Si les femmes occupent aujourd’hui une vraie place dans les professions artistiques, les métiers liés aux salles de concert semblent faire partie des moins féminisés dans le domaine culturel. En cause, les mentalités qui lient ce secteur professionnel aux hommes. Si les choses évoluent, elles ne concernent pas tous les types d’emploi.
« Quand j’étais en master métiers de la culture, sur une promotion de 40 étudiants, il n’y avait que trois mecs. Un professeur nous avait dit : Vous verrez que dans quelques années ce sont eux qui seront aux postes de directeur ou programmateur », raconte Charlène Houdayer, chargée de l’accompagnement au 6par4, à Laval. Aujourd’hui en France, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Au sein des salles de concert, la femme est moins représentée et qualifiée que ses pairs.
La différence entre hommes et femmes se joue d’abord sur la différenciation sexuée des métiers. On observe un inégal accès aux postes de responsabilité, découlant sur une inégalité salariale. La Fédération nationale des lieux de musiques actuelles (FEDELIMA) a mené une étude sur les salariés permanents de ses adhérents. « Les femmes ont tout à fait accès aux postes très qualifiés qui demandent des diplômes et des compétences pointues, mais à certains postes seulement », explique Flavie Van Colen, directrice adjointe à la salle Paloma, à Nîmes, qui siège aussi au bureau de cette structure. Au sein des salles de concert, les femmes se retrouvent plus souvent dans des postes liés à la communication, à l’administratif ou à la production. Selon la FEDELIMA, au sein des salles, 60 % des chargés de communication, 70 % des administrateurs et 60 % des chargés d’action culturelle sont des femmes.
A l’inverse, elles ne représentent que 25 % des directeurs et 12 % des programmateurs de salles. « Beaucoup de métiers de programmation et dans le domaine technique sont historiquement dévolus aux hommes, explique Stéphane Amiel, du festival les Femmes s’en mêlent. Le milieu de la musique étant comme beaucoup d’autres très masculin (des labels aux studios en passant par les salles de concert) on a pu noter la faible présence des femmes. » Si certaines structures comme le 6par4 à Laval, la Centrifugeuse à Pau ou encore le Café de la Danse à Paris font figures d’exceptions, les programmateurs et directeurs sont presque toujours des hommes. « Ce sont les postes les plus légitimes symboliquement, les plus prestigieux, ceux pour lesquels la reconnaissance des pairs est fondamentale. Et aussi bien sûr les postes les mieux payés », insiste Flavie Van Colen.
Quand ces postes plus « prestigieux » sont occupés par des femmes, la pilule est parfois dure à faire avaler aux professionnels qui gravitent autour de ces salles. « La dernière fois, on m’a demandé à quel poste j’étais dans ma salle. Lorsque j’ai répondu que je m’occupais de la programmation et de la production, on m’a répondu “Ah, tu es assistante ?” Après avoir affirmé que non, on m’a regardé avec des grands yeux », raconte Gisèle Lescuyer, responsable de la programmation et de la production au Café de la danse à Paris.
« Mais une fois qu’on a constaté ça, les leviers sont très complexes à activer : les femmes ne postulent pas, ou très peu sur ces postes, modère Flavie Van Colen. A l’automne, j’ai recruté un nouveau Directeur Technique et un nouveau Régisseur Général : dans les deux cas, j’ai reçu deux CV de femmes et 70 CV d’hommes. » Un mécanisme d’autocensure qu’a également remarqué Ludivine Chopard, directrice de la SMAC07 en Ardèche. « J’imagine qu’il y a un complexe d’infériorité « intégré ». Combien de femmes n’ont pas postulé en se disant qu’elle n’avait pas les épaules ? L’auto censure c’est dangereux aussi. » Dangereux aussi pour la programmation. En étant souvent l’affaire des hommes, le choix des artistes et de la couleur artistique sur scène peut manquer de diversité et d’un regard différent sur la question.
La technique, une affaire de mecs ?
Si la féminisation des métiers de programmation et de direction est un enjeu majeur dans le secteur musical, les professions de la technique et de la régie souffrent encore plus de cette très faible présence féminine. « Il y a encore beaucoup à faire pour que les femmes trouvent leur place dans ces équipes, surtout dans les domaines techniques », insiste Stéphane Amiel. En effet, l’étude de la FEDELIMA dévoile que seul 3 % des techniciens permanents dans ces salles, sont des femmes.
