C’est le dossier santé et alimentaire qui a agité l’actualité de ces deux derniers mois, de par le jeune âge des victimes, et les rebondissements à répétitions. Entre zones d’ombre, accusations et révélations, retour sur le scandale sanitaire de la contamination à la salmonelle de nourrissons.
Le 2 décembre, le Ministère de la santé et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) annoncent avoir retiré de la vente et rappelé 12 lots de laits infantiles. En suivront plus de 600. Les institutions auraient en effet fait le lien entre une vingtaine de bébés de moins de six mois hospitalisés depuis le mois d’août suite à une contamination à la salmonelle. Ils auraient tous consommé des produits de la marque Picot, Pepti et Milumel provenant du même groupe, Lactalis, et d’un même site de production, celui de Craon, rapidement mis en cause.
La salmonelle est une bactérie issue du tube digestif des animaux et très souvent transmise à l’homme par le biais d’aliments contaminés. D’après l’institut Pasteur, chaque année le Centre national de recherches (CNR) expertise de 8000 à 10 000 souches de Salmonella. Chez les personnes âgées, les nourrissons, ou les personnes immunodéprimées, l’infection peut être très sévère voire mortelle. Elle entraîne fièvre et gastro-entérites.
Au fur et à mesure des semaines, de nouveaux petits patients étaient hospitalisés pour les mêmes symptômes. A ce jour, on compte 37 bébés atteints. Mais au vu des récentes analyses, le groupe n’exclut pas que d’autres bébés aient consommé des produits infectés entre 2005 et 2017. Fort heureusement, aucun des cas ne s’est révélé mortel. Mais les contaminations auraient pu être évitées.
Manque de transparence, négligence : Lactalis savait-il ?
Face au scandale, le groupe Lactalis et ses dirigeants se font discrets et les parents réclament plus de transparence. Alors que 612 lots ont été retirés de la vente et rappelés entre le 2 et le 10 décembre, le groupe ajoute discrètement 5 nouveaux lots à la liste le 18 décembre. Plus tard, un communiqué du groupe précisera que loin d’être un oubli volontaire, il s’agissait d’une erreur de liste : “ces 5 lots ont été notifiés aux services de l’État, mais par la suite omis de la liste de l’arrêté ministériel qui a entraîné le rappel”.
Quentin Guillemain, père d’une fillette de trois mois qui a consommé du lait Lactalis, est le premier à déposer plainte contre le groupe laitier en décembre pour mise en danger de la vie d’autrui et non assistance à personne en danger. Il crée une association de victimes pour obtenir plus de réponses, notamment de la part de l’Etat. Les parents sont en colère et accusent le groupe d’avoir dissimulé des informations et d’avoir été négligents. Pas dans le but de mettre en danger la vie de nourrissons, mais par intérêt économique.
Selon Le Canard enchaîné, le groupe laitier, leader sur le marché, était au courant, depuis plusieurs mois, de la présence de salmonelles dans son usine de Craon. Des analyses avaient été effectuées sur le site, en août et en novembre, sans aucun dépistage. Pourtant, ce sont bien les lots délivrés depuis février 2017 qui sont aujourd’hui mis en cause. Dans un communiqué datant du premier février, le dirigeant du groupe, Emmanuel Besnier, s’explique enfin sans réellement porter de responsabilités : “Je m’étais engagé à faire toute la lumière sur ce qui s’est passé. On sait aujourd’hui que nous avons libéré des salmonella Agona en réalisant des travaux sur les sols et les cloisons de la tour de séchage”. Selon lui, les analyses réalisées ces dernières mois ne laissaient aucun doute qui aurait justifié d’arrêter la production de leur site de Craon. Dans le cas contraire, il assure qu’ils n’auraient “évidemment pas commercialisé les produits”. Emmanuel Besnier accuse en fait le laboratoire extérieur chargé des analyses d’avoir été négligent : “Nous nous posons beaucoup de questions sur la sensibilité des analyses faites par ce laboratoire. Nous avons beaucoup de mal à comprendre comment 16 000 analyses réalisées en 2017 ont pu ne rien révéler. Nous avons des doutes sur la fiabilité des tests. Ce n’est pas possible qu’il n’y en ait eu aucun de positif “. Pour le Canard enchaîné, le groupe mayennais était au courant mais aurait tout tenté pour minimiser l’affaire.
