Comme si il n’y avait pas assez de soleil sur la Croisette, nous sommes allés voir Un beau soleil intérieur à la Quinzaine des Réalisateurs. Le film, signé Claire Denis, faisait l’ouverture de la section parallèle ; dans ce coup de maître, il n’est question ni de chaudes larmes ni de déluges. Avec ce dernier film porté de bout en bout par Juliette Binoche et par une mise en scène jazz, la réalisatrice de Les Salauds (2013) nous propose une comédie dramatique exquise.
Le long-métrage commence sur le plan d’une femme nue sur son lit, où le personnage interprété par Juliette Binoche, Isabelle, semble dans un état de bien-être total. Cette première image d’une douceur incroyable, dans laquelle nous plongeons volontiers, vient vite être contredite par les séquences qui suivent. L’homme marié et banquier avec qui elle couche lui annonce, lors d’une scène dans un bar, qu’il ne se séparera jamais de sa femme. L’illusion de son état amoureux s’envole ; elle part, désespérée mais déterminée, à la recherche de cet amour “véritable” qui manque à sa vie. Elle ne rencontre alors que des hommes odieux qui la jettent, jusqu’au jour où on l’invite à danser.
Lors de la la présentation du film, Juliette Binoche nous a confié qu’elle avait “embrassé le film comme tous les hommes du film.” On ne peut pas mieux dire. Quand elle joue Isabelle, elle ne réussit pas à regarder fixement les choses ou les gens. Ses yeux s’échappent même des gros plans. Chaque geste de sa part est d’une précision chirurgicale ; il est d’ailleurs difficile de savoir quels sont les siens, et quels sont ceux qui lui ont été dictés. Dire les choses, si Juliette Binoche sait le faire de tout son corps, elle le fait d’autant mieux avec les dialogues géniaux de Christine Angot et la mise en scène dansante de Claire Denis. Là est d’ailleurs à la fois le paradoxe et la puissance du film : pour raconter les averses amoureuses d’Isabelle, fragments de sa vie, Christine Angot choisit d’allonger la parole et Denis d’économiser les coupes. Ainsi, toutes les ruptures entre le personnage et ses amants sont glaçantes. Le rire, lui, vient comme une éclaircie à la fin du film, lors d’un échange entre Gérard Depardieu, plus mystique que jamais, et Juliette Binoche.