CINÉMA

« After my death » – le baiser de la mort

Premier long-métrage du réalisateur Kim Ui-Seok, After my death est un constat effroyable des dérives de la société sud-coréenne. Il filme prodigieusement le désespoir qui anime ces adolescentes.

Des ombres de jeunes filles pénètrent dans un lycée, comme une armée funèbre. La mort semble planer au-dessus d’elles. Les lycéennes sont poussées par le système éducatif et leur famille à une certaine exigence d’excellence, pour pouvoir rentrer à l’Université. Une seule idée doit les animer : le travail,  et cet établissement est le véritable reflet de la société sud-coréenne. Un régime où les hommes prennent les décisions, figure  ici symbolisée par le directeur, les professeurs et les policiers. Cette culture militaire laisse peu de place à l’individualité et à la différence. Les héroïnes d’After my death, comme tous les jeunes sud-coréens, essaient tant bien que mal de trouver leur place. Mais la jeunesse est amenée à plonger dans un désespoir profond dont le seul échappatoire est le suicide.

Un geste de souffrance devenu banal en République de Corée, à tel point qu’un cadre de prévention a été mis en place auprès de certains ponts où des messages d’espoirs ont été disséminés pour dissuader ceux qui voudraient sauter. Là-bas, près de trente-six personnes par jour se donnent la mort, soit un taux bien au-dessus de la moyenne mondiale.

“Je suis cassé de l’intérieur. La dépression qui me ronge doucement m’a finalement englouti tout entier. (…) Ne me blâmez pas, mais dites que j’ai bien travaillé.”

Tels étaient les derniers mots laissés par le chanteur de K-pop Kim Jong-Hyun qui s’est donné la mort en 2017. Ces propos résument parfaitement l’ambition du réalisateur. Mais le suicide d’une des jeunes filles survient au tout début du film et n’est jamais expliqué. D’ailleurs, Kim Ui-Seok a pris le parti de commencer After my death comme un polar sud-coréen, dont il utilise les codes, avant de glisser avec effroi vers un drame social. Ce qui l’intéresse, il en a d’ailleurs fait le titre de son premier film. “Après ma mort”, soit après le suicide, il explore la réaction de l’entourage, celle de la mère, celle des membres du personnel du lycée, celle de ses camarades et surtout celle de son amie Young-hee formidablement interprétée par Jeon Yeo-Bin.

Chaque personnage cherche à se dédouaner, à rejeter la faute sur les autres pour trouver le ou la responsable de la disparition de Kyung-min. Une longue scène de funérailles traditionnelles les réunit dans un même espace-temps, faisant ressentir les tourments extrêmes des protagonistes. La principale victime de ce deuil est Young-hee, amie très proche de la disparue devenu rapidement le bouc-émissaire idéal de l’enquête. Ces jeunes filles isolées, à l’âge des premiers émois, entretiennent des relations ambiguës entre amitié et amour, dont découlent jalousie, rancoeur, persécutions voire même parfois une violence excessive. Par une mise en scène oppressante, le réalisateur rend parfaitement compte de la dureté de ces femmes entre elles, obsédées par l’idée de mort qu’elles s’offrent par un baiser. Il n’hésite pas à montrer les coups, le sang, la souffrance physique et psychologique qui s’éternise dans le temps jusqu’à devenir insupportable. Dans ce premier long métrage puissant et viscéral, Kim Ui-Seok a su saisir le fléau qui s’abat sur son pays.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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