SOCIÉTÉ

La dérive autoritaire de la Chine : entre réalité et science-fiction

Ces derniers mois, un vocabulaire inquiétant a fleuri dans les médias pour qualifier le régime actuel en Chine. Une dérive autoritaire qui rappelle que du réel à la science-fiction, il n’y a parfois qu’un pas.

Dérive autoritaire, dictature, autoritarisme. Quel vocabulaire employer pour désigner ce qu’est en train de devenir la République Populaire de Chine (RPC) ? La langue a ses limites et devient une barrière. On ne désigne ce qu’est la RPC qu’en utilisant des termes imprécis et sans jamais la définir vraiment. Une chose est certaine, sous couvert de démocratie et de République, c’est une toute nouvelle forme de gouvernance, où libéralisme et autoritarisme vont de pair, qui s’est mise en place dans l’Empire du milieu. Du jamais vu avant le XXIe siècle. Les mesures prises pour faire pression sur le peuple se multiplient mais l’économie du pays se porte bien. Définir ce qu’elle est à ce jour reste compliqué mais il y a les faits. Et dans les faits, Xi Jinping prend des mesures qui rapprochent chaque jour son pays un peu plus de la science-fiction.

Chine : dictature old school

Avant même de passer du côté obscur de la SF, Xi Jinping a installé au fil des ans une forme de dictature par le biais de mesures très basiques. On retrouve tous les poncifs de la dictature old school : le culte de la personnalité pour le chef du gouvernement, un rejet des minorités, un parti unique, une forme de censure, le muselage de l’opposition, etc. Elle est en ce sens une dictature conservatrice qui tente de maintenir la stabilité politique du pays en empêchant les grandes avancées sociales.

Propagande, mon amour

Vous n’aurez certainement pas manqué cette nouvelle : récemment le numéro un chinois a pris ses aises en modifiant légèrement la constitution du pays. Une modification qui lui ouvre les portes d’une présidence à vie et qui se fête à Pékin et ailleurs par le visionnage d’un film en l’honneur de Tonton Xi. En mars dernier sortait dans les salles Trop fort mon pays. Un documentaire vouant les mérites de la Chine et un culte certain au premier secrétaire du Parti Communiste Chinois (PCC).

Propaganda – ©Greg Baker, AFP

L’époque de la propagande est donc loin d’être révolue et c’est à grands coups de places gratuites et de séances organisées par les entreprises chinoises que se sont remplies les salles au moment de la sortie du documentaire. Un film qu’il était évidemment fortement conseillé d’aller voir au risque de passer pour un opposant au régime. Classique.

Tonton Xi

Mais que serait la propagande sans son grand héros ? Sans semi-dieu à vénérer ? Les Chinois fortement invités à aimer Tonton Xi de tout leur cœur ont vu leur grand chef égaler le non moins grand Mao. Quelques mois seulement avant d’être qualifié de « président à vie » par tous les médias occidentaux, Xi Jinping avait en effet fait inscrire son nom dans la charte du PCC. Une première depuis le Grand timonier qui, lui, y avait été inscrit à titre posthume. Une évocation de « la pensée Xi Jinping du socialisme chinois de la nouvelle ère » laisse augurer que la Chine devrait poursuivre dans la voie qu’elle est en train de prendre. Celle à la fois de la répression sociale et de l’ouverture économique.

Xi Jinping, l’égal du Grand Timonier – ©Times

Le vote à l’unanimité de l’inscription de Xi Jinping dans la charte du PCC s’accompagne d’une censure de l’opposition et de toute critique envers ce dernier. C’est ainsi que l’an passé, Pékin avait censuré Winnie l’Ourson. Un grand personnage de la littérature enfantine qui au premier abord paraît inoffensif mais qui, lorsqu’il est apparenté au grand chef prend un visage tout autre. Le visage de la satire que Pékin n’apprécie guère. Une façon de museler la critique et le ton ironique des internautes qui tourne en dérision l’indéboulonnable Tonton Xi.

Un contrôle religieux douteux

Dans une Chine fortement fracturée par des pratiques religieuses diverses, une politique de contrôle est de mise. Si les religions traditionnelles chinoises (taoïsme et culte des dieux et des ancêtres) sont très largement représentées, une méfiance persiste envers des minorités toujours plus surveillées.

Chiffres officiels sur les religions en Chine 2010 – Chinese Spiritual Life Survey

Dans un élan opportuniste, Pékin use comme prétexte le terrorisme pour accentuer le contrôle des religions depuis février. Le but est donc de « renforcer la sécurité nationale » pour le gouvernement chinois qui interdit désormais les virements provenant de l’étranger dépassant les 100 000¥ (15 000). Également dans la ligne de mire du gouvernement : le voile intégral et la barbe qui sont considérés comme anormaux et donc interdits. Un contrôle qui sous couvert de sécurité permet de renforcer une surveillance qui semble se généraliser de manière assez inquiétante.

