Savez-vous ce qu’est une comédie romantique ? Vous en avez une vague idée, mais en fait, vous aussi, vous auriez du mal à dire ce que cela signifie. Qu’est ce qu’un film d’action ? Oui, ça ne veut en réalité pas dire grand chose… Nous allons essayer de remettre en question la classification par genre au cinéma qui est, à l’heure de Netflix, devenue un énorme mensonge.
« Hier, je suis allé·e voir un film d’action. », « Moi, ce soir, je vais voir une comédie romantique sur Netflix ». Ces phrases sont consternantes. Elles sont vides de sens. Non pas qu’elles choqueront, de par leur banalité – tout le monde a une idée précise de ce qu’est un film d’action, ou une comédie romantique, parce que tout le monde en aura vu de près ou de loin –, mais il s’agit en pratique d’un euphémisme : en quoi un film serait-il d’action ? L’action est, selon le Larousse, la « manifestation concrète de l’activité de quelqu’un, d’un groupe ».
Dès lors, on peux tout à fait avancer l’hypothèse selon laquelle une comédie romantique est un film d’action puisqu’il reposera sur diverses manifestations d’activité, de la part d’un ou de plusieurs personnages. Le sujet est soudainement plus complexe qu’il ne l’aurait semblé au départ : si les mots ont du sens, il va falloir redéfinir les notions clefs. Il s’agira ici pour nous de poser quelques bases permettant une réflexion plus profonde de la part du lecteur et de la lectrice par la suite, qui gardera en tête d’avoir toujours un esprit critique concernant le « genre ».
Parce que l’enjeu du « genre » est d’abord un enjeu de simplification. C’est l’ambition de pouvoir permettre à un spectateur, une spectatrice de facilement effectuer un choix engageant vis-à-vis de l’œuvre. Il va falloir en effet, après avoir choisi un film, prendre un certain temps, une certaine concentration, s’impliquer émotionnellement dans celui-ci. Prendre le risque de s’ennuyer et d’arrêter le visionnage, ou au contraire, en sortir changé·e, influencé·e, bouleversé·e. Mais l’envie prédétermine l’appréciation : on rentre du travail, des cours, et l’on est prédisposé à voir un film drôle, amusant, bref, à l’envie de se détendre. Cet état préalable au visionnage conditionne automatiquement ce que l’on voudra voir et ce qu’on en retirera : voir un film qui évoque des sujets difficiles, de manière très sérieuse, alors que l’on aurait simplement voulu se reposer, s’amuser, pourrait gâcher notre perception de celui-ci, au-delà des qualités objectives qu’on lui trouve. Il s’agit donc, dans la catégorisation des films par « genre », d’indiquer au spectateur le contenu et le ton sans en dévoiler l’essence. Il faut toujours donner envie de voir, sans trop en dire ni mentir sur le produit.
Remettre en question ce qui semble acquis
Pourtant, il s’agit bel et bien ici de questionner la pertinence de ce système. Constituer des catégories qui éclaireront le spectateur ou la spectatrice non instruit·e (ici, ce n’est pas à prendre au sens péjoratif), ignorant le contenu véritable du film, qui susciteront une envie, une attente, qui lui donneront envie de s’impliquer émotionnellement. Cela semble nécessaire.
Le cinéma possède un grand nombre de genres, et on continue d’en créer. Vous pourriez en citer déjà beaucoup : le drame, la comédie, l’aventure… Ces concepts évoquent, comme le terme « action » vu plus haut, des images précises, certaines sensations, certains films. Le drame évoquera de fortes passions, des événements douloureux, quand la comédie vise à susciter le rire. On créera notamment à partir de ces concepts des sous-catégories pour gagner encore en précision : est-ce qu’il s’agit d’une comédie-burlesque, d’une comédie-dramatique (typiquement un concept très vague et dur à définir), une screw-ball comédie (sous genre très populaire aux États-Unis pendant les années 1930) ? On notera que l’on peut même parfois préciser la nationalité d’un genre, la comédie étant très marquée socialement (comédie américaine, comédie française, comédie britannique, etc.). On commence à comprendre la difficulté à définir un genre étant donné sa nature multiple, confuse.