Flavie Van Colen raconte une anecdote révélatrice des mentalités encore parfois bloquées. « Il y a deux ans, nous avions une jeune fille de 20 ans qui rêvait de devenir ingénieure du son. En attendant de trouver une école, elle était bénévole en technique à Paloma. Elle avait eu l’occasion de montrer qu’elle était passionnée et plutôt douée. Un jour, en réunion j’interroge le régisseur général de 40 ans et la stagiaire de 25 ans en charge de la gestion des bénévoles, en leur demandant pourquoi elle n’était pas affectée en technique sur le festival à venir. Sourire gêné des deux côtés. J’insiste : le régisseur me répond qu’ “elle fout le bordel dans son équipe”, parce qu’elle est trop jolie et en gros déconcentre les techniciens. La jeune collègue me répond : “Je la remets en technique si elle s’habille autrement”. Sous-entendu : elle est trop jolie et elle porte des vêtements trop décolletés (ce qui n’était absolument pas le cas). Je me fâche et les force à lui proposer une place dans l’équipe technique. L’année d’après, la jeune bénévole intègre une école de son et revient en juin pour le festival This Is Not a Love Song : elle était métamorphosée, elle s’était coupé les cheveux très courts, était tout en noir, t-shirt d’homme, pantalon pas trop moulant, chaussures lacées, et avait adopté une démarche hyper masculine. Elle avait réussi à s’intégrer. »
« Un musicien m’a demandé de babysitter sa fille pendant son concert »
Si les femmes sont moins représentées que les hommes au sein des salles de concerts, ce n’est pas pour autant qu’elles connaissent automatiquement un traitement différencié de la part de leurs pairs. « Globalement j’ai toujours été très bien accueillie au sein des équipes que je rejoignais, que ce soit en bénévole, stagiaire ou salariée. Je n’ai jamais ressenti de discrimination avec mes collègues », remarque Gisèle Lescuyer.
En revanche, comme dans d’autres secteurs, la sphère musicale ne déroge pas à la règle : la maternité peut être déclencheur de situation inégalitaire. « J’ai déjà observé ça dans d’autres structures, raconte Ludivine Chopard, directrice de la SMAC 07, à Annonay, en Ardèche. La salariée sans enfant ça va bien, elle est disponible et flexible. Dès lors qu’elle a des enfants, il faut nécessairement que sa vie soit plus cadrée. On a quand même souvent des cas de figures où les patrons ne sont pas capables de considérer les « mamans » comme des grandes professionnelles. » Actuellement programmatrice au 6par4, Perrine Delteil travaille dans des salles de concert depuis 15 ans. « Quand j’ai eu mon premier enfant, mon boss de l’époque m’a appelé une semaine après la naissance en me disant « Mais comment va-t-on faire maintenant que tu n’es plus dans le coup ? » S’en est suivie une grosse année de remarques de ce genre. J’ai fini par demander une rupture conventionnelle puis j’ai mis quasiment un an à retrouver du boulot. Je n’osais plus postuler pour ne pas passer d’entretiens persuadée qu’être maman était une tare. »
« Un groupe de “vieux” punks qu’on a accueilli me considéraient que bonne à leur servir à boire pendant la date, ils n’arrêtaient pas de me répéter que je ferais une très bonne femme au foyer. »
La différence de traitement et d’appréciation des femmes au sein des salles de concert est parfois plus observable dans la façon dont les spectateurs, musiciens ou encore producteurs de groupe ont de se comporter avec les femmes travaillant au sein de ces structures. « J’ai eu quelques mauvaises expériences avec certaines personnes qui n’avaient pas l’air de prendre mes décisions au sérieux, raconte Gisèle Lescuyer. Un jour, un musicien m’a demandé de babysitter sa fille pendant son concert. D’autres musiciens, après une remarque sur l’état de la loge, ont répondu avec un grand sourire que j’ai l’habitude de faire le ménage donc que ça ne devrait pas poser de problème. » Un comportement décrédibilisant qui finit aussi par agacer les collègues masculins de ces femmes. « Un groupe était venu pour faire une journée de résidence avant sa date. On a préparé les loges la veille pour éviter d’arriver à l’aube, pendant que le régisseur de tournée était dans la loge. Je lui ai bien précisé que les boissons étaient pour le lendemain, et que s’ils voulaient un verre à la fin de résidence, ça serait au bar de la salle. Par esprit de contradiction surement, il voulait absolument boire les bières de la loge. Quand je lui ai dit qu’elles ne seraient pas remplacées s’ils y touchaient, il m’a demandé d’appeler mon responsable, il voulait voir ça avec lui car “de toute façon ce n’est pas à toi de décider”. Mon boss est finalement arrivé pour lui dire que j’étais la seule à décider à ce sujet-là, et que la prochaine fois il ferait mieux de m’écouter directement. »
Une évolution des mentalités ?
