L’excellence dans l’art du teasing… Après moult annonces suivies de reports, Emmanuel Macron a finit par dévoiler son programme, à deux mois du premier tour. En alimentant une bulle de suspense médiatique depuis des mois, la révélation de son « projet pour la France » avait de grands risques de finir en « flop », d’après les commentateurs. C’est négliger l’attrait autour de sa personne. En Marche vers une personnalisation de la vie politique ?
Seul à la barre dans la tempête
C’est peu dire que les soubresauts ne l’atteignent guère. Dans cette campagne maintes fois semblable à un feuilleton aux multiples rebondissements, Emmanuel Macron se maintient jusqu’au premier tour, voire même jusqu’au perron de l’Élysée – si vous faites encore partie de ceux qui croient aux sondages.
Sa candidature hors primaire lui a permis de nouer un lien direct et privilégié avec les Français. Chaque nouvelle révélation ne fait qu’accréditer sa thèse : le petit nouveau est le seul à maintenir la tête hors de l’eau.
Il est vrai que son programme a de quoi trancher avec les vieilles recettes proposées par les partis de gouvernement : une approche du travail sur un mode scandinave, la convergence des régimes de retraites vers un système universel ainsi qu’une nouvelle mouture du « pacte social ». Le marché du travail sera bien sûr réformé en profondeur, en accordant le privilège aux négociations de branches et d’entreprises, tout comme les seuils sociaux en fonction des secteurs et la libéralisation des 35 heures. On pourrait aussi y ajouter la réforme de l’assurance chômage, sur un mode plus universel… Bref, tout ça pour quoi ?
En lançant des consultations et des groupes de travail pour élaborer un « diagnostic » national, Emmanuel Macron a voulu briser les liens qui tiennent notre économie dans son projet, vraisemblablement inspiré par… François Hollande. Les mesures annoncées, prises dans leur globalité, ne semblent pas rompre avec l’esprit du “hollandisme”. Emmanuel Macron souhaite poursuivre dans la voie d’une politique de l’offre, toute en allant plus loin avec la libéralisation des secteurs en difficulté.
Vous nous voyez venir. Ce qui fonctionne, c’est qu’Emmanuel Macron a su « saisir l’instant médiatique ». Alors que les assistants parlementaires des uns et des autres continuent de provoquer des remous, lui, n’en n’a cure : jamais élu, il n’a pas d’assistant parlementaire à désigner… Encore moins à gérer. C’est le coeur du problème – comment ce jeune fonctionnaire de 39 ans parvient à se maintenir si haut dans la course à la présidentielle ? Si ses principaux concurrents lui laissent le champ assez libre, empêtrés dans leurs déboires judiciaires ou fragilisés par les frondes au sein de leurs partis, son « succès » repose sur une personnification de sa politique – loin d’être révolutionnaire cependant.
Un Rastignac des temps modernes
Si vous l’aviez raté, France 3 diffusait le 21 novembre dernier, un documentaire afin de mieux cerner la personnalité du jeune parvenu – « Macron, la stratégie du météore ». Son histoire est racontée à la manière d’un Rastignac, jeune homme féru de littérature classique et de théâtre, épris – précisément -de sa professeur de théâtre. Leur relation fait scandale, le voilà obligé de fuir en classe préparatoire, à Henri IV. Brigitte – sa femme, voyons – est mise à contribution et y dévoile les images de la première représentation du jeune Emmanuel (grimé en épouvantail) ainsi que celles de leur mariage, de la découpe du gâteau jusqu’aux pas de danse. Le triomphe d’un amour contrarié dans une mise en scène savamment orchestrée.
Tout en s’inscrivant dans des logiques anciennes, la peoplisation et la théatralisation de la campagne macroniste sont tout à fait perceptibles dans cet échange de vers avec Cyril Eldin où il s’improvise en Alceste.
Une vieille rengaine
La spirale de peopolisation s’empare de la vie politique française à partir des années 1980 et vient une véritable « foire à la séduction » pour l’historien Christian Delporte : les hommes politiques se plient au diktat des émissions audiovisuelles, depuis même De Gaulle, qui pouvait alors profiter d’un monopole gouvernemental avec l’ORTF. Toujours selon Christian Delporte, dans la revue Le Temps des Médias, les chaînes privées, poursuivant des logiques commerciales et jouant le jeu de la concurrence, seraient avares de ce genre de mise en scène du politique. D’ailleurs, Le Point a présenté la semaine dernière sa nouvelle édition et, le premier numéro devant lancer une dynamique, c’est Brigitte Macron qui occupe la une ! Cette stratégie du dévoilement du candidat d’En Marche a souvent été décriée, voire moquée, notamment pour ses couvertures de Paris-Match.
Mais… elle fait vendre. Les principes du marketing s’adaptent aux ambitions politiques, à la recherche d’un équilibre ente peopolisation et message de fond. Le candidat souhaite se montrer proche du peuple, affable et sympathique, pour contrer le portrait souvent relayé en début de campagne – celui d’un technocrate froid, prêt à sacrifier les acquis sociaux pour libéraliser l’économie. Car Emmanuel Macron répète que, ce qui compte, c’est que les résultants de son diagnostic populaire, les mesures comprises dans son « projet », soient expliquées et argumentées.
