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Rembobinons – John Fahey, ce Bukowski de la guitare

Entre les références musicales qui prennent la poussière depuis des décennies et celles qui sortent chaque jour, il est parfois difficile de s’y retrouver et de se construire une culture underground. Chaque mois, Maze rembobine ses cassettes et vous dévoile de nouveaux horizons sonores.

John Fahey, c’est la fusion d’un blues mélancolique, d’une technique classique de guitare et d’une touche d’avant-garde. Sa carrière a commencé dans les années 1960 sous le nom de Blind Thomas, elle s’est terminée en pointillés dans les années 1990, avec du diabète et peu de succès. Entre temps, John Fahey aura tout de même marqué quelques esprits. Créateur de son propre langage musical, faisait fi des genres établis et des barrières de styles, il est selon Pete Townshend à l’image de Charles Bukowski.

“Je me considère comme un guitariste classique, mais on me catégorise comme un musicien folk.”

La comparaison ne s’arrête pas là. Personnage excentrique, je-m’en-foutiste, génie et alcoolique, John Fahey ne suit que sa propre loi en créant un style musical original. Il est en effet inclassable, comme il le déplore dès les premières minutes d’un documentaire qui lui est consacré, In Search of Blind Joe Death : The Saga of John Fahey (2013) : “Je me considère comme un guitariste classique, mais on me catégorise comme un musicien folk.” C’est peut-être là tout le drame de l’artiste.

Takoma Records, label spécial pour artiste particulier

John Fahey fonde en 1959 son propre label, Takoma Records. Il permet de réunir des guitaristes au style proche mais toujours particulier. Leo Kottke, Peter Lang, Toulouse Engelhardt, Richard Ruskin ou encore Robbie Basho, tous ont signé chez Takoma et montrent un amour du picking ainsi qu’un petit faible pour la guitare douze cordes. Le nom du label vient du parc Takoma, qui a influencé les sonorités propres à Fahey et sa bande : proches du bois, de la nature et qui traduisent la grandeur sacrée des arbres du parc. John Fahey était un artiste inclassable et qui a tracé sa propre voie. Celui qui n’a jamais aimé les leçons de musique et qui a tout appris en autodidacte ne pouvait que créer son propre label. Maître de lui-même et de sa musique, il a été et reste un personnage particulier et imprévisible.

Logo du label Takoma

©Takoma Records

Des racines plongées dans un blues mélancolique

Il est l’un des premiers guitaristes à donner ses lettres de noblesse à la guitare acoustique en jouant des soli et en abandonnant le chant. Il a joué aussi bien des classiques tels que Oh Come, Oh Come Emmanuel, hymne chrétien de l’Avent, que des ragtimes. C’est d’ailleurs la marotte de John Fahey. Passionné de blues et de bluegrass, il a rencontré les plus grands bluesmen qui l’ont inspiré. Le blues déchirant de Skip James le fascine, la puissance du rythme de Robert Johnson l’émerveille.

John Fahey aime sa guitare et lui donne une place centrale dans ses compositions. Elle est traitée comme un orchestre à part entière et toutes les sonorités possibles sont exploitées. C’est peut-être là l’origine du sentiment de plénitude et d’harmonie que l’on peut ressentir à l’écoute de sa musique. S’il a été fortement inspiré, John Fahey est devenu par la suite inspirant. Thurston Moore, Nick Drake ou encore Sufjan Stevens, tous ont eu à un moment donné le picking élégant de Fahey dans la tête.

©John Fahey

Blind Joe Death, album pépite

Il est le premier album de John Fahey et pourrait à lui seul résumer l’artiste. La plupart des titres sont des blues langoureux et traînants mais le guitariste extrait avec maestria tous les sons possibles d’une même note. L’album existe en trois versions différentes et l’édition originale, tirée à moins de cent exemplaires, est un trésor rare à dénicher. C’est surtout l’avant-gardisme porté par cet opus qui a surpris en 1959. Si John Fahey est fortement influencé par le blues et le bluegrass, il n’en reste pas moins vrai que sa patte est reconnaissable dès les premiers instants d’une écoute. Son interprétation reste fortement ancrée dans les années 1950 à 60, marquée par le mélange des genres, à la fois synthèse et nouveauté.

Blind Joe Death est un personnage qui le suivra toute sa carrière. Il est sûrement une incarnation du blues des années 1920. On l’imagine grattant sa guitare sous un porche dans le sud des États-Unis lorsqu’il n’est pas en vadrouille. Une trilogie d’albums qui s’étend sur plusieurs années lui est consacrée : Blind Joe Death (1959), The Transfiguration de Bling Joe Death (1965), I Remember Blind Joe Death (1987). Derrière ce personnage énigmatique se cache peut-être Fahey lui-même, sillonnant les terres, traçant sa route, sa guitare sur le dos. John Fahey fait ainsi partie de ces influences de l’ombre, de l’avant-garde, bref, de ces artistes qui ont ouvert des portes pour les générations futures en créant une musique unique en son genre.

Rédactrice en chef de la rubrique musique et étudiante en master numérique à Bordeaux. Passionnée de musique et de photo.

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