SOCIÉTÉ

Qui occupe la fac de la Victoire ? #2 : Max, 21 ans, étudiant.e en psycho

L’entrée de l’Université de Bordeaux (source : site officiel de l’Université)

Depuis le 6 mars dernier, le campus de l’Université de Bordeaux situé Place de la Victoire est bloqué de manière illimitée à la suite de l’intervention des CRS. Les revendications des militants rapportées par les médias peuvent paraître confuses, et il est difficile d’en saisir les différentes nuances. En trois épisodes, des occupants de la fac de la Victoire nous expliquent d’où ils viennent, leurs revendications, la vie quotidienne sur un campus bloqué, et répondent à certaines critiques.

Aujourd’hui, nous rencontrons Max, engagé.e au sein de son université depuis février. Afin d’éclaircir quelques zones d’ombre d’un mouvement souvent perçu à tort comme homogène, et par souci de neutralité, seule la parole des interviewé·e·s est retranscrite, laissant au lecteur le choix d’une opinion à travers ces informations.

Une mention au bac malgré une équipe pédagogique peu concernée

« Je suis arrivé.e mi-février, fin février, c’est un copain qui m’a ramené.e dans une AG [Assemblée Générale, ndlr]. J’avais déjà tracté avec lui lors la mobilisation contre la Loi Travail, du coup je suis revenu.e après la première AG, puis j’ai bloqué… Le 6 mars (jour de l’intervention des CRS dans un amphi occupé, ndlr) j’étais là mais je suis parti.e plus tôt. Ensuite j’ai aidé pour les blocus, les tractages aussi, devant les lycées pour informer les lycéens…

Depuis que je suis dans la mob je me suis rapproché.e d’associo car je voudrais partir en socio l’année prochaine, mais sinon je suis vraiment un électron libre. Les gens qui bloquent, c’est vraiment pluriel, des étudiant.e.s, des non étudiant.e.s, on avait des zadistes, c’est vraiment divers. C’est notre force d’ailleurs. On est tou.t.es soudé.e.s par la lutte contre les différentes réformes antisociales et les répression des mouvements sociaux.

Je m’oppose dans un premier temps à la Loi Vidal, à Parcoursup, la réforme du bac. Honnêtement, moi avec Parcoursup et la réforme du bac, moi je ne l’aurais pas eu mon bac en contrôle continu. J’étais dans un bac Sciences et Techniques de laboratoires donc je n’avais pas non plus le profil pour arriver en licence de psychologie. En plus, moi au lycée, j’étais de ces élèves dans l’opposition aux professeurs, car j’avais une équipe pédagogique qui ne nous soutenait pas.

Ils étaient souvent dans la confrontation, on avait parfois l’impression qu’ils prenaient plaisir à nous dénigrer, à nous dire qu’on était mauvais ou bons à rien. C’est quelque chose que je n’ai jamais vraiment accepté, et je me « rebellais » si je puis dire, ça m’a valu quelques prises de bec avec des enseignants… Mais par exemple, me faire traiter d’azimuté.e en plein cours c’est pas vraiment mon kif, j’étais un peu la grande gueule mal vu.e de l’équipe pédagogique, donc certains me notaient un peu à la gueule. Donc avec le contrôle continu, j’aurais pu dire adieu au bac. J’avais pas des résultats mirobolants et pourtant j’ai réussi à avoir une mention au Bac.

Quant à la loi Vidal après laquelle la fac ne serait plus accessible à tous et à toutes, je trouve ça inconcevable parce que c’est un service public, tout le monde devrait avoir le droit de faire des études longues. En faire une méritocratie c’est la dénaturer de ses valeurs de base. »

« On a créé quelque chose de fort »

« Mon engagement est sur un plan local, car Bordeaux Montaigne (l’université de Lettres et de Langues, ndlr) a refusé d’appliquer la sélection, mais aussi sur un plan national puisque l’objectif est d’empêcher la loi Vidal. Ici comme ailleurs on se bat à la fois pour notre fac et le reste de la France.

Le blocus, je pense que ça a crée un partage de connaissances différent de ce qu’on trouve habituellement dans les facultés.. Nous, on est auto-gérés, on propose des conférences sur plein de sujets, il y a toujours ici la volonté de faire parcourir le savoir et je trouve ça vraiment intéressant. Ça nous permet de nous réapproprier l’espace et de créer un endroit où on peut vraiment parler et discuter. Alors que des espaces de discussion la fac nous en avait promis et on les a jamais vus. Maintenant on a un lieu qui vit H24, sept jours sur sept. On a créé quelque chose de fort.

Le hall occupé de la fac de la Victoire (source : Sud Ouest)

C’est un vrai mouvement étudiant, solidaire, qui va plus loin qu’une simple lutte contre la loi Vidal, la reforme ORE… On est en lien avec les cheminot.e.s , les postier.e.s, avec les ouvriers de Ford, on est solidaires avec les infirmier.e.s… Bordeaux II, devient un lieu de convergence des luttes en plein centre-ville, où tout le monde peut venir, se réunir, échanger. C’est un emblème super fort. Comment ça va évoluer ? Franchement ? J’en ai aucune idée… Mais personnellement j’espère qu’on va garder ce lieu longtemps, que ça ne va pas s’essouffler avec les partiels qui arrivent, même si des gens ici sont déjà en examen. Jusqu’où on peut tenir ? Je pense que ça sera une histoire qu’on va écrire ensemble, le but c’est de tenir le plus longtemps.

