A l’occasion de l’édition 2018 des Utopiales début novembre, Benoît Delépine s’est vu proposer de devenir membre du jury. Maze l’a donc rencontré au cœur du festival nantais.
Benoît Delépine, l’air un peu perdu, commence par nous demander de courser à travers la Cité des Congrès de Nantes, Norman Spinrad, un grand auteur américain de littérature SF. Tombant nez à nez avec l’écrivain nous nous proposons donc de le photographier à côté de son idole… et également à côté d’une vieille dame en déambulateur que Benoît a immédiatement voulut sur la photographie ! S’en suit une discussion digressive d’anecdotes toutes plus drôles les unes que les autres autour de son cinéma. Gustave Kervern n’étant jamais très loin.
Sur le site internet des Utopiales, une petite biographie explicative dit que vous faites « des films souvent qualifié d’OVNIs alors qu’ils sont simplement d’un réalisme à la limite du supportable ». Êtes-vous d’accord avec cette phrase ?
(Rires) C’est moi qui l’ai écrite ! On me demande toujours une bio, donc j’ai mis ça…
Pensez-vous vraiment que c’est le seul aspect qui vous connecte à la science-fiction ?
Non pas seulement, je sors de dédicace de mon album sorti il y a peu qui s’appelle Now Future qui regroupe trois BD sorties il y a une plus de dix ans. C’est pour ça que je voulais voir Norman Spinrad car il a fait la préface de cet album. La science-fiction j’adore ça mais c’est plus jouable d’en faire en bande-dessinées qu’en film, parce qu’il faut tout de suite des moyens énormes. Même des films indépendants comme Ex Machina, qui ne coûtent que 15 000 000 de dollars, restent plus chers que les nôtres qui coûtent 4 000 000 d’euros. Donc je fais de la science-fiction qu’en bandes dessinées. Quand je parlais d’OVNIs c’est parce que les journalistes n’ont souvent pas d’autres mots donc ils le qualifient comme ça. Il suffirait quand même de qualifier nos films autrement… mais « OVNI » c’est un mot attrape-tout, c’est quand on a pas grand-chose a dire. Les situations dont on parle dans nos films sont pas si aberrantes. Mammouth c’est un mec qui cherche ses feuilles de retraite sur sa vieille moto, c’est arrivé a mon père, Le grand soir c’est un punk à chien qui essaye de faire la révolution… c’est pas si délirant que ça. Là dans nôtre dernier film c’est pareil il n’y a rien de si ovniesque, on pousse simplement la réalité un peu plus loin que la normale. Effectivement on sort de l’ordinaire mais ils pourraient le dire autrement que par le mot « OVNI ».
« C’est ça qui fait le fort des grands acteurs, ils ne sont pas effarés quand il y a des silences, même sans rien dire ils sont là ! »
En revanche vos personnages, eux, semble sortir de nul part, quel est le plus gros OVNI que vous avez filmé ? Avec tout de même une mention spéciale pour Michel Houellebecq.
C’est vrai que nos acteurs sont particuliers on va dire…
… la petite scénette de Houellebecq dans Saint-Amour est irrésistible !
Quand il reçoit Depardieu et Poelvoorde chez lui ! (rires) Il est extraordinaire. C’est un très grand écrivain et en tant que tel il met du temps dans le choix de ses mots. Sa littérature est géniale pour ça, il y a une vérité terrible dans chacune des phrases, aucun mots n’est choisi au hasard. En temps qu’acteur c’est pareil, un scénario prend tout son sens quand il l’interprète car il a pas peur des silences. C’est ça qui fait le fort des grands acteurs, ils ne sont pas effarés quand il y a des silences, même sans rien dire ils sont là.
Un acteur qui a un soucis avec le silence c’est sûrement Benoît Poelvoorde. C’est un autre genre d’OVNI…
Benoît il est toujours en mouvement, toujours en train de jacqueter, c’est vrai… Tu as vu notre premier film, Aaltra ?
