En novembre dernier, le président Macron a annoncé une série de mesures pour lutter contre les violences faites aux femmes, en faisant de l’égalité femmes-hommes la cause nationale de son quinquennat. Parmi ces mesures, la création du délit de harcèlement de rue, ou encore l’allongement du délai de prescription pour les viols. Un projet de loi controversé qui provoque le débat.
Depuis le mois d’octobre 2017, et suite aux révélations mondiales sur des affaires de viols et de harcèlement sexuel dans le milieu du cinéma, un mouvement sans précédent a vu le jour sur la toile. La résurrection du #balancetonporc, créé en 2007 par une militante africaine-américaine, et le #metoo ont été les catalyseurs de cette révolution testimoniale, et ils ont peu à peu dépassé les frontières du web. Plusieurs rassemblements militants ont été organisés en France et dans le monde, et le cybermouvement s’est vu prolongé dans l’espace public physique.
Un mois après, le gouvernement français s’empare du sujet en annonçant un plan de lutte et un projet de lois contre les violences faites aux femmes prévus pour le premier trimestre 2018. Les #metoo et #balancetonporc représentent une libération majeure de la parole pour les femmes dans nos sociétés. Ils ont constitué un répertoire d’actions dites “bruyantes” pour mobiliser la population et alerter le monde politique. Mais les sujets dont ils ont été les porte-voix existent dans l’agenda politique depuis plusieurs années déjà. L’emballement législatif autour de ces questions pourrait-il s’apparenter à de la récupération ?
Ce qui est sûr, c’est qu’avec ses annonces, le gouvernement veut se montrer flexible, réactif, capable d’entendre les problèmes de la société et d’y apporter des réponses rapidement – bref, le b.a.-ba de la communication politique et du vocable macronien. Si certaines mesures paraissent intéressantes et sont bien reçues, notamment celles portant sur la culture et l’éducation, d’autres propositions législatives créent beaucoup plus de débats, et reflètent peut-être la précipitation du gouvernement dans cette affaire.
Trois axes d’action
Lors de son discours du 25 novembre à l’Élysée, Emmanuel Macron a décrit l’organisation de ses mesures selon trois axes :
- le volet culture et éducation, qui consiste à créer des modules d’enseignement sur le sexisme et le harcèlement, et à intensifier la régulation des jeux vidéos et du contenu web par le CSA ;
- le volet prise en charge, avec la possibilité de porter plainte en ligne et la création d’unités de soin spécifiques pour mieux accompagner les femmes victimes de violence ;
- le volet purement législatif, qui prévoit la création d’un âge de présomption de non-consentement, l’allongement du délai de prescription des viols de 20 à 30 ans, et la création du délit de harcèlement de rue.
C’est le dernier volet d’action, et plus précisément les deux dernières propositions, qui est le plus discuté par les parlementaires et les associations féministes. En effet, ce sont celles qui sont jugées les moins applicables.
Le délit de harcèlement de rue, comparable au délit d’injures, suscite des réactions d’opposition de la part de militant·e·s féministes. Il y aurait déjà un cadre législatif pour le harcèlement de rue dans la loi sur le harcèlement sexuel, qu’il faudrait peut-être approfondir au lieu de superposer les textes de loi.
De plus, la loi sur le harcèlement de rue serait quasiment inapplicable, puisqu’elle est basée sur la contravention lorsqu’un agresseur est pris sur les faits. Elle nécessiterait un déploiement policier important sur le territoire, avec de forts risques de dérives sécuritaires, sans que l’on soit assuré de l’efficacité de la méthode. Par ailleurs, plusieurs militant·e·s regrettent que ce projet ne s’attaque qu’à la rue, à l’heure où les agresseurs dominants de la sphère politique, médiatique, culturelle, sont enfin de plus en plus inquiétés – le premier exemple emblématique étant celui de DSK en France.
Le casse-tête de la hiérarchisation législative
Le projet d’allongement du délai de prescription pour les viols est sans aucun doute celui qui pose le plus de questions à notre société. Le délai de prescription est défini par le code pénal : aujourd’hui, il est de 20 ans pour les crimes sexuels et de 6 ans pour les délits sexuels. Ce délai est fixé à partir de la majorité de la personne agressée pour les viols seulement, et il a déjà été rallongé pour les cas de viols perpétués par des ascendants familiaux. Emmanuel Macron souhaite rallonger de 10 ans le délai de prescription pour les viols, pour le faire courir jusqu’à 30 ans après la majorité, ce qui permettrait aux victimes de porter plainte jusqu’à 48 ans.
Ceux en faveur d’un allongement ou d’une imprescribilité totale pour les viols, argumentent en disant que les victimes de tels actes sont souvent touchées par l’amnésie traumatique, un mécanisme psychique de survie qui peut mettre des décennies à se résorber. L’allongement de la prescribilité permettrait donc d’être reconnu·e en tant que victime très longtemps après les faits, et laisserait un temps de préparation nécessaire aux personnes qui le souhaiteraient avant de faire face à son agresseur devant la justice.
Cependant, plusieurs voix s’élèvent contre cette mesure, qui créerait une anomalie législative importante. En 2014, le débat avait déjà eu lieu à l’assemblée, sur proposition de l’UDI, et le PS s’était alors opposé à l’allongement du délai de prescription. En effet, cette mesure pose le problème de la proportion des peines et de la hiérarchisation des crimes et des délits. Ces questions sont propres au domaine du droit, qui se doit d’assurer une cohérence législative dans la société.
La première difficulté concerne donc l’administration des peines : un délai de prescription trop long poserait des problèmes procéduraux importants, notamment dans la reconnaissance des preuves – comment prouver un viol 30 ans après les faits ? Les victimes risqueraient dans de trop nombreux cas de ne pas obtenir gain de cause. Ces considérations sont évidemment discutables, puisqu’elles peuvent également se poser pour le délai de 20 ans, mais elles doivent tout de même être entendues : la question est de savoir où le droit fixe la limite, puisqu’il en faut nécessairement une, et s’il est ou non judicieux de la repousser.
La seconde, et peut-être plus importante difficulté, est celle de la gradation des crimes. En février dernier, le délai de prescription pour les crimes terroristes et pour le trafic de stupéfiants a été allongé de 10 ans : il est donc désormais fixé à 30 ans, la plus longue période de prescribilité définie par le droit français, tout comme pour les crimes de guerre. Allonger de 10 ans le délai de prescription pour les viols alignerait donc le crime sexuel sur les crimes de terrorisme et de guerre, ce qui est discutable, voire inenvisageable au regard du droit. Le droit repose notamment sur la hiérarchisation des crimes, et c’est cette hiérarchisation qui constitue la cohérence législative de notre société. En ce sens, l’imprescribilité du crime de viol est tout à fait proscrite puisqu’elle alignerait le viol sur le crime contre l’humanité, seul crime imprescriptible selon les textes internationaux.
Ces couacs législatifs ne sont pas encore résolus, et il sera intéressant de suivre les positions du gouvernement sur la question : ces mesures sont-elles des effets d’annonce, ou vont-elles révolutionner le droit français ? L’enjeu de ces débats est en effet de savoir si la sexualité demande un traitement particulier au niveau judiciaire, et le cas échéant pour quels motifs. Parce que la sexualité est sacralisée par la société, ce qui placerait le crime sexuel au dessus des autres, ou bien parce que le viol constitue la négation du consentement, et par conséquent de l’être humain en tant que sujet, par excellence ? Ce sont les valeurs et la morale de notre société, notre système politique et notre système de droit qui sont ainsi questionnés par ces mesures.