CINÉMA

Rencontre avec Fred Cavayé : “Ça a été très compliqué pour moi de ne pas partir tourner aux États-Unis”

Entre Pour elle et Le Jeu, qui sort le 17 octobre, le réalisateur Fred Cavayé a tracé une voie singulière dans le cinéma français.

Son dernier film ressert les enjeux et nous entraîne dans un appartement où des amis vont passer une drôle de soirée. Ils vont mettre leurs téléphones au centre de la table et l’intimité de chacun va donc éclater à la tombée de la nuit. Nous avons rencontré Fred Cavayé lors de la tournée d’avant-premières de son film Le Jeu.

Avant d’être cinéaste, tu as travaillé en tant que photographe de mode pendant plusieurs années. Qu’as-tu retenu de cette expérience ?

Ça a été fondateur en termes d’images. Pour parler avec le chef opérateur d’un film, j’ai acquis une aisance au niveau du langage. Dans la narration, pour moi, le cadre est extrêmement important. Quand tu viens de la photographie, cela te parle. Tous les chefs opérateurs avec qui j’ai travaillé viennent du monde de la photographie. Le critère de la lumière n’était pas le plus important dans le choix du chef opérateur. Dès que je vois une photo prise par le chef opérateur, je sais tout de suite si on va pouvoir travailler ensemble. Il y a presque quelque chose d’organique dans ce rapport à la photographie. J’ai fait mes deux premiers films avec le même chef opérateur qui est Alain Duplantier. C’est avant tout un extraordinaire photographe et j’adore sa photo de Clint Eastwood en noir et blanc. Ensuite, j’ai travaillé avec un belge qui s’appelle Danny Elsen et il vient lui aussi du monde de la photographie. De plus, cette expérience de photographe m’a conforté dans mon rapport aux acteurs.

As-tu une méthode particulière pour diriger tes acteurs ?

Chaque comédien n’est pas en demande de la même chose. Certains ont besoin d’une intervention régulière du réalisateur et d’autres sont davantage autonomes. Un bon directeur d’acteurs doit accompagner ses comédiens en les mettant dans les meilleures conditions pour exprimer leur art. Il faut faire en fonction de l’être humain qui te fait face. Il ne faut pas tordre leurs outils pour qu’ils rentrent dans tes cases à toi, c’est l’inverse qui doit se passer. Le fait d’écrire les scénarios et en faire l’adaptation, ça permet de connaître tous les tenants et aboutissants des personnages.

Aux championnats du monde du courage, il n’y aura pas grand monde du milieu du cinéma sur le podium.

Comme tu évoques la question de l’écriture, ta première expérience en tant que scénariste de long-métrage a été pour un film intitulé La guerre des miss, réalisé par Patrice Leconte en 2008. Le film me semble complètement raté et je crois que Patrice Leconte préfère occulter cette expérience. Ça a été formateur pour toi ?

En réalité, j’ai écrit une première version du scénario qui n’a rien à voir avec la version tournée. Après, je suis parti pour réaliser Pour elle. Le ton du film que j’avais écrit était très second degré, avec un ton proche du cinéma des frères Farrelly. Quand Patrice Leconte a récupéré le projet avec d’autres scénaristes, ils ont voulu faire Bienvenue chez les Ch’tis. Le second degré devenait du premier degré et lorsque je l’ai vu en salle, j’étais mal à l’aise. J’ai appris beaucoup sur le fonctionnement de ce métier, plus que sur la technique d’écriture. Mais quand ça se passe bien, dans ce métier, tout le monde part en courant. Aux championnats du monde du courage, il n’y aura pas grand monde du milieu du cinéma sur le podium. Après, j’admire la filmographie de Patrice Leconte.

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Fred Cavayé et Vincent Lindon © crédit photo : Jean-Marie Leroy

C’est en 2008 que tu réalises ton premier film intitulé Pour elle. Il y a un motif qui revient dans presque tous tes films, c’est l’idée de se dépasser pour sauver l’être que l’on aime. Qu’en penses-tu ?

Je suis complètement d’accord. Il ne faut pas interpréter ça de manière racoleuse mais je fais plus du cinéma de spectateurs que de cinéphiles. En tant que spectateur, j’aime bien m’identifier au personnage que je suis. Ça amène une vraie sincérité et quand je réalise Le Jeu, c’est joué très premier degré et c’est la situation qui amène le rire. Quand il y a des séquences plus sensibles, les spectateurs peuvent être très émus.

En 2010, Paul Haggis tourne un remake de Pour elle et offre le premier rôle à Russell Crowe. Que penses-tu du film ?

Moi-même faisant un remake d’un film italien avec Le Jeu, je cerne davantage les contraintes et atouts liés à cette démarche. Il y a eu un remake turc, en série, de Pour elleÀ bout portant est en train d’être adapté en série sur Netflix avec les comédiens d’Avengers et les droits de Mea Culpa viennent d’être achetés par Dwayne Johnson. Je peux te répondre beaucoup plus facilement maintenant après avoir fait un remake. Même si c’est ton film, tu te retrouves être la moins bonne personne pour le juger. C’est comme si t’avais un enfant et qu’il n’avait plus les mêmes cheveux, ni la même voix. Concernant Pour Elle, Paul Haggis a une autre vérité sur la fin. Il voulait qu’il y ait un doute sur la culpabilité du personnage de Diane Kruger. Moi, je tranche car je ne cours pas autant avec Vincent Lindon si je sais qu’il y a un doute. Paul Haggis, en matière de CV de scénariste, moi je suis Pipo et Mario à côté. Cependant, il a écrit l’adaptation très vite et, dans son film, il y a toutes les choses que j’ai rencontrées à l’écriture et que j’ai retirées. Pour moi, il y a un peu trop de gras.

