coup d’Etat ou respect de la Constitution ?
Plusieurs analystes ont avancé que l’autoproclamation de Juan Guaidó n’était pas un coup d’Etat mais qu’elle était au contraire bien légale et s’appuyait sur des mécanismes ancrés dans la Constitution votée sous Chávez. En particulier, les adversaires du régime ont mis en exergue l’absence de légitimité de Nicolas Maduro, dont la réélection en mai 2018 a été contestée par de nombreux Etats à l’échelle internationale.
« C’est l’aspect le plus important de ce qu’il se passe actuellement » affirme Maria Fernanda. « Son argument est totalement légal, ce n’est pas une prise de pouvoir arbitraire. 47 pays n’ont pas reconnu la réélection de Nicolas Maduro en mai 2018 ! J’étais au Vénézuela au moment de l’élection, l’abstention a été considérable. Les rues étaient vides ». En effet, selon le gouvernement, l’abstention aurait atteint 54 % lors de cette élection ; l’opposition la situe quant à elle à plus de 80 %.
Ainsi, l’opposition a considéré cette absence de légitimité, à la fois internationale mais également nationale, l’Assemblée ne reconnaissant pas cette élection, comme un manquement absolu du président élu, devant conduire selon l’article 233 de la Constitution à une nouvelle élection. Juan Guaidó a donc assuré se fonder sur les dispositions de cet article et, accusant Chávez « d’usurpateur », a affirmé être prêt à assumer temporairement le rôle de Président de la République bolivarienne du Venezuela, jusqu’à l’organisation de nouvelles élections. Selon ses soutiens, il ne s’agirait donc pas d’une auto-proclamation comme on pu le lire çà et là, mais bien d’une application de la Constitution.
Ce que confirme David, pour qui « la sortie se pose maintenant selon le prisme de la Constitution, quelque chose jamais vu auparavant. Le fait que Juan Guaidó assume le rôle de président par intérim en respectant la Constitution lui donne également une certaine légitimité, tant au niveau national qu’international ».
Cependant, le constitutionnaliste Pedro Afonso del Pino, interrogé par BBC Mundo, émet pour sa part quelques réserves, et juge cette utilisation de la Constitution éminemment politique, étant donné que cet article est normalement prévu en cas de mort, d’incapacité physique ou mentale, ou encore de démission. Cette instrumentalisation de la Constitution est aux yeux de certains la raison pour laquelle ils dénoncent une amorce de coup d’Etat institutionnel. Une certaine partie de la gauche française a en effet critiqué l’appui de Macron à Juan Guaidó, le considérant comme la légitimation d’un coup d’Etat.
« J’étais au Vénézuela au moment de l’élection, l’abstention a été considérable. Les rues étaient vides »
Maria Fernanda
Maria Fernanda, de son côté, comprend que certaines personnes puissent émettre des doutes et évoquer l’idée d’un coup d’Etat, mais elle ne partage pas cette opinion, en partie car l’armée est toujours dans le camp du régime. « Je le comprends, mais ce qu’il se passe actuellement est plus une restitution du pouvoir au peuple et au seul organe légitime aujourd’hui, l’Assemblée », affirme-t-elle.
La volonté du peuple avant l’ingérence
A propos de l’ingérence américaine, elle souligne deux aspects : « Je pense que l’appui quasi instantané des Etats-Unis a été essentiel car il a amené d’autres pays à se prononcer. L’Espagne, depuis des années essayait de lancer un dialogue mais n’y arrivait pas ». Pour autant, elle affirme que « les Etats-Unis le font bien entendu car ils ont beaucoup d’intérêts liés aux ressources en pétrole du Vénézuéla », et que le fait qu’ils aient atteint une autosuffisance énergétique leur permet d’exercer aujourd’hui une pression qu’ils ne pouvaient faire avant.
La comédienne Joanna Hausmann, vénézuélienne expatriée aux Etats-Unis et critique du régime de Maduro, a affirmé dans une vidéo parue le 28 janvier que ce qu’il se passait actuellement n’était pas un coup d’Etat appuyé par les Etats-Unis, ni une bataille idéologique entre la gauche et la droite vénézuéliennes, mais bien « le combat d’une grande majorité de Vénézuéliens pour se en finir démocratiquement avec une dictature ».
