CINÉMA

L’évolution de la question LGBT chez les Wachowski, entre métaphysique et prosélytisme

La question LGBT, et plus précisément celle de la transidentité, a toujours été sous-jacente dans la filmographie des frères, puis sœurs, Wachowski. Pour les plus attentif·ve·s, leurs changements de sexe n’avaient ainsi rien de surprenants. Mais cette mutation d’identité s’est aussi accompagnée d’une mutation artistique. Et si la déception que fut la saison 2 de Sense 8 y était liée ?

On imagine aisément qu’un changement de sexe n’est pas une décision que l’on prend sur un coup de tête. Cette problématique préexiste, évolue et murie au fil du temps. On peut donc en retrouver des embryons bien avant que la décision n’ait été prise.

Transe-filmographie

Dès le commencement, le ton est donné. Leur premier film Bound en 1996 met en effet en scène un couple lesbien.

Puis arrive la trilogie qui les hissera à la tête d’Hollywood : Matrix. Il y a d’abord les costumes en latex moulant et les orgies qui rappellent, sinon une liberté sexuelle, le milieu gay underground. Plutôt qu’une référence à Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, certain·e·s* voient dans les pilules que propose Morphée à Néo le traitement hormonal pris par les transgenres. Par ailleurs, dans sa tourmente identitaire, Lana Wachowski a avoué avoir voulu se suicider en se jetant sous un train. Le premier opus voit justement un métro manquer d’écraser Néo. Surtout, la saga raconte l’existence d’une alternative à un monde normé (comprendre hétéro-normé) qui conditionne les individus et les empêche de se révéler.

Matrix Revolutions – Copyright Warner Bros. France 2003

En 2008, Speed Racer est a priori dénué de telle référence. Pourtant un personnage attire notre attention, Racer X. Celui-ci a vécu une opération chirurgicale pour changer totalement d’identité comme le pourrait le faire une personne transgenre.

En coulisse, Larry est en train de devenir Lara. Des rumeurs indiquent qu’elle se travestit et commence à prendre des hormones féminines. Durant la promotion du film, le duo est alors aux abonnés absents.

Racer X et Lana Wachowski, même dessein ? (Speed Racer) –
Copyright Warner Bros.

Quatre année plus tard sort l’adaptation du livre Cartographie des nuages (Cloud Atlas) de David Mitchell, jugé inadaptable au cinéma. Ici les choses sont plus claires : en plus de la présence d’un couple gay, les acteurs ne cessent de se travestir (changement de genre, d’ethnie, d’âge) pour jouer plusieurs personnages. Plus que jamais le corps n’est qu’une simple enveloppe. Ce qui compte est ce qu’il y a à l’intérieur, l’âme. Pour la première fois, le public découvre publiquement Lara et ses dreadlocks roses.

De son côté, Jupiter Ascending possède aussi de multiples connotations : robot ouvertement gay et interruption systématique de mariages hétérosexuels. Comme toujours le personnage principal est emprisonné par des apparences (ici une femme de ménage) alors qu’il aspire à un autre destin (héritière de l’Univers).

Première apparition de Lana Wachowski : prix du HRC Visibility Award- Drew Angerer Getty Images

Vient alors en 2015 leur œuvre la plus explicite : la série Sense 8 pour Netflix. En plus d’un couple gay et d’une lesbienne, il apparaît un personnage transgenre. Tous ces personnages éparpillé·e·s dans le monde sont pourtant relié·e·s mentalement les un·e·s aux autres. Entre le Christmas special et la saison 2, le second frère Andy annonce également son changement en Lilly, avant que les tabloïds ne s’en chargent pour lui.

Mise à part ces éléments, force est de constater que leur filmographie est guidée par un état d’esprit transgenre.