On vit ici en auto-gestion, on fait en sorte tous et toutes de s’investir dans la vie de l’occupation comme chacun.e le peut, que ce soit pour la question du ménage que pour celle de l’organisation des actions/conférences… moi j’ai rencontré plein de gens ici, on a tous des parcours différents, avec des luttes différentes et des façons d’arriver ici différentes, et on se rejoint tous ici pour cette cause.

Le faux débat sur le fait que le mouvement soit démocratique ou pas je le trouve un peu vain. L’important c’est de rappeler que le blocus est un moyen d’obtenir un rapport de force… Mai 68 aussi c’était illégal et pourtant ils l’ont fait, et ils ont réussi. J’ai aucun problème à dire que je fais partie de ce mouvement, si quelqu’un d’extérieur ne retient que le côté illégal de la chose c’est qu’il est temps pour lui de se poser les bonnes questions non ? L’illégalité, ou le caractère illégal du mouvement, j’ai l’impression que c’est un peu ce qu’on sort en mode joker pour détourner la question et attirer une attention négative sur nous. Comme aujourd’hui, le Président qui envoie un mail qui affirme qu’on menace les gens, qu’on les intimide… C’est n’importe quoi d’insinuer tout ça, alors que, non, on n’a jamais menacé qui que ce soit, on n’a jamais intimidé qui que ce soit… C’est donner une fausse image de nous et je ne trouve pas ça démocratique non plus pour le coup, surtout quand on sait que M. Tunon de Lara n’est jamais venu nous voir.

J’ai tenu quelques AG au bureau, on arrive avec des thématiques auxquelles on essaie de donner un temps, on fait des tours de parole où chacun.e donne son avis, on clôt le tour de parole, puis on prend des décisions. Il y a des AG plus décisionnaires et d’autres où on traite de l’organisation. Ça dépend des jours et des actions de prévues. »

Renseigner sur le mouvement

« Les étudiants qui se plaignent de ne pas avoir cours, leurs cours sont délocalisés. Nous à la base on n’a pas empêché les cours, il faut bien le rappeler, c’est la fac qui les a suspendus, en invoquant des questions de sécurité. Mais quand le président a envoyé un mail pour pousser les étudiants à aller voter, vote qui n’était même pas à l’ordre du jour d’ailleurs, mille étudiants sont arrivés. L’amphi Gintrac était beaucoup beaucoup trop petit, donc on a dû faire ouvrir un autre amphi en urgence. Mais là, faire entrer mille personnes dans un amphi qui peut en contenir trois cents grand max, ça n’a pas posé de question de sécurité. C’est toujours quand ça les arrange.

Pour celleux qui veulent se plaindre de ne avoir pas cours, c’est ok, vous pouvez vous plaindre, moi aussi j’ai pas cours. Juste à un moment l’individualisme de chacun doit vraiment cesser au profit d’une réflexion commune et des risques qu’on court tous et toutes sur le long terme. C’est quoi le plus important entre quelques semaines de cours ratées et la sélection à l’université ? Il y a quand même beaucoup plus grave dans la vie que des cours manqués ou des cours délocalisés. On parle de milliers de lycéens qui pourraient ne pas avoir accès à l’université, et j’entends des gens me dire que je les prends en otage pour six heures de cours qui sont délocalisées. J’ai l’impression que certain.e.s ne comprennent pas vraiment les enjeux des réformes qui nous attendent.

Concernant la pétition qui demandait un déblocage, ça nous a fait bien rire. Les antibloqueurs étaient les premier.e.s à se plaindre du fait que des gens non étudiants étaient là pour voter le blocage, mais avec cette pétition c’est aussi ce qu’ils ont fait, tous les gens qui ont signé n’étaient pas étudiants. Il existe effectivement des gens qui ne sont pas d’accord avec nos moyens d’action, mais certain.e.s viennent en parler avec nous et on en discute. On ne débloquera pas, mais on est là tout les jours pour celleux qui veulent en savoir plus et se renseigner sur le mouvement.

Pour ce qui est du cas de l’association AIME, j’ai entendu dire qu’il y avait une proposition de bénévolat, mais je n’étais pas là le reste de la semaine donc je n’ai pu suivre la suite. La situation de ces migrants est assez dommageable car on a vraiment tout fait pour qu’ils puissent rester. Des solutions avaient été réfléchies mais je ne sais pas où en est le dialogue avec l’association. La mob a fait des regroupements pour les droits des migrants, on essaye de vraiment aider et [de faire en sorte] que ça touche tout le monde. Autant que les cours ici n’aient plus lieu pour la sécurité je m’en fiche un peu, mais qu’eux n’aient plus accès à leurs cours, ça me peine, mais cette décision ne dépend pas que de nous. »

« Ici, j’ai pu me permettre d’assumer mon identité »

« Dans cet espace, les identités de chacun et chacune sont reconnues. Moi, étant trans, demander à ce qu’on m’appelle par mon prénom d’usage ça n’est pas toujours bien accueilli, ici j’ai pu me permettre d’assumer mon identité et de me sentir accepté.e. Les discussions comme « Pourquoi c’est nul d’être une nana » ça permet vraiment de libérer la parole, d’avoir des débats dont on n’a pas forcément l’habitude. C’est cool.

Et puis c’est vrai que c’est très épanouissant de faire partie d’un groupe étudiant en lutte comme ça, c’est une super expérience. J’ai le sentiment d’être beaucoup plus utile ici en luttant pour mes droits qu’en étant dans une salle de cours. »

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