Il y a un phénomène toutefois intéressant, à reconnaître chez les défenseurs du genre : la codification due à la catégorie. Il existe des attendus dans un film qui se revendique être une comédie, ou un drame, ou d’aventure. On pourrait comparer cela au théâtre : une tragédie implique le déchaînement des passions causées par une fatalité, qui planera tout au long de la pièce, condamnant à mourir un ou des personnages. La structure est traditionnellement même très codifiée, précise : le premier acte est supposé être l’acte d’exposition, définissant les personnages et l’enjeu principal de la pièce. Il y avait des exigences de respect d’une unité de lieu, de temps. Cette logique perd toutefois un peu de sa valeur avec le temps, certains auteurs et autrices jouant avec les règles. On pourrait citer le Dom Juan de Molière (qui ne respecte pas les règles de bienséance de l’époque), ou même Tchekov, dramaturge russe qui a connu l’échec avec l’un de ses chefs-d’œuvre, La Mouette, qu’il considérait comme une comédie (ce qu’elle n’était clairement pas). Cela a d’ailleurs participé à une très mauvaise réception lors de sa première, les gens ayant été surpris de ce qu’ils voyaient : un drame douloureux, une tragédie même, qui en respecte certains codes.
Le cas du cinéma coréen
Cette démarche très post-moderniste de ne pas respecter les habitudes d’un genre se retrouve donc être un paradoxe puisque ce même genre est supposé être un outil de sélection, de choix, d’indice pour le spectateur. Une véritable confusion qui est même devenue un style avec le temps pour certains artistes, jouant allègrement à mélanger les codes. Le cinéma a par exemple connu, dans l’essor de cinéastes coréens au début des années 2000, une véritable apogée de la rupture de ton cinématographique, devenue la marque d’un courant.
Memories of Murder, sorti en 2003 et réalisé par Bong Joon-ho, en est sans doute le premier exemple marquant. Il s’est inspiré d’un fait divers réel : dans une petite bourgade, des jeunes femmes sont violées et assassinées les soirs de pluies. On pourrait alors s’attendre à un polar, un film noir, un film d’enquête – c’est justement dans le titre du film. Pourtant, le film mêle volontairement des mécaniques issues du burlesque (les policiers passent pour incompétents, ils trébuchent, glissent à cause de la pluie, créent de fausses preuves improbables)… Et ce, malgré la dureté de son sujet (ambiance poisseuse, sombre, séquences parfois difficiles, dilemmes moraux). S’il fut le premier, plusieurs cinéastes reprendront ce travail stylistique remarquable et en feront leur marque de fabrique. Tel est le cas d’un Na Hong-jin, qui dans The Strangers, sorti en 2016, joue de la longueur du film (2h40) pour passer du polar à la comédie, à la comédie « burlesque », au film fantastique, de fantômes, de zombies, d’exorcisme, passant même par le drame familial intimiste, le film de survie ou le film ouvertement politique. Bref, un véritable melting-pot incroyablement riche et complexe narrativement, rendant obsolète la classification par genre, ou en tout cas, beaucoup moins pertinente qu’avant.
Classifier, c’est donc mentir ?
A la rigueur, ces deux films que nous venons de citer sont dans leur essence des films policiers. Comme l’objectif est de donner envie au spectateur de se plonger dedans, on les classera assez facilement malgré tout. Mais la subjectivé de ce classement finit par lui faire totalement perdre son sens, le rendant alors absurde. Il suffit de regarder une plate-forme comme Netflix : les films y sont rangés n’importe comment. Prenons un cas typique : comment « genrer » un film tel que The Assassin (2016) de Hou Hsiao-hsien, dans la catégorie action (c’est un wu xia pian, un film de cape et d’épée chinois, sur une tueuse qui doit tuer son ancien amour), alors qu’il s’agit d’une œuvre extrêmement contemplative, lente, bref, loin de ce qui correspondrait à l’idée qu’on s’en ferait au départ ? La subjectivité de la définition du genre rend dès lors la tâche de classification parfaite impossible.
On pourrait même parler du cas intéressant du « thriller érotique », sorte de sous-genre du policier, souvent très mal vu de l’industrie du cinéma – peu vendeur et cachant souvent un film érotique sans plus d’intérêt. Pourtant, on ne peut pas nier qu’il s’agit d’un très bon qualificatif pour des classiques du cinéma : Basic Instinct de Paul Verhoeven ou Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick en seraient de très bon représentants, et il ne faudrait pas rougir d’être rangé à leurs côtés. Mais la frontière entre thriller (qui possède dans ses gènes une part d’érotisme, de sexy, dans des archétypes tel que le personnage de la femme fatale) et film érotique (qui serait lui-même parfois à la frontière de la pornographie) est difficile à tracer…
Faut-il abroger le genre ? Bien entendu, non. Il reste un outil pratique. Notre ambition était simplement ici de soulever quelques enjeux, quelques questions, pour repenser son utilisation, convaincre de l’intérêt de porter un regard critique sur celui-ci et, à terme, préparer le terrain à un débat fondamental sur une potentielle re-conceptualisation.