Il y a 45 ans, le président socialiste chilien Salvador Allende était renversé par le général des armées, Augusto Pinochet, appuyé par la CIA. La violence s’empare alors du pays tandis que la démocratie s’en échappe.
Le 11 septembre 1973 au matin, le président Salvador Allende est réveillé à l’aube, invité à quitter le pays sans tarder. Alerté du complot qui se dessine, il choisit pourtant de rejoindre le palais de la Moneda, siège de la présidence à Santiago. Une “simple” mutinerie dans la marine pensait-on. Seulement, les forces armées et celles de la police assiègent rapidement les lieux. Dix-huit jours avant, le Président avait nommé le général Pinochet au commandement suprême des armées. Sur place, Salvador Allende, sûr de la loyauté de son homme, se confie à son attaché de presse présent à ses côtés : “Pauvre Pinochet, à l’heure qu’il est il doit être en prison” (témoignage issu d’un documentaire produit et diffusé par France 3 en 1998, Le dernier combat de Salvador Allende). C’est en fait de lui que vient la trahison, et de trois des hauts dirigeants des forces armées. Mais le Président le découvrira bien assez vite, alors que le général fait une déclaration à la radio au nom de l’armée chilienne : il accuse le président d’être responsable du chaos régnant au Chili et exige de ce dernier sa démission et son départ du pays.
Le palais de la Moneda en feu
Pinochet réclame une reddition inconditionnelle sans pourparlers, alors que ses blindés encerclent le palais. Le Président y est alors reclu avec une vingtaine de ses conseillers et membres de la sécurité. Au commandant de l’air qui viendra lui offrir une dernière chance de partir, le colonel Roberto Sanchez, le président Allende répondra : “remerciez votre institution, mais je ne quitterai pas le pays, et s’ils tentent de me déloger, je me suiciderai” (témoignage issu d’un documentaire produit et diffusé par France 3 en 1998, “Le dernier combat de Salvador Allende”). Le président croyait à un piège et il avait vu juste, comme l’ont révélé les interceptions radiophoniques. Alors que les vitres sont criblées de balles, que les bombardiers grondent et que le palais prend feu, le Président tiendra quelques heures avant que ses collaborateurs ne se rendent finalement. Le corps de Salvador Allende sera retrouvé sans vie, sa menace passée à exécution.
“Je ne quitterai pas le pays, et s’ils tentent de me déloger, je me suiciderai.”
L’ingérence des USA, la ruse de la CIA
Salvador Allende était prêt au sacrifice ultime pour empêcher les ennemis de la démocratie de s’emparer du gouvernement et de la place qu’il avait tant eu de mal à obtenir. Le socialiste s’était en effet présenté une première fois aux élections présidentielles en 1964 contre Eduardo Frei Montalva du parti démocrate chrétien. En pleine guerre froide, les Etats-Unis en difficulté avec le Vietnam craignaient l’expansion du marxisme en Amérique du Sud. Les Américains ont su trouver le soutien de la droite chilienne et du parti démocrate chrétien. Nixon, alors au pouvoir, alloue un budget de près de 3 millions de dollars à la CIA afin qu’elle finance secrètement la propagande pour l’adversaire d’Allende et soudoie ses alliés. Si leur stratégie s’est révélée payante en 1964, Salvador Allende persiste en 1970 et obtient la majorité relative nécessaire à sa victoire.
La force contre les votes
Son parti, la Unidad Popular, et précisément son gouvernement, ambitionne d’instaurer une politique sociale, légale et sans violence. Il fait notamment nationaliser les mines de cuivres exploitées par les Etats-Unis. Nixon, furieux, met en place un blocus informel contre le Chili. La CIA sous ses ordres finance la grève de camionneurs et de commerçants notamment. Le pays se paralyse, l’inflation grimpe en flèche, le Chili est au bord de l’implosion. Mais même dans ce contexte, les citoyens font confiance au Président et le prouvent dans les urnes pour les élections législatives. Les USA et leurs alliés ont dès lors compris qu’il serait impossible de l’évincer par la voie officielle et démocratique et choisissent de faire appel à la force. Encouragés, les militaires jusque là neutres prennent parti. Le Président avait pourtant confié à son général Augusto Pinochet qu’il comptait annoncer le 10 septembre un référendum pour recueillir l’avis du peuple sur sa politique ; il s’engagerait à démissionner en cas de défaite. Le général l’a convaincu de reporter cette annonce au 11 septembre, sachant qu’il n’en aurait jamais l’occasion ; aucune chance laissée au processus démocratique.
Salvador Allende, martyr de la démocratie
“Sachez que beaucoup plus tôt que prévu vous ouvrirez les larges avenues par où passera l’homme qui construira une société meilleure.”
Dès la fin du siège du palais, le général Pinochet prend le pouvoir. Alors que sa position se devait temporaire elle devient permanente, à la surprise de la droite et du parti démocrate chrétien. Entouré de sa junte, il entreprend une série d’exactions contre communistes, socialistes, et toutes les formes d’expression, d’art et de liberté sont réduites au silence ; les industries du cinéma, de la musique et la presse s’écroulent. On estime que sous sa dictature, 3200 chiliens perdirent la vie, 38000 furent torturés et près d’un million ont été expulsés ou se sont exilés hors du pays. La dictature militaire d’Augusto Pinochet s’arrêta le 11 mars 1990, à la suite du référendum de 1988 et de nombreuses condamnations internationales des violations des droits de l’homme perpétrées au Chili.
Dans la matinée du 11 septembre 1973, le président Salvador Allende est parvenu plusieurs fois à communiquer avec le peuple chilien par l’intermédiaire d’une des dernières radios qui émettait encore, la radio Magallanes. Grand orateur, ses mots raisonnent encore pour beaucoup de chiliens ; Salvador Allende, martyr de la démocratie. Jusqu’à la fin, avec une voix calme et sereine, alors même qu’on peut supposer qu’il connaissait l’issue probable de cette journée, il renouvelle son dévouement à son peuple et réaffirme les valeurs de la démocratie en laquelle il croyait tant : “J’ai confiance en le Chili et en son destin, d’autres hommes viendront et surmonteront ce moment, gris et amer, où la trahison prétend s’imposer. Sachez que beaucoup plus tôt que prévu vous ouvrirez les larges avenues par où passera l’homme qui construira une société meilleure”.