SOCIÉTÉ

Point de vue – Le silence de Mélenchon, un acte de résistance ?

Le silence laissé par Jean-Luc Mélenchon au sujet de sa consigne de vote pour le second tour est devenu le nouveau thème d’acharnement de certains journaux. Comment doit-on comprendre ce retrait du candidat de la France Insoumise ? Vers qui se tourneront ses électeurs ?

Faisons la différence entre la volonté éthique de Mélenchon, passant par la continuation d’une logique démocratique et participative, et les conséquences de cette décision sur la suite des élections. Donner une consigne de vote pour l’un des deux candidats aurait été une entorse à la philosophie du mouvement lancé par la France Insoumise. La participation active des membres du parti et les nombreuses actions qu’ils ont lancé de leur propre initiative ont su prouvé à leur leader que ses électeurs savent faire preuve d’autonomie. Cette autonomie intellectuelle des membres de la France Insoumise était la condition même du mouvement (et notamment du projet de construction de la 6è République).

Donner une consigne de vote, phénomène dont on pourrait d’ailleurs critiquer la légitimité même car il semble que ce soit une coutume qui se soit normalisée davantage grâce au temps passé que pour des raisons rationnelles, aurait été une atteinte à l’autonomie des membres de la France Insoumise. Mélenchon n’est pas en train de manipuler ses électeurs, il leur fait confiance.

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D’autre part, le choix proposé par ce second tour laisse malgré lui un silence éhonté pour les électeurs de gauche. Annoncer un vote en faveur de Macron paraît tout aussi douloureux que de rester passif face à la menace Le Pen. Pour beaucoup d’électeurs, cette élection met en évidence une logique qui n’est plus acceptable : celle du vote utile et de la logique du “moins pire”. Pour ceux qui s’occupent de la campagne d’Emmanuel Macron, sa confrontation à Marine Le Pen est un véritable cadeau car ils ont enfin une raison à nous donner pour nous convaincre de l’élire, celle de faire barrage à l’extrême-droite. C’est face à cette situation que l’actuelle confusion au sein des mélenchonistes fait peur et que beaucoup s’inquiète que le ras-le-bol prenne le dessus sur la peur de l’extrême-droite. Car c’est aussi ça le poumon de la France Insoumise, c’est la généralisation d’un sentiment de ras-le-bol face au système actuel face auquel seule la promesse d’un changement certain et radical pourrait apaiser. Alors quelle solution reste-t-il ? Voter Macron pour éviter le changement pour le pire ou voter Le Pen pour éviter de passer cinq années avec pour seul espoir celui que la prochaine sera la bonne.

En effet, les soutiens d’Emmanuel Macron (Le Drian, Ayrault, Cohn-Bendit) rendent difficiles à croire la grande révolution qu’il prétend apporter. De la même manière, l’étude de son programme ne révèle rien de nouveau, la majorité des points qu’ils proposent sont des réformes qui existaient déjà soit sous Hollande soit tirées des grandes formes de politique libérale. Mais qu’a de mieux à proposer la candidate du Front National ? Son programme est incohérent sous bien des aspects et ses prises de parole publiques ne font qu’empirer les choses. De plus, son intolérance ainsi que les propos haineux ou racistes qu’elle a pu tenir sont des éléments éliminatoires pour bien des électeurs (heureusement). Cela dit, dans quelle situation cela nous laisse-t-il ? Que faire ? Certains défendent que l’élection de Marine Le Pen permettra l’amélioration du système actuel selon la logique du “moins égal plus”.

Dans son ouvrage Idée d’une histoire universelle, Kant décrit dans sa cinquième proposition qu’il serait possible que l’homme n’apprenne que par la souffrance et que d’une certaine manière, le passage par des temps chaotiques puisse permettre à l’homme de prendre conscience. Cela dit, laisser le Front National gouverner durant cinq années c’est peut-être laisser la France face à des séquelles irréversibles, mener les tensions interraciales et l’économie à un point de non-retour.

Évolution de l’indice “Euro Stoxx Banks” ces six derniers mois, jusqu’au premier tour des élections. Crédits : Stoxx

C’est pourquoi, peut-être faut-il accepter la énième victoire du système et de sa constante injustice (alors que Macron n’est même pas encore élu, les banques françaises gagnent déjà en bourse comme l’indique la courbe ci-dessus) en évitant le pire. Cela dit, faire “le moins pire” des choix n’est pas pour autant se soumettre. Déjà plusieurs mouvements de révolution citoyenne débutent et il est important de faire passer le message : nous ne sommes pas satisfaits du choix que nous laisse votre démocratie. La force des différents mouvements qui sont nés durant cette élection ne doit pas s’arrêter avec elle. Le silence laissé par Jean-Luc Mélenchon à la suite du premier tour est signe de résistance et de refus du choix qui nous est donné, rien d’autre.

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