Hippocampe Fou est sorti de son terrier new-yorkais à l’occasion de la sortie de son nouvel album Terminus, le 9 mars 2018. Autour d’une des grandes tables du Ground Control à Paris, Hippo, empli de tendresse et de simplicité, se livre quant à son évolution musicale, avec un opus qui semble plus mature, plus personnel et quelque part plus mélancolique…
Fatigué, décoiffé et des cernes plein les yeux, Sébastien Gonzalez est arrivé tout sourire malgré une courte nuit. Et pour cause, l’Hippocampe a veillé tard après la sortie à minuit de son dernier album, scrutant les retours de ses fans sur les réseaux sociaux. Après les plongées sous-marines d’Aquatrip en 2013 et les rêveries nébuleuses de Céleste en 2015, la pluie l’a ramené sous terre, pour un nouveau voyage musical intitulé Terminus.
Tout le monde descend donc dans son terrier, espace intime dans lequel il vit, évolue et s’inspecte. L’introspection, ce sera la force de ces douze chansons portées musicalement par un rap maîtrisé posé sur des instrus étonnantes, composées par Max Pinto et Lucas Dorier, entre salsa, reggaeton, jazz, trip-hop, dub… Sur cet album, sa voix se pose, passant de couplets rap à des refrains chantés, calmement, d’une voix grave.
Ce Terminus se fait donc troisième volet d’une suite d’univers naturels, peut-être plus personnel que les autres : « Le terrier c’est aussi un peu comme ma tête, comme si on avait creusé dedans avec une pioche », avoue-t-il, pensif.
Avec Terminus, on descend sous terre. On retrouve dès le début des allusions à Hadès, au Cerbère, à Kafka… C’est l’album de l’enfer ?
Ça se passe sous terre, je ne pouvais pas arriver sans armes ! Alors je me suis amusé avec tout ce qui se passe dans le monde souterrain, notamment dans Trou, avec Hadès, Cerbère, Dante avec le voyage, Kafka qui a fait le Terrier (que je n’ai pas lu), le Tartare… Mais aussi avec le rat-taupe nu (rires) : c’est un peu mon avatar, ma mascotte de cet album. C’est un animal très laid, très bizarre mais avec de grands pouvoirs. Il vit très longtemps, il a plein de ressources qui intéressent les scientifiques… Ce serait un peu le cousin de l’hippocampe sous la terre !
Comment les espaces (l’eau, le ciel, la terre) prennent place dans ton processus d’écriture ?
C’est un décor en fait, pour cet album encore plus. Je voulais écrire des histoires ou des réflexions qui pouvait se passer sous terre ou dans mon appartement, mon terrier. Je voulais aller plus loin dans l’intime, dans le personnel. Même si dans certaines chansons j’observe les gens, tout doit partir de moi. C’est pour ça que je finis par Langue Paternelle, où je m’adresse à mon père. Le genre de morceau que tu écoutes quarante ans plus tard et tu chiales ! C’était important de le faire.
Déjà à tes débuts, dans Vertige de la maturité, tu parlais de ton père. Qu’est-ce qu’il représente dans ta création ?
C’est mon modèle, c’est mon papa ! J’adore ma mère aussi. Alors il se trouve que lui est musicien, donc forcément tu prends exemple sur ton père. Mais tu apprends aussi de ses erreurs : tu essaies de pas refaire et parfaire ce que lui a fait.
L’imaginaire de l’enfance est très présent dans tes chansons depuis toujours, mais aujourd’hui ton rôle de parent l’est aussi. Comment fait-on du rap quand on est papa ?
C’est assez naturel… À partir du moment où tu es parent, tu ne vis plus que pour toi, tu essaies de porter tes enfants encore plus loin que ce jusqu’où tu as pu aller. Et c’est bien, car les enfants ça te remet les pieds sur terre parce que tu as des responsabilités. Quand tu es artiste, tu peux perdre l’essentiel parce que tu brilles. Moi, je préfère mille fois être dans mon appart’ avec mes enfants qu’au bord d’une piscine en tournée.
Tes enfants ont écouté l’album ?
