SOCIÉTÉ

Excréments : nouvel or noir ou danger sanitaire ?

En novembre 2017, un soldat nord-coréen parvenait à franchir la frontière avec la Corée du Sud sous les balles de ses camarades. Examiné par des médecins, le déserteur avait de gros soucis de santé et notamment… Des parasites intestinaux. L’emploi d’excréments comme engrais est-il responsable ?

Une fois parvenu sur le territoire sud-coréen, le soldat a en effet dû subir une batterie de tests. Tests qui auraient révélé chez l’homme de nombreux soucis de santé, mais aussi un nombre assez important de parasites au sein de son intestin. Un record selon le médecin qui s’est occupé du patient. En vingt ans de carrière, il a affirmé n’avoir jamais vu de parasites de cette taille : 27 centimètres.

Un problème bien identifié en Corée du Sud

Les parasites intestinaux sont en effet un problème sanitaire qui semble être intimement lié à l’histoire de la Corée. Durant la Seconde Guerre mondiale, des chercheurs américains relevaient déjà l’importance des parasites intestinaux dans les problèmes de santé du peuple sud-coréen. Des problèmes de santé qui ne se sont pas améliorés quand les engrais chimiques sont venus à manquer une première fois pendant la Seconde Guerre mondiale, puis une seconde fois pendant la Guerre de Corée. Pour ce pays dont l’économie reposait en grande partie sur l’agriculture, la seule solution était d’avoir recours aux excréments humains en guise d’engrais. Malheureusement, ces excréments, s’ils ne sont pas traités correctement, sont porteurs de virus.

Les légumes porteurs de parasites ? J’adore ! – Kim Jong-un – © Reuters

 

Une fois les aliments poussant en terre infectée, les parasites peuvent vite coloniser l’intestin humain. En effet, une mauvaise cuisson suffit à engendrer la propagation des parasites. On ne rigole donc pas avec la cuisson des légumes, attention. Mais ce problème se retrouve également en Corée du Nord puisque c’est de là même que provenait le soldat dissident. Des soucis de santé dont on ne s’étonne pas étant donné le niveau de vie supposé des habitants nord-coréens. Malgré les démonstrations de Kim Jong-Un, les faits semblent faire de la Corée du Nord un pays où la pauvreté règne.

Des excréments, à l’école

Dans les années 1960, le gouvernement sud-coréen prend pleinement conscience de l’ampleur des dégâts sur sa population. Les enfants sont soumis à des tests révélant au creux de leurs intestins des nids de parasites. Le chercheur John DiMoia dans son étude sur la santé en Corée du Sud depuis 1945 nous explique en effet que deux fois par an, les enfants sud-coréens devaient apporter leurs excréments dans un sac en plastique à l’école. Selon lui, c’en est presque devenu un rituel en Corée du Sud. Un rituel qui aurait duré jusqu’en 1990.

On connaissait l’excellence coréenne mais moins leur rapport aux parasites… – ©CASPIAN BLUE/CC-BY-SA 2.0

 

Les excréments étaient ensuite analysés par des techniciens employés par le gouvernement. Que se passait-il si des vers étaient retrouvés dans les selles d’un enfant ? Deux solutions. Soit l’école devait se munir de médicaments vermifuges pour aider les enfants à se débarrasser de ces parasites. Soit les enfants devaient tout simplement expulser ces vers. On ne vous fera pas de dessins. Ce rituel a non seulement marqué les esprits et la culture sud-coréenne mais s’est aussi révélé être un véritable succès. Le taux de parasites dans les intestins est en effet passé de 84,3 % en 1971 à 4,3 % en 2004 selon une étude publiée par le Journal Coréen de parasitologie. Conclusion ? Emmener ses excréments à l’école, c’est terriblement efficace. Peut-être Kim Jong-Un s’inspirera-t-il du modèle sud-coréen pour régler le problème de l’autre côté de la frontière ?

Les excréments humains : une richesse nouvelle

L’emploi des déjections humaines comme engrais s’observe beaucoup dans les pays dits en voie de développement. Dans ces pays où le traitement des excréments pose des problèmes sanitaires, la réutilisation de ces déchets est devenu une solution qui semble régler plusieurs problèmes à la fois. L’exploitation des excréments n’est donc pas rare et dans certains pays d’Afrique, c’est même devenu un véritable vecteur d’évolutions sociales et sanitaires. Dans un reportage paru en 2017, le magazine Nature mettait notamment en évidence l’emploi des excréments par l’entreprise Pivot.

Pivot Works Rwanda, naissance d’une économie autour des excréments humains – ©Will Swanson

 

Dans cette entreprise située au Rwanda, on recycle les excréments pour en faire de l’engrais ou encore du carburant. Un moyen de reconversion des déchets humains coûteux, mais qui rapporte finalement au peuple rwandais, sur le plan économique et social. Mais cela nécessite un traitement assez long pour assurer l’élimination des virus présents dans les déjections. Chose que certains agriculteurs rwandais n’ont pas bien compris. En épandant ces déchets humains directement dans leurs champs sans leur faire subir de traitement, ils exposent leurs consommateurs à de nombreuses pathologies dont les fameux parasites intestinaux retrouvés dans l’intestin du soldat nord-coréen fin 2017.

Les excréments humains comme engrais : un truc de « pauvres » ?

Dans les pays en voie de développement, l’emploi d’excréments humains en guise d’engrais est encore largement répandu. Mais attention, cette méthode est loin d’être « un truc de pauvres ». Bien au contraire, dans les pays dits développés, la question de l’emploi de déjections humaines comme engrais se pose également. Aux États-Unis par exemple, l’EPA (Environmental Protection Agency)  considère l’emploi de ce qu’elle appelle les « biosolides » pour fertiliser les sols comme quelque chose d’à la fois économique et écologique : fertiliser les terres à moindres coût, tout en recyclant les déjections humaines. Mais voilà, la présence d’autres substances dans nos excréments pose question. Les médicaments et autres les métaux lourds présents dans nos selles n’affecteraient-ils pas les cultures ?

Les excréments seront-ils un jour une richesse prisée ? Ce que l’ONU appelle déjà le « nouvel or noir » questionne.

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