La SF s’en mêle

Voilà quelques points qui font du gouvernement chinois un gouvernement autoritaire peu original. Mais c’était sans compter l’amour de Pékin pour les nouvelles technologies et le « progrès » qui, quand il s’agit d’aider au contrôle et au maintien de la stabilité politique et sociale, sont les plus performants.

Chine, le laboratoire de Black Mirror

Récemment la Chine est passée du côté obscur du contrôle dépassant tout ce que l’homme avait déjà envisagé. Enfin presque. L’épisode 1 de la saison 3 de Black Mirror nommé Nosedive évoque en effet l’éventualité d’instiguer une notation sociale. Une note passant par les réseaux sociaux toujours plus intrusifs qui finit par porter préjudice à la protagoniste de cet épisode glaçant, comme toujours avec Black Mirror. Malgré le côté effrayant de la chose, Pékin n’a pas hésité à mettre en place ce nouveau système qui pourrait bien accentuer les inégalités et créer une élite toute puissante dans l’Empire du Milieu.

Crédit social – ©Kevin Hong

Testé depuis quelques années déjà, ce système prendra pleinement forme en 2020 et regroupera des données provenant de toutes parts de la société pour attribuer à chacun une note, un crédit social. Ce dernier, s’il atteste que vous êtes un bon citoyen, respectueux d’autrui, qui règle ses factures, etc., sera élevé et vous permettra de garder une certaine liberté. Si au contraire vous êtes jugé mauvais citoyen, vos droits vont en pâtir. Pour un mauvais respect des règles dans les transports en commun vous pourrez voir leur accès vous être interdit par exemple. Une suppression de la liberté de circuler effrayante autant qu’attendue dans une société chinoise toujours plus répressive.

Big Data, un enjeu nouveau

S’il y a un bien un enjeu important pour la décennie 2010, c’est le Big Data. On a d’ailleurs vu les œuvres de science-fiction sur le Big Data se multiplier depuis les années 1990. Une crainte bien fondée pour l’humanité qui aujourd’hui fait face aux progrès technologiques et au Big Data comme l’avaient prédit ces œuvres d’anticipation. Le rôle des données dans notre présent et notre futur, le gouvernement chinois l’a encore une fois bien compris. C’est en février que l’information a surgi pour la première fois et elle inquiète d’autant plus que c’est une entreprise née dans une démocratie qui aide au contrôle des données de la population chinoise. Sans grande surprise c’est encore une fois le géant de l’électronique Apple qui vient en aide au gouvernement chinois.

Apple c’est fantastique – ©AFP

Pour sauver ses intérêts commerciaux en Chine, l’entreprise américaine a en effet confié la gestion de l’Icloud en Chine à la société Guizhou-Cloud Big Data, directement financée par le gouvernement. Le réel dépasse la fiction et fait imaginer un futur peu enviable où les données, photographies et goûts personnels sont devenus des marchandises que les entreprises et les États s’échangent pour respectivement mieux cibler la clientèle et mieux contrôler les masses sous prétexte de cybersécurité.

Xi is watching you

1984 de George Orwell est un des classiques de la science-fiction et il ne cesse d’inspirer les auteurs, réalisateurs, etc., mais également le réel. En Chine Big Brother a trouvé sa place. C’est une des nouvelles mesures entrée en vigueur en Chine et alliée à la mesure sur le crédit social. Elle pourrait modifier en profondeur le mode de vie de la population chinoise. Vous ne rêvez pas, ce n’est pas de la science-fiction cette fois-ci. En Chine les caméras de surveillance à reconnaissance faciale se multiplient depuis février. Ces caméras intelligentes sont un nouvel outil pour veiller à la bonne tenue des concitoyens chinois.

Watching you – ©Ed Jones, AFP

Traverser la route en dehors d’un passage piéton, par exemple, est vu comme une incivilité et mérite amende. Rien de bien méchant pour le moment mais cette nouveauté n’en est pas moins inquiétante. Appliqué à d’autres domaines que celui du respect du code de la route, ce moyen de surveillance pourrait s’avérer dangereux dans le pays de Xi Jinping où le droit à l’intimité et au respect de la vie privée est déjà largement bafoué.

Un constat inquiétant pour l’avenir de la Chine et plus globalement pour l’avenir de nos sociétés. Les outils technologiques utilisés à des fins de contrôle des masses effraient mais ne surprennent plus. La science-fiction nous a peut-être déjà trop préparés. Et pourtant cette dernière semble en retard sur certains sujets et le réel la devance parfois. Et ce n’est pas pour nous rassurer.

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