Très tôt elles se sont affranchies des barrières traditionnelles du cinéma : une image mélangeant prises de vue réelles et éléments numériques (ce qu’a révolutionné Matrix), et les règles du montage sont explosées (les cuts de Speed Racer se font à l’intérieur même du plan). Cloud Atlas prouve qu’aucune frontière n’existe, qu’elle soit temporelle, spatiale ou corporelle. La classification même de genre (comique, dramatique, historique, science-fiction…) n’est qu’une convention qu’il s’agit de faire voler en éclat. Rien n’est catégorisé ou hiérarchisé, tout est mélangé. Il en résulte une œuvre fondamentalement hybride, littéralement trans-genres.

Prise de conscience

Vient alors la problématique saison 2 de Sense 8. Qu’est-ce qui a changé ? Une prise de conscience néfaste semble avoir été prise par les réalisatrices.

Sans avoir été un succès franc et massif, la première saison a su créer une solide communauté de fans, chose qui n’avait pas été vécue par les sœurs depuis Matrix. Immédiatement la série a été portée en étendard gay-friendly par la communauté LGBT. Cela n’a pas échappé aux Wachowski qui ont alors compris qu’elles étaient porteuses d’un message de tolérance.

Le couple Lito et Hernando (Sense 8, saison 2) © Netflix 2017

On se rend compte de cette évolution dans le discours promotionnel. Pour vendre la première saison, le co-créateur de la série J. Michael Straczynski avance comme argument cette question : « Que faites-vous quand quelqu’un d’autre vit dans votre tête et a accès à vos talents, votre histoire et vos secrets ? » Ce qui est important n’est pas tant la nature de ce qui différencie les personnages mais le fait même qu’ils soient différents. Pourtant un basculement va s’opérer. Dans la vidéo de Netflix réalisée pour remercier la mobilisation des fans, le discours de Lara est clair : « Quand j’étais jeune j’ai vu des personnages transgenres qui étaient tragiques, une blague, victimes, ou psychopathes […] Je voulais faire une histoire à propos des différences de chacun qui peuvent permettre de nous unir ». La nature de la différence vient alors au premier plan.

Dans la saison 1 on se fichait de savoir si le personnage était gay, transgenre, ou en proie à une société traditionnelle. On finissait par oublier ces caractéristiques pour ne retenir que les failles qu’elles induisent. L’important n’était pas leurs différences mais comment chaque expérience pouvait nourrir celle des autres. L’individu laisse la place au collectif. La saison 2 fonctionne à revers de ce principe. Les interactions entre les personnages se font de moins en moins décisives et seules résident leurs histoires individuelles.

Métaphysique Nietzschéenne par les Wachowski (Cloud atlas) – Copyright Jay Maidment / Warner Bros.

Par ailleurs les problématiques auxquelles sont confrontés les personnages se sont déplacées. Par exemple le problème du personnage gay Lito était lié à l’acceptation de soi et les conséquences sur la pérennité de son couple. Lorsque les deux hommes rompent, le spectateur est bouleversé, non pas en raison de son homosexualité, mais pour son histoire d’amour attachante, quelle qu’elle soit. D’ailleurs, la résolution de cet enjeu passera par une scène de réflexion sur l’Amour universel et l’Art. La différence entre la nature des couples n’est plus.
La saison 2 reprend la problématique de l’assomption du personnage mais en la réduisant à la seule caractéristique de son orientation sexuelle. Ce n’est pas un détail si l’apogée de son parcours prend place durant la Gay Pride de Sao Paulo.

Dorénavant le cœur de la série n’est plus l’universalité des individus mais la promotion de la tolérance à l’égard de la communauté LGBT. Une telle volonté n’est en rien blâmable. Cependant nous préférions des Wachowski leurs envolées philosophiques et métaphysiques plutôt qu’un point de vue plus terre-à-terre. Le traitement subtil et transcendantal de ces problématiques a laissé place à une prise de parti plus évidente.

 

*Référence : The Matrix as Transgender Metaphor de Film Runner

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