C’était un pari risqué de faire un film sur la majestueuse Barbara. Néanmoins, ce film de Mathieu Amalric diffusé en ouverture de la sélection Un certain regard à Cannes, est une véritable surprise. Interprétée par Jeanne Balibar, Barbara bouleverse autant que la chanteuse elle-même. Coup de coeur.
« Plus jamais je ne rentrerai en scène. Je ne chanterai jamais plus. Plus jamais ces heures passées dans la loge à souligner l’œil et dessiner les lèvres avec toute cette scintillance de poudre et de lumière, en s’obligeant avec le pinceau à la lenteur, la lenteur de se faire belle pour vous. Plus jamais revêtir le strass, le pailleté de velours noir. (…) Plus jamais descendre vers vous, venir à vous pour enfin nous retrouver. » Ces mots sont ceux de Barbara au début de ses mémoires interrompues Il était un piano noir, publiées en 1998. Pourtant grâce à Mathieu Almaric, elle est là devant nous, encore une fois.
Présenté en ouverture d’Un certain regard, Barbara, réalisé par Mathieu Almaric n’aurait pas pu avoir un titre plus simple et plus approprié. Un énième biopic qui envahit le paysage cinématographique ? Non et merci Mathieu Almaric, car on ne s’attaque pas à cette grande dame aussi facilement. Le cinéaste s’est déjà fait remarquer en ouverture de la sélection officielle dans le dernier film d’Arnaud Desplechin, Les Fantômes d’Ismaël (voir notre critique). Dans Barbara, il est à la fois réalisateur et acteur qui interprète un réalisateur. Sous son oeil, il filme son ex compagne dans la vie, la chanteuse et comédienne Jeanne Balibar qui joue une actrice du nom de Brigitte dans un film sur Barbara.
Balibarbara : jeu de miroir
Cette mise en abîme et cette dualité sont parfaitement symbolisées dans le premier plan du film. La caméra se focalise sur le reflet inversé de Jeanne Balibar dans le piano avant de remonter sur celle-ci en train de jouer. Une autre scène appuie également cette représentation. Alors qu’elle répète son rôle chez elle, Brigitte passe sur un rétroprojecteur la vidéo d’un concert de Barbara. Dans cette sublime scène, il est presque impossible de différencier les deux qui se confondent sur le mur de l’appartement. La comédienne interprétée par Jeanne Balibar ressemble déjà incroyablement à la dame brune, les mêmes cheveux noirs coupés courts, la même allure et le même regard. Le réalisateur ne fait donc pratiquement pas de transitions entre les passages de tournage où le spectateur voit Barbara et les scènes où elle n’est plus un personnage, même si la technique et le plateau viennent souvent nous rappeler que l’on assiste au tournage d’un film. Ainsi Mathieu Almaric envoie promener le genre du biopic. Et sous cet aspect de beaucoup plus montrer Brigitte que Barbara elle-même, c’est en réalité toujours Barbara qui est sous nos yeux. Car le rôle colle plus à la comédienne qu’on ne le pense puisque son comportement, sa voix et chaque chose qu’elle fait sont en lien avec la vie de la chanteuse.
Le seul problème de Mathieu Almaric est qu’il ne parvient pas à se diriger lui-même en tant qu’acteur. Son jeu est donc un peu faible comme dans La Chambre bleue, l’adaptation du roman de Georges Simenon qu’il avait réalisée en 2014. Mais peut-être, est-ce une manière pour le personnage du réalisateur troublé de s’effacer face à l’immense mythe que représente Barbara ? Un portrait troublant dont on a du mal à sortir. Lors de la projection à Cannes, ni un mouvement, ni un soupir ne sont venus troubler le générique.
« Pour une longue dame brune, j’ai inventé une chanson au clair de la lune, quelques couplets. Si jamais elle l’entend un jour, elle saura que c’est une chanson d’amour pour elle et moi. » Ces mots de Moustaki chantés par Barbara résonnent encore. on pourrait presque remplacer le mot chanson par film. Nous ne pouvons que remercier le cinéaste et Jeanne Balibar de l’avoir fait réellement revivre, rien qu’un instant, grâce au pouvoir du cinéma.