CINÉMA

« Rogue One : A Star Wars Story », le féminisme de façade

Second film de la nouvelle fournée Star Wars initiée par Le réveil de la force, Rogue One de Gareth Edwards poursuit sa volonté affichée de modernisation. Comme son prédécesseur, le film place un personnage féminin au premier plan. Il n’en faudra pas plus pour se voir accoler l’étiquette de film féministe. Enfin un personnage féminin fort dans l’univers Star Wars nous dit-on. Mais qu’en est-il réellement ? (Attention cet article est garanti 100 % spoiler).

Les deux premières scènes posent les bases du personnage de Jyn Erso. Il s’agit d’une femme devenue paria. Elle a grandi livrée à elle-même, suite à la mort de ses parents sous ses yeux. Dès lors elle est dépeinte comme une femme autonome, forte et  rebelle.

Un drame originel et un personnage solitaire, tout est là pour en faire une héroïne forte, au même titre que Luke Skywalker en son temps.

Un chemin héroïque semble s’offrir à elle : elle n’aura d’autre vocation que de se sublimer à travers la mission qui est la sienne (trouver les plans de l’Etoile noire) et changer le cours de l’Histoire. Dans la pure tradition Star Wars, on se réapproprie le parcours du Héro théorisé par Joseph Campbell.

Son importante destinée sera soulignée par le personnage Saw Guerrera, voyant sa mort arriver, « sauve la rébellion, sauve le rêve !  ». Le parcours héroïque est en marche.

La mort (ratée) du père

Survient la scène pivot du parcours du héros : la mort du père. Jyn se retrouve en effet face à lui en train de mourir. C’est la première fois où son personnage n’est plus rattaché au reste de l’équipe. Elle au centre de l’enjeu émotionnel de la scène. C’est son moment, celui où le lien avec le public va se solidifier. Tout est là : la pluie, les flammes, la jolie musique de Michael Giacchino, le père à terre sous les yeux de sa fille…

La mort du père – © Lucasfilm

 

Hélas la scène n’en restera qu’au stade du potentiel. Après quelques contre champs, des tirs interviennent et elle est extirpée du lieu. La rapidité et la maigreur de la scène prive le public de quelconque émotion. Cette première maladresse sonne le terme de la progression du personnage.

Les (petits) discours

Moment crucial pour l’assise du Héro aux yeux de la communauté, la scène du discours qui va galvaniser les troupes.

Malgré quelques grandes phrases philosophiques et simplistes sur l’espoir, celui-ci n’aura servi à rien. C’est le personnage masculin qui va parvenir à pleinement convaincre les autres protagonistes et ainsi concrétiser leur plan. C’est donc lui qui s’impose étonnamment en leader.

Comparaison : la réussite de l’homme – © Lucasfilm

Comparaison : la réussite de la femme – © Lucasfilm

 

Survient alors un second discours. Là encore c’est l’homme qui va répartir les tâches aux différents membres.

Pour un film féministe, on repassera. L’image qui en ressort est celle d’une femme qui débite de jolis discours poétiques totalement inoffensifs, tandis que l’homme parvient à bâtir des plans opérationnels.

Le duel final (à trois)

Après 1h30 de film l’acte final débute, c’est le temps de l’accomplissement final. Il s’agit de la dernière chance pour que Jyn s’impose en héroïne. Elle se doit d’être victorieuse en prenant le dessus sur sa Némésis : Orson Krennic, joué par Ben Mendelsohn. Elle deviendra alors une légende qui inspirera le reste de la société. Pourtant, cela ne va pas se passer tout à fait comme cela.

Première épreuve ratée : le vol des plans. Jyn et son acolyte Cassian se retrouvent face à une machine qu’aucun ne sait utiliser. C’est donc naturellement l’homme qui va prendre les choses en main. Quelques minutes plus tard, alors qu’ils sont découverts, c’est lui qui tire pour se défendre et elle qui se cache. Ce n’est pas de son fait si elle arrive à s’enfuir.

L’homme aux commandes – © Lucasfilm

 

Cet élément est sans doute le plus emblématique du personnage Jyn : sa passivité. Elle n’est à aucun moment un membre actif de l’action, elle n’est à l’origine d’aucun fait qui aura une répercussion sur l’histoire. Elle passe son temps à subir les choses. A la décharge du réalisateur Gareth Edwards, le héro de son Godzilla souffrait du même problème.

Le grand face à face final tant attendu ne fera que tristement le confirmer. Seule face à Krennic, elle n’a d’autre choix que d’embrasser enfin son destin. La scène a tout pour être chargée émotionnellement : va-t-elle le tuer, et ainsi se venger du meurtre de sa famille, ou lui laisser la vie sauve ?

Il la vise alors avec son blaster, elle doit agir. Elle ne peut plus faire marche arrière. Soudain…il reçoit un tir venant du hors-champ et tombe à terre. Alors qu’on le croyait mort, il s’agit de Cassian. Le preux chevalier sauve la princesse en détresse.

© Lucasfilm

 

Cette conclusion donne la délicate sensation qu’il faut faire revenir un personnage à la vie pour résoudre l’intrigue, l’héroïne ne suffit pas. Un personnage s’empressera alors de crier « Elle a réussi !  », Cassian ajoutera « Ton père doit être fier de toi  ». Ah ? Mais qu’a-t-elle fait de si déterminant pour être félicitée ?

Il s’agit d’une écriture désastreuse pour n’importe quel personnage quel qu’il soit, mais encore plus s’il est féminin et que le film vante son féminisme.

Cela semble une nouvelle tradition dans l’univers Star Wars car en terme de passivité, Rey (Le réveil de la force) n’a rien à lui envier. Espérons toujours que Les derniers Jedi lui donne un peu plus d’ambition.

 

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