CINÉMA

Rencontre avec Jérôme Descamps, cinéaste optimiste

Sombre, optimiste, moderne, en construction… On a parlé avenir du cinéma et cinéma de l’avenir avec Jérôme Descamps, réalisateur, programmateur et conseiller artistique.

 Comment définiriez-vous l’avenir ?

C’est horriblement dur cette question. (Rires) Je me dis que c’est quelque chose à construire, c’est le verbe que j’ai dans la tête. L’avenir c’est une construction. Malgré tous les dépits, il faut construire. Il ne faut pas se laisser avoir par notre passé et notre présent, ils sont nourrissants mais il faut surtout construire. C’est un enjeu aussi l’avenir, un enjeu de vie. On est poussé vers l’avenir, puisque de toutes façons on vit chronologiquement, en tout cas pour l’instant ! On est obligé de penser chronologiquement.

Et l’avenir du cinéma ça vous inspire quoi ?

Ca m’inspire deux choses. La première c’est immodestement mon avenir dans le cinéma. Je me dis tiens, je suis en train de finir un film, donc je me pose la question de l’avenir du film, dans quel avenir il va être fini. Lundi, il devrait être à peu près terminé ! (Rires) L’avenir c’est le sept avril car du sept au dix-sept je vais en résidence d’écriture pour peaufiner un long métrage. Et puis il a l’avenir moins touchable qui est le tournage de ce film et là…je me dis que j’aimerais bien que l’avenir ne soit pas trop long entre l’écriture et le tournage. J’aimerais bien avoir un avenir dans le cinéma qui correspondrait à faire les films que j’ai envie de faire, et d’aller comme Alain Cavalier à 85 ans continuer irrémédiablement à filmer. Lui est quelqu’un qui porte bien l’avenir parce qu’à son âge ce type n’arrête pas de filmer et on est toujours surpris par ses films. Lui vante toujours la construction, la curiosité, la surprise. Il ne connaît pas il y va, il est incroyable, c’est une bonne position d’être humain face à l’avenir. Faut pas juste être terrorisé, il faut vivre l’avenir pleinement.

L’avenir du cinéma, j’espère un avenir de la différence et de la diversité. La prégnance du cinéma américain est trop grande. Il faut faire en sorte que des cinémas d’autres pays nous arrivent. ça filme partout, ça filme de manière bizarre aussi et si on pouvait construire un avenir du cinéma qui montre non pas seulement un petit cercle mais un très large cercle. Il y a des choses formidables qui se font aux Etats-Unis mais pas que là-bas. C’est un pays génial parce que y a les blockbusters et les films indépendants. D’autres cinématographies se créent mais se diffusent mal. On a du mal à convaincre les gens. Le boulot de la diffusion du cinéma ne se fait pas encore assez bien. C’est compliqué le cinéma, c’est de l’art et c’est une industrie donc évidemment le côté industrie fait chier de temps en temps.

Plutôt optimiste ou pessimiste alors quant à cet avenir ?

Je suis optimiste. Je trouve que comme par rapport à Internet, on ne peut pas juste être dans la défiance. Il y a les pires choses et les meilleures choses aussi. Internet et le cinéma ne sont que le reflet de ce que nous sommes nous. Les livres c’était pareil il y en avait des mauvais et des merveilleux. Ce que l’on a du mal à gérer c’est l’immédiateté, ça va venir avec les générations. Là on a un outil nouveau et l’immédiateté est lourde, on est embrouillés. On ne sait plus comment gérer. Je pense qu’on va y arriver mais ça va prendre du temps. Les mômes n’ont pas les mêmes prévenances que nous. Vous êtes pratiquement nés avec internet mais aujourd’hui d’autres naissent avec Internet comme acquis. Ce trop plein sera bien géré par les générations suivantes. On a passé des siècles à vivre dans notre quartier et tout d’un coup le quartier explose ! Par exemple je fais un petit travail, d’ampleur modeste, qui consiste à montrer des films dans des quartiers où les gens ne vont pas au cinéma parce que c’est cher ou qu’ils n’y pensent pas ou y vont rarement pour voir la dernière comédie dont tout le monde parle comme Bienvenue chez les Chtis et ils prennent du plaisir en fait. Ils ne savent juste pas où aller chercher, ils ne savent pas que ça peut leur correspondre ou leur parler. Il faut donc faire tout le travail de médiation entre le public et les œuvres. Fatih Akin avait un film documentaire sur la musique à Istanbul où il avait fait une visite de la ville par ses musiciens. Tous les styles de musique, traditionnelles, de mariage, le hard rock, le rap, tout. C’est intergénérationnel, ça donne une image de la ville totalement bouillonnante. Mais ce film n’a pas été vu par la communauté turque des villes où je travaille, ils ne savent même pas que ça existe. Des films comme ça peuvent rassembler les gens autour d’expériences communes mais ça ne se fait pas parce qu’on a pas trouvé la clé d’entrée et si on pouvait la trouver ce serait bien. Et je pense que Internet peut nous aider.

Et que pouvez-vous nous dire de la représentation de l’avenir dans le cinéma ?

