SOCIÉTÉ

Guillaume Perrier : “Aujourd’hui, s’opposer à la volonté du sultan, c’est signer son arrêt de mort”

Le 16 avril dernier, lors du référendum sur le projet de révision constitutionnelle, 51,4 % des citoyens turcs ont décidé d’accorder les pleins pouvoirs à leur président, Recep Tayyip Erdoğan. Afin de comprendre les conséquences d’un tel événement, nous avons rencontré Guillaume Perrier, journaliste spécialiste de la Turquie et du Moyen-Orient.

La légalisation d’un processus déjà en place

Pour Guillaume Perrier, le référendum n’est rien d’autre que « l’aboutissement d’un processus de présidentialisation des institutions » en place depuis les élections législatives de 2011, date à laquelle Erdoğan faisait déjà clairement comprendre son objectif de devenir président de la République. Dès 2007, il avait essayé de prendre la présidence du pays avec, déjà, cette idée d’un Etat fort, dirigé par un homme fort, à l’image de ce qu’avait pu être Atatürk. Malgré quelques obstacles à sa quête de pouvoir entre 2011 et 2015, « l’objectif a toujours été de mettre en oeuvre cette réforme », selon le journaliste. Après avoir échoué, en 2015, à obtenir les deux tiers des votes des députés, il décide de mettre en place un référendum populaire, qu’il remporte le 16 avril dernier avec plus de 51 % de voix.

Pourtant, dans les faits, la situation ne va pas réellement changer. Bien que les pleins pouvoirs aient été accordés au président turc, « il exerçait déjà de cette manière depuis un moment ». Pour Guillaume Perrier, le véritable changement se trouve dans le fait qu’il abusait jusqu’ici de son pouvoir en violant la Constitution alors qu’il peut désormais le faire en toute légalité, « en respectant l’équilibre des pouvoirs tel qu’il l’a décidé ». Le véritable problème se trouve au niveau des institutions qui se voient constamment réformées et/ou réprimées. Les gens n’ont pas d’autre choix que d’obéir. Certains le font par conviction ou par zèle et opportunisme, d’autres – et ceux là représentent la majorité de la société turque – le font parce qu’ils ont peur. Peur de se faire licencier, emprisonner, torturer. Que ce soit au niveau de l’Assemblée nationale, du gouvernement, des médias, de l’éducation ou encore de la justice, « il n’y a plus de contre-pouvoirs devant Erdogan ».

Une résistance réduite au silence

@ AFP/OZAN KOSE

« Les formes de résistances habituelles telles que le militantisme, le syndicalisme et les mouvements étudiants sont les premières victimes de la répression. » Le gouvernement a en effet compris que tout se jouait dans cette part de la société et cherche à casser la mobilisation actuellement en place. Fin 2016, les autorités avaient déjà arrêté plus de 50 000 personnes, dont une majorité de fonctionnaires, enseignants et universitaires. Et les chiffres ne cessent d’augmenter un peu plus chaque jour. Pour Guillaume Perrier, ces purges ne sont pas près de s’arrêter : « Sous couvert d’éliminer le mouvement Gülen, on en profite pour se débarrasser de tous les opposants, qu’ils soient Kurdes, laïcs ou encore kémalistes. »

Le journaliste nous explique que des espaces de résistances sont encore présents dans la société turque mais que ces derniers se voient constamment réduits et rejetés de l’espace public. Car, bien que certaines formes de résistances ne soient pas forcément politisées, elles s’opposent tout de même à la dérive actuelle et,

« Aujourd’hui, s’opposer à la volonté du sultan, c’est signer son arrêt de mort. »

Alors, on résiste chez soi, de manière individuelle, « en veillant à bien fermer la porte à double tour. »

Un avenir pour le moins incertain

Sur la scène nationale et internationale, l’avenir de la Turquie risque de prendre un tournant décisif dans les prochains jours. En ce qui concerne le processus d’adhésion à l’Union européenne, Guillaume Perrier est sans appel : « Les négociations sont d’ores et déjà rompues. Les deux parties essayent seulement de préparer la manière dont va se passer la rupture, mais il me semble qu’elle est déjà acquise. » Pour lui, afin de réduire le cadre des négociations sans pour autant les rompre de manière formelle, un véritable jeu diplomatique s’est installé depuis quelques années entre la Turquie et l’Europe. Tandis qu’Erdogan utilise la provocation de manière ouverte – « Ce qu’il a fait pendant sa campagne référendaire en traitant les pays européens de nazis était une manière de les provoquer et, dans un même temps, de provoquer cette rupture. » – l’Union européenne reste campée sur ses positions et attend seulement un élément déclencheur, dont le plus probable serait le référendum sur la peine de mort annoncé par le président turc, pour signer la fin des négociations.

Recep Tayyip Erdoğan, Vladimir Poutine, Donald Trump @ GETTY IMAGES

Prochainement, deux événements risquent d’impacter la Turquie ainsi que la situation géopolitique du Moyen Orient. Le 3 mai, une rencontre avec Vladimir Poutine au sujet des « relations bilatérales, la situation en Syrie et les questions internationales » (source TRT). Le 16, la très attendue rencontre avec le président américain Donald Trump, juste avant le sommet de l’OTAN. Pour le journaliste, « cette séquence est primordiale pour la Turquie puisqu’elle a annoncé le lancement d’une nouvelle opération militaire en Syrie et en Irak pour éliminer la menace d’un territoire autonome Kurde ». Cependant, elle ne peut le faire sans l’accord des Américains, qui sont, pour l’heure, défavorables à cette dernière puisqu’ils soutiennent les Kurdes dans la reconquête de Raqqa, en Syrie. « La question est donc de savoir jusqu’où va aller cette protestation. Est-ce que Trump va réussir à faire plier Erdogan sur la question kurde ? Et si oui, que va-t-il lui donner en échange ? » Encore une fois, un véritable marchandage politique va se mettre en place. Quoi qu’il en soit, selon Guillaume Perrier, « il va se jouer quelque chose d’extrêmement important durant cette rencontre, de laquelle sortira le futur conflit ou le futur équilibre -instable- du Moyen-Orient. »

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