Des erreurs en séries, les distributeurs et l’Etat également pointés du doigt
En matière de déni, d’autres acteurs de cette affaire ne sont pas en reste. Alors que dès le 2 décembre les autorités avaient commencé à former une liste regroupant les lots à retirer de la vente à destination des distributeurs et malgré des rappels successifs, certaines enseignes ont fait preuve d’une gestion défaillante spectaculaire. Au moins 91 établissement détenaient jusqu’à mi-janvier des boites qui auraient dû être retirées des rayons. Ce sont parfois les consommateurs eux-mêmes qui ont dû les signaler. Bruno le Maire a indiqué que parmi eux se trouvaient 30 grandes surfaces, 44 pharmacies, 2 crèches, 12 hôpitaux et 3 grossistes. Les produits du groupe Lactalis, leader sur le marché, ne seraient apparemment pas les plus faciles à remplacer. Leurs concurrents ont dû rudement accélérer leur production pour satisfaire la demande et éviter une pénurie grandement crainte. Casino, Carrefour, Système U, etc., le 9 janvier, Leclerc a admis avoir vendu 984 produits qui auraient dû être retirés de la vente. Auchan a présenté ses excuses et se dit “consterné pour ces erreurs subies par ses clients” après avoir vendu 52 produits Lactalis dans 28 de ses magasins. Ils évoquent des erreurs humaines et des listes pas à jour.
A cette révélation, Carine Wolf-Thal, la présidente du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens s’est montrée très indignée dans un communiqué : “Par leur manquement, ces quelques pharmaciens mettent en danger la sécurité sanitaire, trahissent la confiance des patients et bafouent l’honneur de la profession. C’est inacceptable.”, présentant ses excuses “au nom de la profession”.
“Dans cette affaire, je trouve qu’il y a une nonchalance de la part du gouvernement qui devrait, à un moment donné, taper du poing sur la table et informer correctement la population.”
Dans cette affaire, l’Etat et ses services sont aussi pointés du doigt. Dans un communiqué en date du mercredi 24 janvier, l’AFP a annoncé que “les parents d’un jeune garçon ayant consommé du lait infantile contaminé aux salmonelles ont déposé une plainte auprès du tribunal de grande instance de Paris” avec constitution de partie civile pour “administration de substances nuisibles ayant entraîné une infirmité permanente” sur un mineur de moins de 15 ans. Si la plainte vise le groupe Lactalis, elle cible également la Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection de la population de la Mayenne et la Direction générale de l’alimentation, responsables des contrôles sanitaires et de la délivrance d’un agrément à l’usine. La famille les accuse de complicité et de n’avoir “volontairement pas effectué de contrôles sur la production de lait infantile” lors de leurs visites de ces derniers mois. Quentin Guillemain reproche quant à lui à l’Etat sa “nonchalance” et le manque d’information et d’accompagnement dont les parents et consommateurs se sont vus victimes : “Dans cette affaire, je trouve qu’il y a une nonchalance de la part du gouvernement qui devrait, à un moment donné, taper du poing sur la table et informer correctement la population.”.
Conjointement, des députés du groupe socialiste ont demandé l’ouverture d’une commission d’enquête afin d’établir “la chaîne des responsabilités”.
Cette affaire laisse un goût amer. Malgré un sujet plus que sérieux et la santé de nourrissons potentiellement en jeu, les différents acteurs du dossier se sont montrés décevants. Le groupe a très peu communiqué et deux mois après que le scandale a éclaté, Emmanuel Besnier a finalement présenté ses excuses au nom du groupe Lactalis. Les services de l’Etat et le groupe laitier ont mis du temps à identifier les lots infectés, et les distributeurs encore davantage à les retirer de la vente. Une centaine de parents auraient porté plainte. Reste désormais à la justice de mener son enquête et de déterminer les responsabilités.