Comme le conclut l’historien Christian Delporte : « La peopolisation dont fait l’objet l’invité politique n’est pas subie mais consentie, en amont de l’acte de communication. » Rappelons qu’Emmanuel Macron a refusé les avances publiquement répétées de Karine Lemarchand, l’invitant à participer à « Une ambition intime ». Les candidats aux primaires s’étaient d’ailleurs volontiers prêté au jeu. Dans ce programme de « divertissement » déchaînant les passions, Arnaud Montebourg abondait sur le divan de Karine, un verre à la main : « La peopolisation, c’est une manière de faire diversion ». Même la primaire écologiste de novembre avait tourné au scrutin anti-Duflot, au profit de l’inconnu Jadot.
Rien ne remplace pour autant l’interaction directe dont usent les candidats sur les réseaux sociaux, qui sont les vecteurs privilégiés d’un lien sans intermédiaire avec l’électorat, mais dont l’impact n’est réel que si le message est relayé par des visites de terrain. Les équipes d’En Marche sillonnent les marchés et frappent aux portes.
La mort des partis, la fin d’un système ?
Des mots mêmes du fondateur d’En Marche : « Quand la politique redevient un théâtre, qu’elle redevient l’objet de luttes partisanes, et bien elle construit les conditions de son propre échec ». Il a construit toute sa communication politique sur cette idée – l’efficacité et la réforme du pays ne sont possible qu’à condition de rompre avec les logiques partisanes. « Hors partis » sonne pour lui, ancien énarque et banquier d’affaires chez Rotschild, comme un anti système.
La solution ? Créer son propre parti. Pardon, son propre mouvement. S’il a souhaité partir de la base et faire remonter les doléances du terrain à travers un « diagnostic national », personne n’est dupe : les mêmes initiales pour une même dynamique… Un égocentrique ?
En Marche, c’est l’incarnation de la personnification politique ; la force de son mouvement, c’est qu’elle se base sur le culte de celui qui l’a enclenché, relayé par la détermination des jeunes « macronistes ».
En Marche, c’est l’apologie d’un jeune politicien, dynamique, qui a réussit, qui peut miser sur la « confiance », qui électrise les foules à s’en casser la voix… Une jolie gueule au service d’une ambition sans faille apparente. Volontiers transgressif, il souhaite rester « au corps à corps » avec les attentes populaires et dénonce autant l’obsolescente du système que la déconnexion des politiciens vis-à-vis de la réalité des Français.
En Marche, c’est « le roman vrai d’une ambition », celle de la « nouvelle star » de la politique française, celle d’un ministre éphémère et pressé qui se voit déjà au 55, rue du Faubourg Saint Honoré.
Cet ambitieux parvenu venu d’Amiens serait-il le reflet d’une nouvelle époque ? Que la politique a changé ? Il est en tous cas parvenu – alors sans programme – à rassembler 8 000 personnes alors que le PS peine à en réunir 2000 au début de la campagne. Le paradoxe était alors grand : moins il s’exprimait, plus il grappillait des points dans les sondages. Avec un parti sur mesure – ou plutôt, à son nom -, les procès en culte de la personnalité ne sont pas loin. Et comme illustration, il suffit de penser aux élus qui remettent en cause leurs convictions de toujours et font défection au centre, à droite et à gauche. Les nouveaux frondeurs du PS, comme Christophe Caresche, voient leurs circonscriptions confisquées en raison de leur trahison… pour Macron.
En Marche, c’est avant tout une réussite forgée sur son image avant celle de ses idées, qui sont, en soi, loin d’être révolutionnaires. Il porte une attention minutieuse à ses discours, à sa gestuelle, posant des accents sur des syllabes bien précises… Rien n’est laissé au hasard, comme s’il cherchait à hypnotiser les foules. Car ce qui a fait qu’En Marche « a pris », c’est que son fondateur et candidat est un monstre dans l’art de la communication politique, au service du peopolisation maîtrisée. L’avènement de l’information en continu, avec les chaines TV spécialisées et les réseaux sociaux, demande un contrôle de tous les instants. Il n’y a qu’à voir comment Emmanuel Macron a démenti la rumeur de sa liaison supposée avec Mathieu Gallet : désinvolte, il lance à Lyon le 4 février « J’entends dire que je suis duplice que j’ai une vie cachée ou autre chose. » « C’est désagréable pour Brigitte, et comme je partage mes jours et mes nuits avec elle, elle se demande comment je fais ». En mettant de nouveau son couple en avant, il désamorce d’un trait d’humour, avant même que la rumeur ne commence à alimenter une bulle médiatique. Et de suite, il se recentre sur ses premières mesures. À l’opposé de l’embourbebement dans lequel a glissé Fillon, cette extreme maîtrise de sa communication fait d’Emmanuel Macron pour sa désormais conseillère spécialisée, l’ex-journaliste Laurence Haïm, le « French Obama ».
C’est donc bien le primat de l’image sur les idées qui fonctionnait jusqu’alors et qui devrait continuer – ses idées étant, en soi, loin d’être révolutionnaires sur le fond. Un hollandisme qui s’assume. Mais sans Hollande.