MUSIQUE

Le Brussels Summer Festival, prophète des tendances musicales

Le Brussels Summer Festival est un des festivals qui fait la fierté de la Belgique. Depuis plus de quinze ans, cette institution musicale rassemble quelques cent-mille festivalier·ère·s aux goûts les plus variés. En plus de ses qualités louées par toute personne qui s’y présente, le BSF possède un pouvoir non négligeable : celui d’annoncer les tendances de l’année à venir.

Au mois d’août, le centre de Bruxelles change de rythme cardiaque pour commencer à battre au son des groupes qui investissent ses scènes. Pendant dix jours complets, quatre-vingt-cinq artistes se sont succédé·e·s sur les différentes scènes éparpillées dans le centre historique et culturel de la ville. Il est évident que les têtes d’affiche ont été accueillies en grandes pompes sur la plus grande scène à disposition – la Place des Palais. Mais le succès de groupes comme The Divine Comedy, Puggy ou les Pet Shop Boys n’est plus à faire.

Nous avons préféré passer une bonne partie de notre temps entre La Madeleine, Le Magic Mirrors et le Mont des Arts. C’est là que nous avons débusqué les noms à retenir et les visages à imprimer dans nos esprits pour les mois à venir. On ne sait trop si le BSF lit l’avenir ou s’il a juste un sens aigu du goût. Une chose est certaine : la programmation nous a permis de découvrir des talents insoupçonnés que nous ne rechignerons pas à partager.

Comme une caresse sur le cœur

Une guitare à la main et la timidité dans le regard, Joe Bel a envoûté son public en quelques secondes à peine. Sa voix légèrement éraillée, parfois tirée jusqu’au soupir, a fait souffler le mistral dans la salle. La jeune femme fait partie de ces chanteuses dont on ne peut détacher les yeux sans savoir si c’est leur beauté ou leur timbre (ou bien les deux à la fois) qui clouent les auditeur·rice·s sur place. À tous les mélomanes en quête d’un rayon de soleil, ne cherchez pas plus loin : Joe Bel est la brise printanière qui vous fera oublier le retour prochain des jours gris et monotones.

Joe Bel – La Madeleine

Sur cette même scène de La Madeleine s’est produite Noa, une autre artiste qui sait faire apparaître la chaleur là où l’on ne l’attend plus. Avec presque vingt-cinq ans de carrière au compteur, on oublie parfois le plaisir que l’on peut prendre à voir cette boule d’énergie occuper l’espace scénique. Une robe rouge, du sang chaud et des vocalises toujours plus parfaites, voilà comment la chanteuse Israélienne parvient à conquérir l’audience. Mention spéciale aux titres chantés en hébreu, une des langues les plus mélodiques et la plus appropriée au registre punchy d’Achinoam ‘Noa’ Nini.

Noa – La Madeleine

Chapeau melon et espadrilles

De l’extérieur, le Magic Mirrors est une bicoque intrigante. Cette salle transportable a fait le tour du pays et est venue poser ses souliers derrière les musées royaux de Belgique. À l’intérieur, le public peut s’installer dans ce qui ressemble à un parterre de cirque et à un club de jazz. C’est dans ce lieu fermé et hors du temps que Benjamin Schoos a livré une prestation toute en émotion. La salle n’était pas comble, certes, mais peu importe quand le message transmis par l’artiste reste unique et honnête. Benjamin Schoos semble tout droit sorti d’un rêve, ou d’un road trip romancé. Il est l’homme aux mille contes que l’on rencontre au milieu de la nuit sur une aire d’autoroute de la Route 66. Celui qui vous parle de derrière ses lunettes de soleil en tripotant sa pinte. Celui qui vous en apprend bien plus sur la vie en une soirée que l’école ne vous en apprendra jamais. Il se livre, tel qu’il est, tel qu’il voudrait être, avec sa voix de crooner et ses allures de dandy indémodable. Il donne l’impression d’être un Blues Brother qui erre depuis qu’il a perdu sa moitié et qui insuffle de la poésie dans tout ce qu’il chante.

Benjamin Schoos – Magic Mirrors

L’autre séquence émotion masculine a été produite et interprétée par le merveilleux binôme de Quentin Dujardin et Ivan Paduart. L’un est guitariste, l’autre pianiste, la paire forme une bulle de talent qu’il ne faudrait surtout pas éclater. Ils sont l’incarnation parfaite du mythe de l’androgyne ; les deux musiciens sont en équilibre solide, à l’écoute l’un de l’autre, prêts à rebondir aux moindres soubresauts qu’appelle le jazz lorsqu’il est joué avec maîtrise. Ils clouent le bec aux réticent·e·s de la musique instrumentale. C’est tout simplement impossible de considérer leurs prestations comme un simple fond sonore. L’association est brillante, puissante, presque addictive. Malgré leur apparence décontractée, les petits sourires en coin et les chemises ouvertes jusqu’au deuxième bouton, le duo reste sérieux et appliqué lorsqu’ils se produisent sur scène. Leur album Catharsis convaincra les sceptiques que les deux instruments les plus joués au monde nous réservent encore bien des émois.