Oui, justement venons-en là-dessus, dans Aaltra il n’a qu’une petite scène de dos, comment vous avez réussi à le convaincre d’apparaître dans le film ?
Effectivement on entend juste sa voix, on voulait pas voir sa gueule. Pour Aaltra on avait zéro thunes. Personne était payé, on avait juste assez d’argent pour une camionnette, le matériel pour tourner et les hôtels. Pour avoir Benoît, qu’on connaissait déjà un peu, il y avait qu’une seul solution c’était d’aller tourner chez lui, il pouvait pas nous dire non. On est vraiment cinglé, c’est un scénario très bizarre qu’on écrit pour pouvoir avoir les gens qu’on voulait faire tourner. On voulait rencontrer Aki Kaurismäki en Finlande donc on s’est démerdé pour trouver une histoire qui nous emmène en Finlande. On va aussi dans une compétition de motocross parce qu’il y avait un grand circuit à coté des chez Benoît Poelvoorde dans sa ville en Belgique, euh,…
…Namur ?
Oui voila, le motocross de Namur ! Donc c’est la première scène qu’on tourne de notre vie Gustave et moi. Nous voila à attendre Benoît avec notre chef opérateur, Hugues Poulain, qu’on ne connaissait pas. Comme on avait même pas d’habilleuse, la veille, on lui dit de venir avec le short le plus ridicule qu’il avait. C’était un short américain atroce, tout le monde s’est foutu de sa gueule. Nous on était speed car il y avait les essais motocross qui commençaient. Et puis on voit Hugues qui était bizarre, il avait le regard fuyant, il n’arrêtait pas de partir sans qu’on sache pourquoi. À un moment on lui demande ce qu’il se passe, il nous dit qu’il a oublié de commander les 4 barres en ferrailles qui tiennent l’objectif. Donc il se met à tailler dans des branches pour les fixer à l’objectif. On s’est retrouvé avec une caméra tenu par des branches pour tourner la scène qui a été gardé dans le film d’ailleurs. À la fin, Poelvoorde nous a demandé de voir la scène dans le combo mais on en avait même pas… On devait continuer de filmer sauf qu’il nous demande de le remmener, on avait rien pour le raccompagner. Il a fini par rentrer chez lui à pied avec son short moche pendant 2 heures (rires). Il était fou de rage…
Il y a un rapport aux corps très présent dans vos films avec souvent une volonté d’enlaidir vos acteurs ou en tout cas les éloigner des critères de beauté. C’est quelque chose de conscient ou plutôt une simple plaisanterie ?
On nous parle souvent de ça, c’est bizarre. Mais ce rapport n’est pas intentionnel. Simplement dans tous nos films, jusqu’au moindre figurant, ce sont des gens qu’on aime beaucoup, soit dans la vie soit au cinéma, donc on essaye de les mettre dans nos films, maintenant il y en a pas mal qui sont morts mais en tout cas ils sont dans nos films pour garder un souvenir. On ne fait pas de choix du style “on va prendre spécifiquement des gueules”, mais il se trouve que nos potes n’ont pas des gueules de jeunes premiers…
« Je me retrouve avec le bassin, les côtes, la clavicule et le crâne explosés, à moitié mort sur la route. »
Quand même Jean Dujardin avec sa coupe en brosse et son air idiot, c’est voulut non ?
Dujardin c’est différent, il se trouve qu’il ne pouvait pas non plus être le bellâtre absolu. On se rend compte dans le film que ce n’est pas un mec qui sort d’un grand hôtel mais plutôt un mec dans la zone total. Si il est bronzé c’est pas parce qu’il été sur la côte d’Azur mais parce qu’il vit dehors, il n’a pas non plus les moyens d’avoir une belle coupe de cheveux. Il y a un film des années 50 que j’adore, c’est The swimmer avec Burt Lancaster. C’est l’histoire d’un mec en slip de bain qui va chez ses voisins pour essayer leur piscine en faisant croire qu’il a fait le pari avec sa femme d’essayer toutes les piscines du quartier. Peu à peu tu t’aperçois que si il est en slip de bain c’est parce qu’il n’a plus rien du tout.
