Elle a mis sa vie au service des personnes dépendantes. Au travail, à la maison, ou dans son engagement associatif, Siga Dembele prend soin d’enfants handicapés qui peinent à s’intégrer. Son association “Enfance sans barrières” recherche aujourd’hui des bénévoles.
Dans le hall de l’école maternelle, Siga aide Idriss* [les noms ont été changés], 3 ans, à accrocher son manteau. Le petit crie, se roule par terre, jette violemment le vêtement. A chaque fois, elle le ramasse calmement, le remet dans la main de l’enfant et le pousse en douceur vers la patère.
Siga est malienne. Grande, les yeux en amandes, ses cheveux frisés coupés au carré, elle a 42 ans et est auxiliaire d’intégration à temps partiel à la mairie d’Aulnay-sous-Bois. Depuis 17 ans, elle s’occupe d’enfants handicapés en crèche ou en maternelle. « Une véritable vocation » d’après ses collègues.
Du lundi au vendredi, Siga se rend à l’école Ambourget à 8h30, pour aider le petit Idriss. Son handicap n’a pas encore été diagnostiqué. D’une voix douce, elle le guide pendant l’atelier peinture. Elle le change si nécessaire ou le surveille lorsqu’il s’élance sur son tricycle.
L’après-midi, de 14h45 à 17h, elle veille sur Mahdi*, 2 ans à la crèche. Le bambin peut difficilement s’asseoir en raison d’une déficience musculaire. Il est malvoyant et quasiment sourd. Elle stimule ses sens par des massages. Elle fait tinter des grelots à son oreille, lui montre des objets colorés.
Aidante “depuis toujours”
Siga croit en Dieu mais ce n’est pas sa religion – dont elle n’aime pas parler – qui l’a poussée vers les plus fragiles. Elle s’intéresse aux personnes dépendantes « depuis toujours ». Enfant, elle aidait déjà sa mère malentendante à marchander sur les marchés de Bamako. « J’étais obligée d’être là pour qu’elle ne se fasse pas arnaquer » explique-t-elle. A 13 ans, ses parents l’envoient en France pour qu’elle veille sur les enfants de sa sœur, âgés respectivement de 3 et 5 ans. Elle s’occupe d’eux jusqu’à leur adolescence, tout en suivant des cours au collège privé L’Assomption, à Bondy.
Siga quitte l’école à l’âge de 16 ans. Sa sœur travaille dans une maison d’accueil spécialisée (MAS), un établissement d’aide aux adultes handicapés. Elle la pousse à faire des gardes de nuit avec elle. « Ma première veille a été horrible. Un jeune trisomique a senti que je n’étais pas à l’aise. Il m’a coursé dans tout le bâtiment », s’amuse-t-elle.
Après quelques années en MAS, elle se focalise sur l’aide aux enfants dépendants. Elle suit ensuite une formation de deux ans, et entre au service “mission handicap” d’Aulnay. Elle effectue alors un stage dans un institut médico-éducatif (IME) qui accueille des jeunes qui ne peuvent pas être accueilli.e.s dans les structures scolaires classiques. Aujourd’hui, elle fait un travail dont elle est fière. « Notre service a gagné 2 récompenses pour la prise en charge dont bénéficient les enfants handicapés de la ville » répète-t-elle à qui veut l’entendre. Les prix APAJH et ORCIP – des récompenses pour l’intégration des personnes dépendantes – gagnés par la mairie d’Aulnay sont des distinctions importantes pour elle.
Son métier lui donne aujourd’hui l’impression d’être « utile ». Elle évoque un petit garçon porteur de handicap dont elle s’est occupée au tout début de sa carrière. L’enfant avait des accès d’angoisse, durant lesquels il se mutilait le visage. Petit à petit, elle a su le mettre en confiance et prévenir les crises. « Quand je n’étais pas là, il faisait la misère à l’équipe » déclare-t-elle.
Engagée au quotidien
Quand elle ne travaille pas, Siga prend soin de ses 5 enfants, âgés de 4 à 17 ans. Elle passe beaucoup de temps avec sa seconde fille, Daba, atteinte de trisomie 21. Son mari Mohammed, chauffeur de poids lourds et de bus à Roissy, a découvert un autre monde lorsque l’enfant est née. « Il a compris ce que je faisais toute la journée » explique Siga. Apprendre que son enfant était handicapée a été « très dur » pour le couple. Aujourd’hui, l’enfant a 11 ans. Elle parle, mais a du mal à articuler correctement. Pourtant, Siga est optimiste. « Ma fille fait des progrès : l’autre jour, elle s’est mise à chanter avec des vraies phrases » assure-t-elle.
Lorsqu’on lui parle de temps libre, Siga rit en secouant la tête. Elle ne s’arrête jamais. Il y a un mois, la jeune femme a monté « Enfance sans barrières », une association qui vient en aide aux bambins déscolarisés en raison de leur handicap. Elle a eu un déclic lorsque la mère d’un enfant dont elle s’occupait a dit penser parfois au suicide. Célibataire, cette femme ne pouvait pas prendre soin de son fils à temps plein.
Siga souhaite se rendre une ou deux fois par semaine au domicile de parents en difficultés pour garder leurs enfants. Pères et mères pourraient ainsi souffler quelques heures tandis que leur enfant verrait de « nouveaux visages ». Siga est déjà intervenue « en urgence ». Récemment, une famille l’a contactée pour qu’elle prenne soin de leur enfant, alors qu’eux-mêmes étaient bloqués. La mère sortait de l’hôpital et était en convalescence. Siga a accompagné le bambin pendant plusieurs jours.
Pour elle, la France n’aide pas assez les personnes dépendantes, particulièrement les enfants. C’est d’ailleurs pour cela qu’ elle a créé son association. « Au début, je n’osais pas me lancer » raconte-t-elle timidement. C’est sa supérieure hiérarchique, Véronique Cohen, véritable mentor, qui l’a poussée à s’embarquer dans l’aventure.
Un projet qui voit loin
Siga a financé le projet de ses propres deniers, en mettant tous les mois une petite somme de côté. Pendant deux ans, elle a suivi de nombreuses formations, s’est rendue dans des forums et a envoyé des demandes de financements. Elle a aussi bénéficié de l’aide de “projet pour l’emploi”, et d’HEC, qui l’ont aidée à monter « Enfance sans barrières ». Elle est aujourd’hui à la recherche de bénévoles et espère trouver des subventions pour que l’association devienne pérenne.
Mais cela prend du temps. Son fils de 9 ans lui a d’ailleurs reproché ses nombreuses absences. Plusieurs fois, elle a renoncé à se rendre à des forums pour être auprès de lui. Heureusement, ses amis et collègues la soutiennent pleinement. Et Siga compte bien aller jusqu’au bout de son projet. « A terme, j’aimerais pouvoir travailler à temps plein pour l’association. Et être payée pour cela » confie-t-elle.
Deux ou trois fois par mois, la jeune femme s’accorde quelques instants tranquille. Tard le soir, après avoir cuisiné pour le lendemain, elle reste seule devant sa télévision « pour souffler ». Elle a besoin de ces moments. Siga Dembele consacre sa vie aux autres et quelques minutes à elle-même.