Entre Pour elle et À bout portant, il y a une vraie réflexion sur la mise-en-scène. Ton récit se resserre et les décors deviennent plus étouffants. Cette réflexion est aussi à l’oeuvre entre tes deux comédies, Radin et Le Jeu

Exactement. C’est le film que j’ai fait qui déclenche le suivant. D’ailleurs, Mea Culpa est la suite logique de Pour elle et À bout portant. J’avais envie de faire un film d’action avec des postulats de personnage qui ne sont pas développés comme dans certains westerns. On m’a souvent demandé d’où provenait les méchants du film alors que dans un western, tu ne veux pas le CV du type qui débarque dans le saloon. Pour la première fois dans ma filmographie, les personnages principaux ne sont plus monsieur Tout-le-monde, mais des flics. Je pense que le spectateur en a moins envie puisqu’il y a déjà une proposition qualitative dans le champ de la série. C’est la même problématique pour les films de genre.

On m’a proposé Die HardLooperSicario.

Ton parcours semblait induire un départ pour les Etats-Unis, à la manière de cinéastes comme Florent Siri ou Jean-François Richet. Beaucoup de réalisateurs français partis aux Etats-Unis n’ont pas rencontré le succès et ont eu des difficultés à produire le film. Certains ont essayé de renouer avec le succès en tournant des comédies quand d’autres n’arrivent pas à financer leurs films. Quel regard portes-tu sur cette situation ?

Ça a été très compliqué pour moi de ne pas partir tourner aux États-Unis. On m’a proposé Die HardLooperSicario. Ce qui fait la qualité des cinéastes français, c’est qu’ils portent à l’écran des histoires qu’ils ont conçues. Quelqu’un m’a dit récemment : “Vous comptez faire autre chose que des films de commande ?” Mais en rien Radin et Le Jeu ne sont des films de commande. Mes histoires proposées sont plus larges pour certains producteurs et plus universelles et c’est peut-être pour ça que des producteurs américains m’ont contacté. J’adore le cinéma de genre mais c’est assez restreint à cause des références américaines. Il faut se démarquer de la production outre-Atlantique.

La grande différence avec mes camarades cinéastes, c’est qu’on n’a pas la même culture. Ils ont vu beaucoup plus de films que moi. Ma culture s’est nourrie des films du dimanche soir à la télévision. Ce qui m’a marqué, ce sont les films de Jean-Pierre Melville et Pierre Granier-Deferre. Aujourd’hui, Le Chat serait un film d’auteur. J’ai moins la culture vidéo-club. Je suis davantage attiré par le romanesque, dans la veine du Comte de Monte-Cristo, de Dumas. Mais j’admire les cinéastes français que tu as cités.

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Doria Tillier, Grégory Gadebois, Stéphane de Groodt, Vincent Elbaz, Bérénice Bejo, Roschdy Zem et Suzanne Clément © crédit photo : Mars

 

Dans Le Jeu, le premier plan du film fait écho à celui de la fin. La caméra quitte le ciel pour s’attarder à la fenêtre d’un appartement. Pourquoi ce choix qui évoque le genre du conte ?

C’est un mélange de conte et de suspense. La musique est d’ailleurs très inspirée par les compositions de Bernard Herrmann. Je voulais qu’on démarre en donnant inconsciemment le ton du film aux spectateurs. La lune va avoir une grande importance et j’aime bien, dans un film, voir des pièces de puzzle qui s’emboîtent au fur et à mesure du déroulement de l’intrigue.

Au moment du montage, as-tu enlevé des séquences que tu avais tournées ?

Oui. J’avais davantage développé au début et à la fin de certaines séquences. Ce gras amenait de la vie. Je laissais de la place lors du tournage pour me permettre de donner un coup de ciseaux lors du montage. Par exemple, lors de la scène de fin entre Bérénice Béjo et Stéphane de Groodt, la séquence était bien plus dialoguée. J’ai demandé à Bérénice de faire un pas en arrière pour la faire se retourner et partir. Normalement, son mari lui disait : « Elles te vont bien ces boucles d’oreilles » J’ai enlevé cette phrase car le regard de Stéphane suffit à faire émerger l’enjeu de la scène. Je monte mes films comme je les écris. Généralement, j’ai une première version de scénario de 110 pages et la version de tournage tourne autour de 90 pages.

Quel est ton rapport à la série télévisée ?

J’ai failli en faire une. J’ai écrit un long-métrage que j’ai adapté en série où une bonne partie de la préparation était faite. À un moment, je me suis retiré et c’est quelqu’un d’autre qui l’a réalisée. J’avais peur de ne pas être à mon aise. Cette série s’appelle Nox et elle a été diffusée sur Canal+. Je peux difficilement revenir avec un projet tout de suite. J’adore le format en tant que spectateur mais en tant que réalisateur, ce n’est que des contraintes.

Quels sont tes projets à venir ?

Je suis en train d’adapter une pièce de théâtre qui se déroule en 1941 et c’est pas du tout une comédie. C’est un employé d’une bijouterie qui doit cacher, dans sa cave, son patron. En parallèle, je commence à reprendre des projets en langue anglaise. J’irai peut-être les tourner aux États-Unis. Ma première rencontre avec des agents américains, c’était pour évoquer le remake de Pour elle. Le rendez-vous a duré quatre secondes. En introduction, j’ai dit que je ne me voyais pas réaliser un film que je n’ai pas écrit. Ils m’ont répondu : « Tu sais où on pourrait manger ce soir ? ».

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