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Avignon 2017 – De Ground zero à Depuis l’aube, la parole se libère

S’il est bien un art du Verbe, c’est le théâtre. Parole faite action, telle est la maxime. Critique de deux pièces dans lesquelles la parole se libère.

Ground zero, les infantes du 11 septembre 2001

Point de décor. Une salle vide et noire. Une actrice s’avance, et nous joue la première scène : NAISSANCE 1990. Cet incipit est une trouvaille scénique foudroyante, et l’actrice subjugue par la maîtrise de son chant. C’est l’histoire de la génération 1990, des filles des nineties, celles qui n’étaient pas sur cette terre le 9 novembre 1989 mais qui l’étaient bel et bien le 11 septembre 2001. Inspirées du chef-d’oeuvre d’Annie Ernaux, Les Années, sept créatures vont écrire leurs propres années et les raconter dans le style Ernaux, à bâtons rompus :

“Le monde s’est toujours demandé : « À quoi rêvent les jeunes filles ? ». Et les hommes de répondre. Il est temps de renverser l’ordre établi.”

Le déroulement des décennies, dans la joie et l’impuissance, dans l’excitation et la torpeur, se joue sous les yeux du public. Du virus H1N1 aux démissions de Lionel Jospin et de PPDA, en passant par l’ouragan Katrina qui passe en boucle à la télévision et jusqu’à des tueries inconcevables… Tout s’égrène, pour le meilleur et pour le pire. L’information en continu, grand fléau de notre époque, fait porter tout le poids de “vies invisibles” aux enfants des années 1990. Au plateau, pourtant, cela se traduit par l’énergie folle des joyeuses luronnes, ces sacrées polissonnes que sont les nanas des années 1990. Vaille que vaille, il faut avancer.

 

Ground Zero, photo Hortense Raynal.

 

Le rythme, lorsqu’il est au rendez-vous, est incontestablement un des grands atouts de la mise en scène de Maya Ernest et la grande réussite de ses comédiennes. L’alternance entre la suspension et le mouvement est intelligemment gérée. Le public virevolte entre excès, jouissance et déception. Malmené, bousculé et parfois gêné, il passe du rire aux larmes en passant par le malaise. Que serait un théâtre qui ne bouscule pas ? Celui de la compagnie Avant l’Aube le fait, sans nul doute. L’occupation de l’espace par la formation du chœur donne un effet esthétique fascinant, auquel s’ajoute les somptueux costumes immaculés et pailletés, qui paraissent venus d’un autre temps. C’est donc l’histoire d’une “génération désenchantée”, de l’absurdité de nos vies et de nos envies. Le monologue final, sous forme d’aveu, est d’une grande puissance.

“Prises dans un engrenage qui fait que je ne peux avancer dans ce monde et que je ne peux pas retourner dans l’ancien.”

Vaille que vaille.

 

Depuis l’aube (une ode aux clitoris) : des promesses non tenues

C’est un tout autre décor qui se plante au Gilgamesh Belleville. Une batterie, habituellement relégué à l’arrière plan, est placée côté jardin proche public, en bel élément scénographique. Trois acteurs regardent le public, l’air taquin. Et pour cause, pendant plus d’une heure, ils vont parler “vrai”. Pédagogie sexuelle, cour d’anatomie sont au rendez-vous, et même mythologie et étymologie grecques et latines ! Malheureusement, le titre annonce une ode aux clitoris, comme une promesse non tenue : harcèlement de rue, viol (monologue percutant), épilation, premiers émois, anatomie du clitoris… Tout est abordé ou presque.

Un grand panorama, dans lequel le spectacle se dilue un peu, qui gagnerait à être plus centré sur son titre. Le texte, quand à lui, est un peu malmené par l’objectif qui est de dire pour exulter, de crier des insultes… Le style est très cru, très direct, le texte peut facilement en perdre toute beauté. Le spectacle a de la marge pour se bonifier, donc. Il a toutefois le mérite de ne pas se taire et d’enfin oser prononcer après s’être tus des années derrière les codes de la morale. Et de conclure plutôt bien :

“Pour tous ces corps qui ne peuvent pas jouir, je jouis. Pour tous ces cœurs qui ne peuvent pas danser, je danse. Pour toutes ces reines qui ne peuvent pas aimer, j’aime.”

Rédactrice Maze Magazine. Passée par Le Monde des Livres.

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