30 ans après la fin de la dictature militaire, le Brésil a à son tour cédé aux sirène de l’extrême-droite en élisant Jair Bolsonaro.
Après la condamnation de Lula, ancien président travailliste et grand favori pour briguer un troisième mandat, il n’y avait plus personne pour empêcher l’élection de Jair Bolsonaro, candidat d’extrême-droite, qui a atteint un score de plus de 55 %. Les idées progressistes ont été visiblement enterrées avec la chute des partis politiques traditionnels et le vote renversé de la gauche vers le plus puissant conservatisme. Comment en est-on arrivé à un maintien si précaire au Brésil ?
Précédemment, au Brésil…
Il est communément admis que le vote de l’extrême-droite au Brésil de ce 28 octobre dernier n’est que le reflet d’un rejet de la classe politique et du succès du candidat de l’anti-establishment, en période de crise, cette fois-ci sur le continent sud-américain. En effet, le Brésil vit une grave crise économique et politique après avoir enregistré une forte croissance pendant les années Lula (2003-2011) de la jeune démocratie du pays.
Depuis 2005, les partis sont accusés de corruption. Mais l’affaire Petrobras de 2014, qui a mis au jour la corruption des milieux industriels et politiques, a détruit les partis traditionnels. Le vote Bolsonaro s’imposait comme un vote anti-corruption car il n’était pas certain que les autres partis ayant exercé le pouvoir n’aient participé à un détournement d’argent. Trois des derniers Présidents brésiliens, Luiz Inacio Lula, Dilma Roussef et Fernando Henrique Cardoso ont été mis en cause. Lula a été incarcéré en avril 2018 et Dilma Roussef n’a pas pu poursuivre son mandat.
Dilma Roussef est aussi accusée d’être responsable de la crise actuelle. Les autres partis politiques, accusés également de corruption, n’ont donc pas prêté main forte au candidat travailliste Fernando Haddad contre le vote extrémiste, et ont au contraire souligné les erreurs commises notamment en matière de dépenses.
Le bon est la brute, contre les truands
Les élections brésiliennes ont été fortement polarisées. Le candidat d’extrême-droite élu, Jair Bolsonaro, est mieux connu pour ses propos misogynes, homophobes, anti-communistes et sa volonté de rétablir la torture, la peine de mort et de donner le droit de posséder une arme aux Brésiliens afin qu’ils puissent se défendre des gangs, que pour son programme politique. Certains envisagent un retour de la dictature à cause des propos qu’il a tenus. Le gouvernement qu’il forme comprend déjà parmi ses membres des anciens militaires. Néanmoins, ce genre de discours violent a pu être banalisé et accepté par les électeurs qui cherchent une solution à l’insécurité. Le Président de droite Michel Temer avait fait intervenir l’armée à Brasilia et Rio pour protéger la population contre la violence délinquante, ainsi le programme de Bolsonaro paraît moins dictateur qu’une tentative d’être efficace. Le carnaval de Rio avait été le lieu d’une extrême violence et celle-ci remet en cause l’image du pays. La détérioration de l’économie a mené le pays à vivre de plus intenses violences. Bolsonaro présente comme réponse à cette violence la même que le président Trump : privatisations, action minimale du gouvernement, exploitation des ressources protégées. Mais le nouveau Président s’est aussi engagé à respecter les accords internationaux et la démocratie.
Afin de convaincre les électeurs les plus potentiellement attirés par l’anti-establishment, il s’est rapproché des évangélistes depuis 2016, qui l’ont ensuite soutenu jusqu’à son élection. Les grandes villes du Sud du Brésil sont les principaux clients des évangélistes et le catholicisme est en baisse au Brésil. Ce sont de nouveaux urbains arrachés de leur tissu familial qui se convertissent. Ceux-ci sont bien moins progressistes, plus misogynes et homophobes. Fin septembre, à la suite d’une manifestation féministe, les pasteurs ont réussi à convaincre que ces dernières menacent l’ordre et la moralité de la société brésilienne et le vote Bolsonaro a alors gagné « cinq à six points » dans les sondages.