Malgré tout, tous les acteurs le disent : ça bouge ! « Je pense sincèrement que les mentalités sont en train de changer et souvent les métiers artistiques sont précurseurs sur les questions de société, insiste Stéphane Amiel. Donc la prise de conscience est vraiment effective. »
Et ça, c’est aussi grâce à des collectifs, structures et personnes qui font bouger les choses, qui sortent l’organisation sexuée de la musique de ses sentiers battus. A Paris, le collectif HF réfléchit par exemple à la place de la femme dans la culture, en animant de nombreuses tables rondes et des conférences. Il met en avant les grandes discriminations et les difficultés rencontrées. Le Festival les Femmes s’en mêlent, qui en est à sa 20e édition, permet chaque année d’interroger sur la place des femmes dans le milieu de la musique, que ça soit au niveau de la programmation, que de la prise en charge au sein des salles de concert. « A la FEDELIMA, avec d’autres réseaux et structures, nous lançons un travail global d’étude sur le sujet. Au-delà des chiffres, nous devons réaliser un grand nombre d’entretiens de femmes et d’hommes pour comprendre ce qui est à l’œuvre et quels leviers on peut trouver pour changer ça », explique Flavie Van Colen.
Dans les mentalités aussi, les choses évoluent. « Certains groupes repartent en me disant : “C’est cool, d’être accueilli par des filles, ça change des vieux techniciens frustrés et ronchons.” », raconte Marie, en charge de la régie générale au Tétris au Havre. Aujourd’hui, elle est notamment accompagnée de trois techniciennes lumière et plateau, dont deux qui ont commencées au Tetris en bénévole puis ont fait une formation et qu’elle a fini par embaucher. « Dans les formations, je vois arriver beaucoup plus de filles qu’avant. Je pense que comme pour les hommes, nous devons nous former, apprendre et surtout ne pas lâcher nos envies et notre motivation. Le facteur chance n’y est pas pour rien, si j’avais rencontré que des gros cons machos, je ne serais sûrement pas à ce poste maintenant. »
Au 6par4 à Laval, la musique n’est pas que l’affaire des hommes Certaines salles font figures exceptions comme le 6par4. Installée à Laval depuis 2008, cette salle labellisée SMAC (Scène de Musiques Actuelles) par le Ministère de la Culture et de la Communication peut accueillir 330 spectateurs. Quand elle est arrivée, il y a 6 ans, Elsa Gicquiaud, actuelle responsable de la communication, a débarqué dans une salle où la parité était déjà respectée. « Avec l’ouverture de plusieurs postes suite à l’évolution de la structure, ce sont en majorité des femmes qui ont été recrutées par la suite », raconte-t-elle. Aujourd’hui, l’équipe permanente est composée de six femmes et quatre hommes. Si la direction est assurée par un homme, la programmation a été confiée à une femme, Perrine Delteil. « Je suis très heureuse d’avoir une programmatrice qui casse le schéma des « programmateurs blanc de 40-50 ans », souligne Elsa Gicquiaud. Les autres femmes sont chargées de l’administration et des ressources humaines, de la production, de la vie associative, de l’accompagnement et des initiatives locales et de la communication. Les hommes sont eux en charge de la direction, de la direction technique, de l’action culturelle et EAC. « J’ai de l’expérience dans le milieu du théâtre et de la danse contemporaine et les femmes y sont plus présentes et à des postes plus qualifiés. Dans les salles de concerts que j’ai pu fréquenter, ça manque clairement de parité ! Sauf chez nous », insiste Olympe Lenain, chargée de l’accueil et de la vie associative au 6par4. Une fierté que partagent les six femmes de l’équipe. |