Quentin Dujardin – La Madeleine

Import/Export

On ne dirait pas non à des visites plus fréquentes de groupes américains ou australiens dans le plat pays, surtout s’il s’agit de Little Hurricane ou des Pierce Brothers. Le premier groupe est la réincarnation des White Stripes ; une batteuse et un chanteur guitariste qui envoient dans les enceintes du garage rock gras et atomique. On souhaite une longue vie au groupe qui a apporté avec fierté la bannière du rock’n’roll de l’autre côté de l’atlantique. Les Pierce Brothers sont quant à eux venus depuis l’Australie avec dans leurs valises de la folk comme on en n’entend plus depuis Joan Baez, même s’ils y avaient injecté un peu plus de caféine. Assister à leur concert équivaut à courir le semi-marathon ; ils courent, sautent, hurlent, partagent leur joie d’être là, et le public court, saute, hurle et partage ce moment d’extase avec le groupe tout droit venu de Melbourne. Il est légitime de penser qu’une bonne moitié du public a tout mis en œuvre pour les faire rester en Belgique et ainsi garder jalousement leur énergie débordante dans le royaume.

Little Hurricane – Magic Mirrors

Passer le témoin, prendre le relais

Il y a trente-cinq ans, la fièvre funk avait contaminé la Belgique, du plus wallon·ne des namurois·es au plus flamand·e des anversois·es. Le groupe Allez Allez, formé du chanteur Marka, d’une partie des Snuls et de la divine Sarah Osborne, a été l’étoile filante qui a redonné une bouffée d’énergie au peuple. Le groupe entame cette année une tournée triomphale, en souvenir du bon vieux temps, et le moins que l’on puisse dire c’est que la musique mûrit avec l’âge. Si en 1981 les gens dansaient volontiers sur les notes de Marathon Dance, la tendance a connu une croissance exponentielle en 2017. Dans la salle, il y avait des parents nostalgiques et leurs enfants curieux de connaître les occupations d’antan de leurs ainé·e·s. Mais l’âge n’était plus de mise lors de cette soirée de pure folie. Allez Allez a électrisé l’assemblée, les pieds tapaient frénétiquement tous les rythmes, les bras s’agitaient, les bassins tournaient dans tous les sens. Le pouvoir de la musique funk a une nouvelle fois montré toute son étendue. On se serait cru à une soirée interdite en pleine période de Prohibition ; tout le monde profitait comme s’il s’agissait du dernier instant de bonheur.

Allez Allez – La Madeleine

Fort heureusement, la relève est assurée pour faire bouger les spectateur·rice·s qui ont de l’énergie à revendre. C’est le jeune Konoba qui assurera dignement cette mission. Touche à tout, authentique, fougueux, on lui promet une belle carrière, longue et pérenne sur la scène belge – et pourquoi pas internationale. Son album Smoke & Mirrors a été l’une des meilleures surprises de cette année musicale. Electro mais pas trop répétitif, pop mais jamais mainstream, indie mais accessible ; les prouesses de composition du jeune homme devraient lui assurer encore de belles heures sur les ondes et dans les salles de concert. Sa prestation scénique met subtilement en valeur sa voix grâce à une mise en scène et à un décor minimalistes. Quelques ampoules disséminées çà et là autour des instruments créent une ambiance chaleureuse et conviviale, dans laquelle le public peut se plonger corps et âme dans la ravissante musique de Konoba.

Konoba – La Madeleine

A l’année prochaine ?

La seizième édition du Brussels Summer Festival nous a porté·e·s très haut dans les cieux. Nous avons été touché·e·s par la grâce, et c’est assez rare pour le souligner. À l’heure où certain·s festivals se reposent sur leurs acquis et se contentent d’appliquer leur recette gagnante, le BSF ose innover et offrir un lieu d’expression à des artistes qui gagnent à être connu·e·s. Les découvertes inattendues sont toujours les plus savoureuses, cette règle se confirme lorsqu’on l’applique au monde de la musique. Si cette année nous avons atteint le septième ciel, pouvons-nous espérer que l’année prochaine, le BSF nous emmènera au Nirvana ?

Directrice de la communication, tout droit venue de Belgique pour vous servir. Passionnée de lecture, d'écriture, de photographie et de musique classique.

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