Les médias ont joué un grand rôle de diabolisation du parti travailliste alors que Haddad concourait au second tour contre Bolsonaro. Les évangélistes sont un soutien en cas de chômage et organisent la vie de leur fidèle. Ils possèdent des chaînes télévisées, là où Bolsonaro a été bien accueilli. Ils ont aussi milité sur les réseaux sociaux et les groupes WhatsApp, moyens de communication très populaires au Brésil.
Un vote raciste ?
Il est possible de faire ressortir un portrait type de l’électeur de Bolsonaro, qui ne le considère pas si autoritaire ou du moins dangereux. Pour certains, la démocratie passe ensuite, si le crime est puni. D’abord, la classe moyenne a été « désenchantée par la crise et apeurée par le déclassement ». Bolsonaro fédère « une partie de la bourgeoisie, des chrétiens évangéliques, du monde agricole et des milieux d’affaires ». Parmi les électeurs qui soutiennent un programme dur contre l’insécurité, on ne retrouve pas les premières victimes de la violence verbale misogyne, homophobe ou raciste, mais des Blancs les plus riches, les « groupes agro-exportateurs, les pasteurs évangéliques, les milieux financiers et économiques de Sao Paulo, les partis de droite “républicains”, les grands médias” entre autre, selon Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS. Les classes moyennes ont pu avoir accès à l’éducation grâce au programme de Lula mais elles souhaitent désormais s’enrichir et ce rêve les pousse à adhérer à des idées économiques plus libérales. Elles « rêvent d’entreprendre et de consommer » selon la Fondation Perseu Abramo et le parti Travailliste ne s’adressent plus à elles.
Le pays est aussi coupé en deux entre catholiques et évangélistes. Le vote Bolsonaro découpe le pays de la même façon. Les évangélistes au Sud du Brésil ont voté Bolsonaro, tandis que les catholiques plus progressistes présents principalement dans le Nord du pays se sont refusés à voter pour l’extrême-droite. En effet, l’Eglise avait joué « un rôle décisif dans la protection des mouvements sociaux et des libertés » pendant la dictature militaire. Il en reste néanmoins que la religion catholique est la principale confession au Brésil (64 %) contre un tiers d’évangélistes. Il faut se souvenir que le Pape avait dénoncé cet été l’avortement comme la preuve de la décadence de notre société, alors que Lula a toujours soutenu le droit à l’avortement. Le Pape rejette aussi l’homosexualité mais de manière plus nuancée, comme l’a fait Bolsonaro, dont les déclarations contradictoires à la manière de Trump servent à rendre ses précédents discours violents à l’encontre des minorités du pays acceptables. Il fallait aussi qu’une grande partie des plus grands joueurs lancent le message de voter Bolsonaro et une attaque au couteau contre Bolsonaro pour que le candidat d’extrême-droite cesse d’être perçu comme un danger mais devienne une figure de sauveur. Cependant, l’ONG Human Rights Watch à la suite de son élection a lancé « un appel urgent à protéger » la démocratie brésilienne.
A quoi ressemblera le Brésil ?
Le Brésil est une jeune démocratie d’à peine trente ans. L’extrême-droite a été portée par les populations les plus éduquées et les moins discriminées qui ont choisi la méthode la plus radicale pour lutter contre l’insécurité et la corruption dans le pays. Bolsonaro a aussi un profil et une campagne très similaire à celle du président Trump. Le Président américain n’est à ce jour pas encore détesté par la majorité de ses citoyens. A se demander si l’attitude de Trump n’a pas permis de banaliser l’extrême-droite, et si les possibles succès relatifs des prochains dirigeants extrémistes ne peuvent pas contribuer à étendre ce genre de mouvement. Bolsonaro aurait d’ailleurs déjà l’intention de gouverner par décret en cas d’opposition parlementaire. Le Brésil gagnera économiquement a exploiter la forêt amazonienne jusqu’alors protégée pour la survie de la biodiversité et de l’humanité, alors que les électeurs, ayant une confiance aveugle ou hypocrite, ne croient pas au désastre écologique ou aux déclarations de campagne de Bolsonaro. Le pays divisé entre deux votes ressemble fortement à l’Italie actuelle, bien que les partis au pouvoir s’accordent dans ce pays européen. Bolsonaro a d’ailleurs exprimé sa volonté de se rapprocher des Etats-Unis et de l’Italie en nommant un exemple européen, ainsi que d’Israël, malgré ses tendances protectionnistes.