Je n’ai pas tout fait écouter (rires) ! Pas tout suite. Il y a des morceaux qui sont “parental advisory“, je ne veux pas qu’ils répètent. Mais ils ont vu le clip Underground, je leur ai montré. Ma fille connaît déjà les paroles, et elle veut trop venir avec moi en concert, elle veut danser, elle a envie d’être sur le devant de la scène. On va voir, si elle bosse bien le truc, peut-être que je la mettrais dans un clip comme Joey Starr avec son fils dans le clip de Sofiane.
Cet album semble un peu plus mélancolique que les précédents, tu dis même qu’il Fallait pas rigoler. Tu n’es pas qu’un clown ?
Dans Fallait pas rigoler, j’ai du “tu”, j”aurais pu dire “je”. Je suis du genre à un enterrement à faire une blague pour détendre l’atmosphère, et une fois sur deux ça passe pas ! J’essaie de pas reproduire ça. C’est ce que je me disais aussi de ma musique : je suis un troubadour, là pour apporter du bonheur au gens. Mais finalement j’ai compris que la tristesse faisait partie de la vie aussi. D’ailleurs j’ai adoré le film Vice Versa de Pixar. J’ai tellement chialé devant ce film, quand ses souvenirs heureux deviennent des souvenirs tristes, parce que la nostalgie c’est ça. C’est pour ça que cet album est comme ça, j’ai réussi à assumer toutes les facettes de ma personnalités. Et j’ai retiré le bonnet de rappeur qui était un peu mon nez rouge.
Terminus c’est aussi l’occasion pour toi de chanter plus, as-tu fait un travail au niveau de la voix ?
J’ai pris conscience un soir en enregistrant Triste, la version de l’album, que ça donnait bien quand on chantait proche du micro sans projeter trop. Il y avait une chaleur qui faisait ressortir les graves et je me suis dit « eh, mais j’aime bien ma voix comme ça ! ». Je suis pas un chanteur à voix, mais j’ai l’impression que c’est plutôt juste, même sans en faire des tonnes.
Tu te considères comme rappeur ou chanteur ?
Je dis que je fais de la chanson rappée (rires). Disons que même si j’adore rapper, vite ou doucement, j’adore être technique et faire des freestyles, il faut aussi qu’il y ait une attitude derrière, de pouvoir parler de tout et de rien. Moi je parle de faire l’amour alors que mes enfants ne sont pas loin, c’est pas très hip-hop comme sujet ! Même si aujourd’hui il y a toute une vague de rappeurs qui ouvre le style. Le rap n’a jamais été aussi varié qu’aujourd’hui.
Et toi, t’écoutes quoi comme rap ?
En rap anglais, Ocean Wisdom, car il me gifle techniquement ! Puis dans les nouvelles têtes francophones, j’ai kiffé Roméo Elvis, Caballero et JeanJass. Ça me parle, c’est ce que j’aimais aussi chez les Casseurs Flowters : cette autodérision malgré la technique. Tu vois Romeo Elvis c’est la bonne fusion entre Nekfeu et Orelsan. Puis Vald aussi j’ai kiffé son dernier album.
Dans cet album tu dis « j’refuse de quémander des feats », avec qui rêverais-tu de collaborer un jour ?
Bon en vrai, j’ai quémandé un feat avec Orelsan (rires), sur l’album d’avant, mais il faisait son film, ça l’a pas fait. Mais c’était sans insister et pas pour profiter de son buzz, juste pour le coup de cœur artistique. Là sur cet album je voulais faire un feat avec avec Kacem Wapalek, parce que j’adore son écriture, mais pareil ça l’a pas fait, question de timing.
Terminus c’est la fin du rap ?
C’est la fin de la trilogie mais pas la fin du rap. C’est la fin du voyage. Je bosse sur de nouveaux projets, j’en parlerai en temps voulu. J’en ai un notamment, de longue date, dont je parlais déjà à la sortie de Céleste. Et avec ça, on part ailleurs !
L’Hippo nous a laissé en haleine, on a hâte d’entendre parler de ses projets secrets. En attendant, il est à retrouver en concert le 30 novembre 2018 au Trianon.