Le metteur en scène sulfureux Larry Clark était l’invité d’honneur des 18 ème rencontres cinématographiques dionysiennes organisées par le cinéma L’Ecran de Saint-Denis. Un choix judicieux pour une édition consacrée à la figure du rebelle au cinéma.
Clark le sulfureux
La réputation de Larry Clark n’est plus à faire : drogué, obsédé sexuel tendance pornographique, voyeuriste trash, on pourrait enchainer les épithètes désapprobateurs encore un moment. Et, il faut bien le reconnaitre, la production artistique de l’américain, comme ce qui semble être (ou avoir été) sa vie personnelle tendent à confirmer cette réputation.
Pourtant, il serait dommage de s’arrêter là et de passer à côté de la beauté et de la profondeur des oeuvres de ce réalisateur américain à part. Tant sur le plan de la forme que sur le fond, la filmographie de Clark est bien plus subtile et poétique que ce que laissent croire les commentaires de ses détracteurs. Surtout, elle a permis à tout un pan de la communauté street et skate de s’affirmer comme une culture à part entière.
Photographe avant tout
Avant de d’être réalisateur, Clark est un photographe au sein d’un courant dans lequel on retrouve notamment l’américaine Nan Goldin. En 1971, il publie Tulsa un ouvrage de photos qui capture la vie des marginaux en tout genre du Texas et dont l’esthétique est citée comme source d’inspiration par Martin Scorsese pour Taxi Driver.
A l’époque, Larry Clark vit une vie proche de ceux qu’ils photographient. Il est en rupture et il se drogue, beaucoup, à tel point qu’il ne peut pas envisager de mener à bien les projets de réalisation dont il a pourtant déjà envie. Il faudra attendre 1995 et une bonne cure de désintoxication pour que les frères Weistein (déjà…) financent son passage de la photo au cinéma. Il débarque alors avec Kids.
Teen-movies trash
Ecrit par ce qui est alors un très jeune Harmony Korine, Kids relate la journée mouvementée d’un groupe de jeunes skaters new-yorkais dont le personnage central est une sorte de vampire en baggy de 16 ans, séropositif et obsédé par le fait de déflorer les jeunes vierges de son entourage. Ce sera le premier opus d’une série de teen-movie trashs de Clark (Ken Park, Wassup rockets) centrés autour des jeunes et de la culture skate.
Pour réaliser ces films et capter l’essence de cette communauté encore marginale et underground, Clark a du apprendre à faire du skateboard à 48 ans ! Seule façon de s’infiltrer dans leur intimité mais aussi de les suivre caméra à l’épaule dans leurs virées urbaines à toute vitesse.
Grâce à cette immersion prolongée, Clark donne naissance à des versions très trash du teen-movie américain classique. Aux antipodes des succès grands publics de la fin des années 1980 de John Hugues (La folle journée de Ferris Bueller, Breakfast club). Exit le gentil de rebelle dont le principal fait d’armes et de sécher les cours pour rester en peignoir, bonjour drogue, alcool, sex, et sida. Clark montre donc la réalité de la rébellion adolescente dans ce qu’elle de plus cru, de plus désespéré mais aussi, bizarremment, de plus vivant.
Sex, drugs and skate
Ce cocktail détonnant à base de sexe et de drogues comporte un troisième ingrédient essentiel : le skate. Les films de Clark ne sont pas des documentaires sur la planche à roulettes car son sujet demeure avant tout les trajectoires et les relations humaines. Toutefois, les spécificités de la culture skate d’alors ( fonctionnement en communauté voire en meute, déplacements urbains sauvages, consommation de substances plus ou moins licites) lui permettent de traiter de manière fictionnelle les thématiques qui étaient déjà au coeur de son travail photographique : la marginalité, le caractère formateur voire salvateur de la rébellion, un romantisme certain associée à une jeunesse dont le crédo pourrait être “vivre vite et mourir jeune”.
Sur la forme, le skate permet de parcourir la vraie ville et ses espaces rarement représentés (les squats, les quartiers défavorisés, les parcs délabrés). Sur le fond, il est est vu comme un moyen pour des jeunes de trouver une famille de substitution et de, tant bien que mal – souvent mal – devenir des adultes.
Ni angélisme ni moralisme
Pour autant, Clark ne porte pas un regard angélique sur cette contre-culture. Certes, les personnages de ses films sont profondément cool. Ils ont du style, de la répartie et ils passent leur temps à faire la fête et l’amour sans que cela ne semblent (trop) alerter leurs parents… une certaines idée de l’adolescence idéale.
Mais Clark regarde aussi ces jeunes skateurs tels qui sont vraiment : des êtres parfois violents, dangereux, vulgaires , sales, souvent déjà alcooliques et junkies.
Aucune naïveté, aucune gratuité mais pas de moralisme ou de jugement non plus. Une distance quasi documentaire enrichie par un traitement toujours léché de l’image, dans le prolongement naturel de son très beau travail photographique. Au final, une filmographie comme une ode à la culture street dans ce qu’elle a de pire et de meilleur.
2018 : rebel without a cause ?
Toutefois, en 2018, Larry Clark a 71 ans et du mal à marcher, il y a des rampes de skate aménagées place de la République, Tony Hawk est devenu un business man à succès et toutes les adolescentes du 16ème arrondissement arborent des bonnets carharrt… les codes skates sont-ils encore ceux de la jeunesse de 2018 en souffrance et rébellion ?
A la sortie de The smell of us, dernier opus de Clark sorti en France et diffusé en première mondiale en version director’s cut à Saint-Denis, on se pose clairement la question. Dans ce qui peut être vu comme une version trash (on ne se refait pas) de la bluette Trocadéro bleu citron (1978), on suit un groupe de jeunes parisiens entre prostitution sur internet, après-midis skate dans quartier chic et soirées de fête… les intérieurs sont bourgeois, les friches savamment aménagées et on image parfaitement tout ce petit monde gentiment revêtir un costard d’ici une quinzaine d’années… tous les kids doivent bien finir par grandir non ?