Dans votre film on finit par sentir inconsciemment qu’il va se passer quelque chose avec cette photo de l’abbé Pierre sans savoir précisément quoi. Puis dès que le personnage de Dujardin mais la photo dans sa veste, on sait que c’est pas innocent, ça devient un enjeu !
On voulais le montrer car plein de gens le connaissent pas ou plus. Le truc le plus dingue dans cette histoire c’est que le lendemain du tournage de LA fameuse scène (10 jours avant la fin du tournage) je pars avec le chevalier du Groland en virée moto dans les Pyrénées. En descendant vers le côté espagnol on longe un champs et d’un coup le cheval qui s’y trouvait saute la barrière et je me le prend en pleine face. Je me retrouve avec le bassin, les côtes, la clavicule et le crâne explosés, à moitié mort sur la route. Une fois les urgences sur place, je vois les pompiers espagnols qui sortent mon porte feuille -il mime la scène- et ils sortent ça ! (rires) -il en extrait une photo de l’abbé Pierre- le flip total… Gus a dut finir de tourner les quelques scènes restantes tout seul.
Ça vous est arrivé de prétexter un film parce que vous aviez envie d’aller à tel ou tel endroit ? Pour Saint-Amour, par exemple, il n’y a pas simplement l’idée de faire la route des vins avec Depardieu et Poelvoorde ?
Saint-Amour, à la base c’était vraiment de tout tourner dans le salon de l’agriculture mais nous n’avons pas eu le droit.
Vous n’avez pas eu d’autorisation pour le tournage ?
Non, on avait écrit un premier scénario ou le père se suicidait dans le salon de l’agriculture. Il avait entraîné son cheval de trait pendant des années pour lui envoyer une ruade dans la gueule, pour qu’au salon il puisse le tuer. Le salon a refusé tout de suite. Donc on a laissé reposer deux ans et on a remis ça sur le tapis en faisant évoluer le scénario jusqu’au résultat final du film. Souvent, c’est vrai qu’on essaye de mêler l’utile à l’agréable. J’avais envie, depuis des années, de voir mais aussi d’essayer la Mammouth qui est une moto sublime et unique, il en existe qu’une trentaine d’exemplaires dans le monde, j’en avais jamais vu donc la seule possibilité c’était de faire un film avec. La plupart des réalisateurs font du cinéma pour les actrices, moi je fais ça pour les motos.
Fréquemment Gustave Kervern apparaît dans vos films. Mais vous, à part le premier, on ne vous a jamais revu.
Gustave est un super acteur ! Comme je disait tout à l’heure un acteur doit pas avoir peur du silence et doit dégager quelque chose même quand il dit rien. Moi je sais que je n’ai pas ça, alors je ne veux pas flinguer un film à cause de moi ! Pour Avida Gus était génial, je trouvais ça dingue que les réalisateurs ne veuillent pas le faire jouer dans leur films. Heureusement quand on a présente Le grand soir à Cannes on a fait une soirée avec les Wampas qui nous a définitivement grillé avec le festival, tu remarqueras qu’on n’a plus jamais été invité après… C’est vrai qu’entre le concert et le doigt d’honneur que Gus a fait à Brad Pitt après c’était terminé (rires). Mais en tout cas ce soir-là on a connu Jean Dujardin et on s’est tapé dans la main en se disant qu’on fera un jour un film ensemble…
Et vous lui avez cassé le doigt !
