CINÉMAFestival de Cannes

« Les Proies », capturer les captifs

Après The Bling Ring, sélectionné à “Un Certain Regard” en 2013 à Cannes, Sofia Coppola est revenue sur la Croisette cette année en compétition officielle avec Les Proies. Un film captivant dans lequel la réalisatrice de Virgin Suicides capture à merveille Nicole Kidman, Kirsten Dunst, Elle Fanning et Colin Farrell. Pour notre plus grand plaisir, et un prix de la mise en scène à la clé.

La guerre de Sécession fait rage. Les canons en fond sonore, la caméra vole à travers les arbres puis atterri doucement dans une forêt mystérieuse. Nous suivons une jeune fille en train de cueillir des champignons, en robe, chantante et bien coiffée. Pas de doute, nous entrons dans l’univers d’un conte. La jeune fille au panier tombe sur un homme blessé, un “yankee” évadé du 66ème régiment. Elle décide de bon cœur de l’aider – de le porter même – jusqu’à son internat où il ne reste, à cause de la guerre, que celles qui n’ont nulle part où aller. Alors qu’il devait rester là seulement le temps de guérir sa jambe, des tensions sexuelles se révèlent parmi les pensionnaires de l’internat et le caporal devient objet de toutes les convoitises.

Être en proie à notre imagination

Éclairé souvent à la bougie ou d’une lumière quasi-surnaturelle, chaque plan du film de Sofia Coppola est un émerveillement. Des plans larges du début, en pleine forêt, où les arbres se courbent sur les personnages jusqu’au plan de fin, où les personnages sont laissés derrière une grille dans un long travelling avant, chaque corps semble à la fois en proie au décor et lueur d’espoir dans ce monde chaotique. À cette atmosphère inquiétante s’ajoute une tension émanant de toutes les actrices. Le gant trempé de Nicole Kidman qui remonte le long de la cuisse du caporal en fait naître une, que les regards lointain et passionnés de Kirsten Dunst attise. Les sourires certains d’Elle Fanning, eux, l’intensifie. Chez chacune d’entre elle, un désir violent est palpable. Colin Farrell à côté paraît fade, et surtout, campe un personnage dont les volontés ne seront jamais exaucées. Son personnage est faible et tout le début du film est composé dans ce sens ; quand le caporal est couché et souffrant, les femmes sont droites, bien au-dessus de lui et en pleine lumière. Une fois sa guérison terminée, il ne restera d’ailleurs pas longtemps sur ses deux jambes, comme pour lui rappeler qu’il n’a et n’aura aucun pouvoir en la demeure.

Cette maison dont elles ne sortent jamais, où la grille s’entrouvre à peine quand il s’agit de la visite de soldats ; cette obscurité omniprésente, enfermant les personnages ; cette clé qui ferme la porte de la chambre dans laquelle est accueilli le caporal ; tout, dans le film, est un verrou de plus de ce piège qu’est l’internat. Ce huis clos, qui aurait pu être le terreau de toutes les transgressions, ne l’est pas. Les tensions ne s’expriment jamais frontalement. Tout le film, quand la complicité des personnages n’est pas l’occasion de rire, est construit sur le dialogue entre les tensions sexuelles de ces femmes et leurs prières de chaque soir. Au delà du jeu des actrices et de la maîtrise de chaque plan, c’est ce jonglage entre la foi et les tabous qui en fait un film passionnant, car c’est une merveille pour l’imagination des spectateurs.

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