ART

Aux Amandiers de Nanterre, l’avant-garde avance masquée !

Situé dans la proche banlieue parisienne, le théâtre dirigé par Philippe Quesne a encore confirmé cette année son statut de rendez-vous de la création internationale. Si vous aimez le théâtre mais aussi, l’art contemporain ou la musique, bref si vous avez envie de vous secouer culturellement parlant, rendez-vous à Nanterre !

Programmation internationale et exigeante

La semaine dernière, le centre dramatique national mettait à l’affiche Makrus Öhrn, un des artistes du théâtre occidental les plus controversés. Vidéaste avant d’être metteur en scène, le suédois a proposé une version toute personnelle, avec sang et musique assourdissante, de La sonate des spectres de Strindberg. Dans cette proposition qui faisait la part belle à la dimension horrifique du texte, les acteurs de la troupe du Nowy Teatr (le théâtre de Varsovie dirigé par Krzysztof Warlikowski) étaient affublés d’énormes masques en carton pâte et leurs voix, déformées, évoquaient celles de personnages de dessins animés. Moins trash que ce à quoi on pouvait s’attendre, le résultat était visuellement plutôt plaisant. Pour être franc, c’était un joyeux bazar bizarrement jouissif, assez proche de ce qu’un Vincent Macaigne (d’ailleurs présent dans la salle ce soir là) peut faire.

La sonate des spectres, Markus Öhrn © Magda Heuckel

Néanmoins, cette mise en scène laissait les spectateurs sur leur faim. Un manque de vision dramaturgique ? Des enjeux pas forcément bien mis en valeur ? Un concept qui s’essouffle un peu au-delà d’une heure ? Pour sa défense, c’était la première fois qu’Öhrn travaillait à partir d’un véritable texte de théâtre. Aussi, si le résultat n’est pas inoubliable, on lui laisse néanmoins bien volontiers une autre occasion de nous impressionner.

« Je n’ai pas été diplômé d’une école de théâtre. Je savais très peu de choses sur le théâtre, ce qui me limite aussi aujourd’hui. Je ne dirige pas vraiment, du moins dans la définition classique de la direction théâtrale. Au lieu de cela, l’équipe et moi, explorons le thème et la forme et ensemble nous cherchons une énergie explosive  ».  (Markus Öhrn) 

A partir de jeudi 24 janvier, les Amandiers mettent à l’affiche un deuxième spectacle dans lequel les acteurs portent des masques… cette fois-ci c’est la metteuse en scène allemande Susanne Kennedy qui s’y colle. Dans Pourquoi M.R est-il atteint de folie meurtrière ?, son premier spectacle présenté en France, les acteurs ne ressemblent pas à des personnages de dessin animé mais à des humanoïdes ultra-sérieux. Le sujet aussi est sérieux : l’histoire est l’adaptation du film de Rainer Werner Fassbinder du même nom qui relate l’histoire de Monsieur R, un homme obéissant à souhait qui fini par craquer et assassiner tous ses proches…

« Avant même de m’intéresser aux masques, j’ai toujours demandé aux acteurs avec lesquels je travaillais d’avoir des visages neutres, sans grande expression, comme Buster Keaton. Je me suis intéressée aux masques récemment. Dans le sud de l’Allemagne d’où je viens, la tradition du carnaval est très importante (…) et ils permettent de travailler sur le corps d’une manière tout à fait différente. Les mains deviennent primordiales. La manière dont les acteurs bougent, se déplacent, prend une toute autre dimension. Les plus petits gestes prennent énormément d’importance. Ce serait comme zoomer sur différentes parties du corps »  (Susanne Kennedy)

Pourquoi M.R est-il atteint de folie meurtrière ?, Susanne Kennedy © Ju Ostkreuz

Philippe Quesne : un poète visuel et, en même temps, un directeur audacieux

Cette programmation est tout à fait à l’image de ce qu’incarne le théâtre des Amandiers. Ce lui dispose de sans doute des saisons les plus intéressantes et identifiables de toute la petite couronne parisienne. On y va pour découvrir des formes nouvelles, proches de l’art contemporain, ainsi que des artistes venus d’univers très variés. L’année dernière on pouvait voir une création d’Apichatpong Weerasethakul, le réalisateur thaïlandais qui a obtenu la Palme d’or en 2010 pour Oncle Boonmee. Depuis septembre 2017, on y a vu une adaptation de Samuel Beckett par la portugaise Tania Bruguera, une création de Théo Mercier, jeune plasticien français mais aussi la dernière pièce de Gisèle Vienne (Crowd), chorégraphe venue du milieu de la marionnette. Signe que ce théâtre est vraiment un lieu de défrichage international : il programmait déjà en 2015 Thyestes de Simon Stone, le metteur en scène australien devenu depuis le chouchou des scènes européennes.

Philippe Quesne © Victor Tonelli

Depuis 2014, à la barre de ce qui est le plus grand centre dramatique de France, Philippe Quesne. Formé aux beaux-arts, il a débuté par une carrière de scénographe avant de passer en 2003 à la mise en scène et de fonder sa compagnie Vivarium studio. Ses créations à la scénographie très soignée (on ne se refait pas) sont toujours placées sous le signe de la poésie et de l’onirisme. Rien que leur titre en témoigne (La démangeaison des ailes, La nuit des taupes).

Le succès est au rendez-vous et les pièces tournent en France et dans le monde entier (Munich, Bruxelles ou New York). Enfin, 2018 constitue l’anniversaire des dix ans de deux de ses pièces qui n’ont quasiment pas quitté l’affiche des théâtres depuis leur création :  L’Effet de Serge et de La mélancolie des dragons.

La mélancolie des dragons, Philippe Quesne © Martin Argyroglo

Les programmations concoctées par Quesne et son équipe pour son institution sont identifiables entre mille et on va aux Amandiers pour vivre une expérience, y être dépaysé, bousculé et interrogé sur ce que peut être le théâtre en 2018 (rien que ça oui)… Il faut également souligner la politique tarifaire du théâtre, très avantageuse pour les jeunes de moins de 30 ans qui, une fois qu’ils ont acquis la carte d’adhésion à 5€ peuvent acheter des places à 10€… de la culture, fraiche et exigeante, et pour tous en somme. Qui pourrait dire mieux ?

 

Pourquoi M.R est-il atteint de folie meurtrière ?, Susanne Kennedy, du 25 au 28 janvier.

Les 10 ans de La mélancolie des dragons et L’effet de Serre, Philippe Quesne, du 6 au 11 février ;

Renseignements et billetterie : http://www.nanterre-amandiers.com/#home

Rédactrice "Art". Toujours quelque part entre un théâtre, un film, un ballet, un opéra et une expo.

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