CINÉMA

Downsizing – Candide au pays des tout-petits

Réduire sa taille en échange d’une vie meilleure et sauver l’environnement. Matt Damon en tout petit. Le speech valait à lui tout seul le coup d’œil. Fable écologique, alter-mondialiste, oui, le nouveau film d’Alexander Payne, Downsizing, l’est. Mais c’est aussi une féroce comédie difforme, imprévisible et peut-être même insaisissable.

L’affabulation science fictionnelle

L’invention du « downsizing » en tant que tel tend à faire du film une œuvre de science fiction, bien entendu. C’est un processus permettant de réduire la taille des gens, les faire passer d’un bon mètre quatre-vingts à seulement douze centimètres. L’objectif étant à la fois de réduire la place que nous prenons sur la Terre et notre consommation de ses ressources. Le message écologiste, sur la surpopulation est clair, la dénonciation de la société de consommation l’est aussi. Le monde des petits est formidable car par effet d’équivalence économique (tout est en taille réduite donc coûte moins cher) les gens sont tous riches, ont de grandes villas, des parures de diamant, la criminalité est nulle. C’est à lire derrière les lignes, mais ici, on vend un modèle de vie parfait. Une sorte d’American Way of life. Contre balancé par leur travail d’employés de bureau qu’exécutent les gens en réalité, l’existence de femmes de ménages à qui l’on donne par fausse bonté des restes, d’un ghetto à l’extérieur de leur ville…

Pourtant, contrairement à ce qu’on aurait pu attendre, le film se développe dans une direction assez inattendue. Le parallèle avec Candide n’est pas sans intérêt dans la mesure où comme pour le personnage de Voltaire, les événements surviennent de manière inattendue et parfois totalement improbable. D’où le mot « fable » plus haut. Ce film est une affabulation. Alexander Payne décrit son invention de manière démonstrative, minutieusement : quelles sont ses conséquences sociétales (séparer les gens selon leur taille, quelle organisation de la vie courante…) ? Politiques (sont-ils des citoyens normaux,…) ? Économique (il y a en effet une crise économique suscité par une baisse de la croissance due aux petites personnes, moins productives que les grandes) ? En somme : est-ce que notre société en sort grandie ?

Parce qu’il s’agit justement d’une nouvelle société, où apparaissent de nouvelles opportunités, de nouveaux business (les villes réservées aux petits, le trafic de la miniaturisation des choses du quotidien…). Typiquement, l’intérêt de la démonstration du réalisateur se joue dans la manière dont il fait apparaître le personnage de Chistoph Waltz, sorte d’incarnation vicieuse du capitalisme, projetée dans cette micro-société en vue d’en exploiter les rouages – semblant idyllique au départ. C’est justement à la suite de la rencontre entre Christoph Waltz et Matt Damon que ce dernier découvre l’existence du ghetto, une conséquence du vice capitaliste, du ver dans la pomme, qu’il comprend la logique des puissants (qui se connaissent tous, travaillent ensemble).

Matt Damon et Christoph Waltz – Downsizing © Paramount Pictures

 

La formidable richesse d’un monde encore à construire

Alexander Payne a véritablement inventé un univers d’une formidable densité. Le souci du détail, l’intelligence de cette structure narrative pourtant très déstabilisante – le film ne prend jamais le spectateur par la main et poursuit inlassablement sa route, à son rythme, avec ses choix, quitte à laisser des pans entiers à l’imaginaire du spectateur. C’est de la vraie science fiction en fait ! Celui qui assiste à l’émergence de cette nouvelle réalité peut ainsi exister dans celle-ci, contribuer par lui-même à son développement.

Exercer son imagination a du sens même dans de la science fiction cinématographique car ne sont ici qu’esquissées les choses, par petits bouts, touches. On ne saura que peu de chose sur l’histoire des personnages secondaires : celui incarné par Christoph Waltz donc, mais le film en compte beaucoup d’autres personnages qui pourraient être des sujets à part entière. Prenez cette opposante politique vietnamienne qui, en prison, a été miniaturisé de force et qui s’est retrouvée – miraculeusement – dans la même colonie que Matt Damon. La colonie originelle en Norvège aurait aussi fait un formidable sujet dans sa dérive sectaire. Là est le plaisir d’une bonne science fiction : le spectateur est libre, libre comme l’air, libre d’inventer, d’extrapoler, de débattre, de refuser certains aspects et d’en écrire lui-même les pages manquantes. C’est le mystère englobant la chose que l’on a sous les yeux : plus on avance et plus le brouillard épaissit.

C’est d’autant plus beau que le récit est volontairement complexe malgré une structure démonstrative et un personnage principal qui occupe le rôle de Candide chez Voltaire. Ici, ce qui intéresse Alexander Payne et lui sert de cap dans cet océan, c’est l’idée du choix de vie. Les personnages sont continuellement confrontés à des choix de vie : devenir petit ou non, aller à la soirée et prendre le médicament ou non, aller dans l’abri ou non, aider ces gens ou non. Le personnage de Matt Damon, sorte de médecin du travail au début du film, est guidé au final par cette volonté d’aider l’autre sans que ça ne soit nécessairement explicite. La manière d’aider évolue, mute, mais subsiste. C’est le résultat de ses choix, et le personnage en prendra conscience, étant la gravité de certains… Il rêve toujours d’une vie meilleure pour lui-même, plus heureuse, et c’est ce qui guide ses choix individuels. L’inattendue évolution du cours des choses n’en est alors que conséquence d’un besoin inconscient d’aider l’autre. Downsizing est presque dans ce cas une parabole : nous sommes petits dans l’immensité d’un monde dans lequel nous sommes coincés. Et la vie en société, c’est essayer de ne pas faire un enfer.

 

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