Oui aussi. J’ai retrouvé l’autre jour, dans une salle d’attente, des photos d’un vieux VSD avec Gus torse nu dans la fête complètement bourré et Dujardin avec des tâches de vomi sur sa chemise, l’air complètement halluciné. On s’est donc connu à se moment-là avec Jean mais il y avait aussi Pierre Salvadori en train de gamberger sur son film. En voyant Gustave il a compris que c’était lui qu’il fallait pour Dans la cour !
Quel avenir pour Mickael Kael ?
Aucun ! Il n’en n’a jamais eu…Enfin là on continu nos émissions qui sont franchement pas mal, il y a de très bon sketch. Maintenant ça s’appelle le Zappoï depuis 2 ans. Depuis septembre je réapparaît dans des parodies de débats télé. Il y a tellement en se moment qui ne sont que du remplissage, on est capable de rester 2 mois sur l’affaire Benalla, c’est n’importe quoi. Donc on se fou de la gueule de ça en faisant des débats débiles…
« le cinéma français est tellement hanté par la Nouvelle Vague qu’il y a un rejet du cinéma d’univers inventé. »
Comment voyez vous le futur ? Basé sur l’entraide comme dans I feel good ? Ou alors un futur apocalyptique ?
Nous on va faire un truc apocalyptique avec Brigitte Fontaine, ce sera un petit film. On a monté notre boite de production qui s’appelle No Money Productions, qui coproduit nos films. Le fait de coproduire un film nous donne accès à un fond de soutiens. Cet argent nous permet de produire une partie des films suivent. Donc tous les 2 films on prend le pognon et on en fait un où on ne demande rien à personne, comme on avait fait pour Near death experience. Donc comme on a fait 2 films qui ont marché on va faire celui-là avec Brigitte Fontaine qu’on adore et qui va insulter tout le monde pendant 1h30.
Pour le coup avez plutôt été mal reçu…
C’est-à-dire que comme c’était un petit film ils nous ont donné très peut de place pour le distribuer. Mais on a été pris à Venise donc avec Michel Houellebecq et Gustave on était content.
Pourtant c’est probablement un de vos meilleurs films !
Oui je l’adore, surtout pour son final où on se retrouve dans le noir total dans la salle de cinéma comme si on se retrouvai mort nous aussi. Mais c’était un tournage particulier, Michel a perdu son père pendant la préparation du film, moi j’ai perdu ma mère pendant le tournage, et Gustave a perdu sa mère juste après. C’était très étrange.
Maze interview Marc Caro après vous, auriez-vous une question qu’on pourrait lui transmettre ?
Pas vraiment j’ai mangé avec lui ce midi ! C’est vraiment un pote, j’adore ce qu’il fait. Dernièrement il y a eu l’exposition Caro/Jeunet à Paris, on revoyait leurs travaux tous les deux avant même qu’ils fassent du cinéma ensemble. Je trouve qu’il y a un truc qui n’est pas juste par rapport à eux dans le sens où le cinéma français est tellement hanté par la Nouvelle Vague qu’il y a un rejet du cinéma d’univers inventé, du cinéma qui se fait taxer de superficiel. Des films comme les leurs sont souvent maltraités car cette Nouvelle Vague prend toute les références et sont donc jugés par rapport ce mouvement du cinéma. Donc leur films sont souvent mal reçu, je me souvient de certains qui les ont carrément descendu ! En ce moment Wes Anderson s’installe à Angoulême pour tourner son prochain film. J’ai eu la chance de me balader là-bas car je connais quelques personnes qui travaillent sur les décors du film, ils sont en train de construire des décors délirant dans une ancienne usine. Et je me dit qu’a par eux, il n’y a pas beaucoup de cinéaste qui arrivent à faire ça mais Caro et Jeunet ont réussi. L’autre problème aussi de ce genre de films c’est qu’ils coûtent chères à faire et quand donc quand tu fais un bide les producteurs ne te laissent pas en faire un autre. Marc Caro c’est pareil il a fait un film qui n’a pas fonctionné et il ne trouve plus de financement pour les autres. Peut-être que je ferais un truc avec lui un jour !