Certes, l’impérialisme américain en Amérique latine demeure une menace constante, d’autant plus aujourd’hui alors que le Venezuela est un des derniers bastions de la gauche sur le continent. Cependant, voir uniquement en la situation actuelle une manœuvre de Washington, visant à mettre une marionnette au Palais de Miraflores afin d’avoir un contrôle sur l’or noir, comme au bon vieux temps du Plan Condor, c’est sans doute sous-estimer la volonté du peuple vénézuélien. Il convient également de rappeler que le premier créancier du Venezuela est actuellement la Chine, et que le deuxième est la Russie, premiers Etats à critiquer une « ingérence cynique » des Etats-Unis dans la politique vénézuélienne.
Le rôle clé de l’armée
L’armée vénézuélienne, jusqu’à présent soutien inconditionnel du président Maduro, jouera un rôle prééminent dans les semaines à venir. En effet, tant qu’elle restera du côté du régime, malgré la légitimité de l’Assemblée nationale et l’appui du peuple, il sera compliqué pour Juan Guaidó de composer un gouvernement de transition en l’attente de nouvelles élections.
Ce dernier l’a bien compris, et c’est la raison pour laquelle il a fait un appel du pied aux militaires en promettant l’amnistie et la réconciliation pour certains coupables de crimes. L’attaché militaire de l’ambassade du Venezuela à Washington a déjà déserté, samedi, en appelant « ses frères militaires » à le suivre.
Sans l’appui de l’armée en revanche, la transition semble plus ardue. « Ce qui me préoccupe le plus, c’est l’obstacle que constituent aujourd’hui les forces armées, affirme David. Elles restent fidèles au régime actuel, et on se demande pour l’instant s’il y a assez de coordination au sein de l’armée pour qu’elle se détache du pouvoir ».
Selon Steven Levitsky, professeur de science politique à Harvard, il est fort peu probable que Maduro négocie une transition, car il y perdrait tout, alors que l’armée serait plus à même de le faire. Cependant, pour cela, il faudrait qu’elle rejoigne le camp de l’opposition… et alors, les menaces de coup d’Etat militaire pourraient paradoxalement revenir sur la table.
Vers une véritable transition démocratique ?
Ainsi, comme très souvent en géopolitique, il est malheureusement impossible de raisonner selon le discours manichéen du méchant contre le gentil. Face à cette polarisation du débat, il est donc nécessaire de préférer la nuance. Il est en effet tout à fait possible de revendiquer la fin du régime dictatorial en ayant des doutes sur la transition démocratique à laquelle nous pourrions actuellement assister.
Car le problème ici n’est pas de trouver un consensus sur le départ de Maduro, comme le montre un sondage d’Ideia Big Data, qui, à partir d’un panel certes limité – 800 personnes – conclut que 78 % des sondés souhaitent la destitution de Nicolas Maduro. Le problème, est de savoir par qui, et comment le remplacer.
L’espoir est permis
Les peurs d’ingérence américaine sont légitimes, au vu des enjeux pétroliers et du passif interventionniste de l’hyperpuissance dans la région. Tout comme le sont celles relatives à une prise de pouvoir de l’armée qui ferait plonger le Venezuela dans une nouvelle dictature. Pour autant, comment condamner la vague d’espoir naissante chez de nombreux Vénézuéliens, qui vivent sous le joug d’un régime autoritaire depuis plusieurs années ?
La promesse de nouvelles élections libres, brandie par Juan Guaidó et ses soutiens, a fait émerger chez de nombreux Vénézuéliens un sentiment qu’ils n’avaient plus senti depuis longtemps. « Quand Guaidó parle, explique cette journaliste, il se passe quelque chose. »
« J’ai l’impression qu’il y a comme un espoir prudent au Venezuela, avec une opposition qu’on n’avait pas vue depuis tant de temps, unie, et qui placarde son objectif : l’organisation rapide d’élections libres. Je ne sais pas si nous allons vers un gouvernement de transition, si Nicolas Maduro va s’en aller ou pas, mais je sais que la situation ne restera pas inchangée après ça » conclut Maria Fernanda.