C’est un thème vieux comme le cinéma. Dès que tu fixes des images, tu fixes un moment qui va être du passé. C’est une drôle d’action. Mais tu vas la projeter demain, au cinéma t’es dans une interaction entre le passé et le présent. Tu travailles sur le temps, même si c’est de la fiction. Donc le rapport au temps est déjà de toutes façons inscrit dans le cinéma, que ce soit en fiction ou encore plus dans le documentaire. Les films d’Agnès Varda par exemple sont de vrais moments forts parce qu’on a du passé qu’on peut faire revenir vers nous. Les images du futur et de l’avenir… On pense toute de suite à Metropolis. Avant il y a eu Méliès mais sa préoccupation n’était pas de penser l’avenir, sa préoccupation c’était la fantaisie. C’était la rêverie, avec des machines volantes, le voyage dans la lune. Méliès est un grand rêveur, c’est un papi comme un Alain Cavalier des années 1910. Il a dû arrêté parce qu’il a eu des problèmes d’argent mais c’est le papi dont on rêve, qui n’arrête pas de faire des conneries, qui se déguise en diable, qui danse dès qu’il peut dans ses films, un truc de dingue quoi ! Mais je ne suis pas sûr que sa préoccupation première était de se projeter dans le futur. Lui était vraiment un homme rêveur. Un espagnol, Secondo Dechaumone a aussi fait pas mal de films sur des univers où la magie a beaucoup d’importance. Le cinéma était naissant, c’était comme Internet, un outil qu’on découvrait. Je pense que la première œuvre de pensée de l’avenir est Metropolis. Il en fait une allégorie, mais quand même tous les plans sur la ville, sur comment la ville pourrait être, l’estrade de la société figurée par les tours, la distinction entre monde d’en bas et d’en haut etc., tout ça j’ai l’impression que c’est le premier film matrice – et pas Matrix ! – qui est une réflexion vers le futur. Après on a beaucoup de choses, comme Bienvenue Gattaca, Blade Runner, des dessins animés japonais… Les films des années 70 comme Soleil Vert, comme Roller Ball, L’Âge de Crystal… Tous les dix ans, il y a une vague de films qui essayent d’imaginer, de projeter. C’est quand même souvent des endroits de peur. Je parle même pas des peurs des autres mondes mais quand même peu de films rêvent l’avenir du monde comme un avenir heureux et solaire, ou alors après une phase toujours concentrationnaire, autoritaire, où les inégalités sont de plus en plus flagrantes et terribles. C’est souvent aussi des appels à l’insurrection tous ces films, pour reprendre en main l’avenir. On nous dépeint beaucoup un avenir où le capitalisme est triomphant, où les forces de l’argent dominent et écrasent tout. Après il a des ovnis du cinéma, comme Tati qui a bien montré dans ses films comme Mon Oncle ou Playtime, le futur. Mon Oncle c’est vraiment la maison du futur, y a des placards qui se transforment, des boutons qui font comme ci comme ça et tout se détraque. Dans ses envies d’avenir, Tati est un grand nostalgique et on voit qu’il préfèrera quand même toujours habiter une espèce de mansarde biscornue qu’une maison super clean où tout est top mais en fait où du lien se perd. Mon Oncle c’est drôle mais aussi super triste parce que ça fait pas envie or il parle de la modernité.

Mais alors est-ce que les cinéastes sont contre le changement, voire même réacs, et contre l’avenir ?

Je pense qu’ils ne sont pas contre le concept d’avenir. Ils font des cauchemars d’avenir. Si l’avenir c’est de vivre sous quelque chose d’autoritaire, ça fait envie à personne et c’est alors un appel à l’insurrection. L’avenir est souvent associé au combat. Le film Her, explore une chose qui est une relation immatérielle entre un homme et la machine, mais ce n’est pas contre la technologie. On ne sait pas bien ce qui va se passer, on imagine le pire et comment le combattre. Mais je pense pas que tous les cinéastes soient pessimistes, ils disent battons nous aujourd’hui pour que l’avenir soit meilleur très souvent.

Et quel lien à l’avenir entre technique et cinéma ?

En ce moment c’est la mode de l’immersion, mettre des lunettes immersives et se retrouver dans un film à 360°. Là aussi, il va se passer quelque chose. Pour l’instant c’est absolument abyssal. J’ai fait l’expérience deux fois. Je ne sais même pas quoi en penser. Si tous les tarés de la Terre s’emparent de ce truc là ça va devenir un enfer ! Parce qu’on sait vraiment plus où on est. C’est insensé, tu sais plus où toi tu es. Tu es dans le film, dedans le film. Pour l’instant on est dans la représentation du film, t’es quand même toujours dans une salle ou sur un canapé face à un écran, tu connais ta place. Ta place n’est pas d’être dedans, c’est une usine à fantasmes le cinéma. C’est une mise en scène tu le sais. Mais quand tu mets des lunettes dès que ça commence t’es projeté dedans, t’es au milieu. Le réalisme est pour l’instant un peu insoutenable. Tous les nouveaux outils passent par là, la 3D aussi à un moment. Les jeux vidéo déjà en usent. Beaucoup de jeunes ont une frontière très perméable entre cinéma et jeux vidéo, je suis d’une vieille génération, mais pour eux ça s’interpénètre. Le cinéma de l’avenir c’est des mondes nouveaux avec des outils nouveaux et j’espère que je verrai des trucs encore, j’ai encore au moins trente ans à vivre, j’espère ! J’espère découvrir encore pleins de trucs après internet et le téléphone portable. Déjà le fax c’était un truc de malade, tu m’aurais posé la question de l’avenir à l’époque…j’aurais dit autre chose mais en moins de vingt ans tout a explosé donc ne pas avoir peur et être dans la découverte c’est le mieux à faire.

Secrétaire générale de la rédaction du magazine Maze. Provinciale provençale étudiante à Sciences Po Paris. Expatriée à la Missouri School of Journalism pour un an. astrig@maze.fr

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