Pour tous les pessimistes, réactionnaires, chantres du “c’était mieux avant” et autres zappeurs de morale, qui prétendent que la vie intellectuelle n’est plus, Maze présente une liste non exhaustive de personnalités qui s’engagent et veulent encore changer le monde.
On entend souvent dire que la scène intellectuelle actuelle est pauvre. Comparé à l’époque de Sartre, Beauvoir, Camus, peu d’écrivains semblent avoir une pensée aussi nourrie et engagée. Face à ces grandes figures de l’Histoire de notre pays, nous avons aujourd’hui nos propres intellectuels. Des Bernard Henry Lévy, Alain Finkielkraut ou Michel Houellebecq. Ailleurs, on retrouve des gérants de presse xénophobes, tels Stephen Bannon, propriétaire de Breitbart News, des eurosceptiques comme le journaliste Fraser Nelson ou le documentariste Martin Durkin, ou encore des militants et essayistes, qui suscitent la controverse, comme l’allemand Hans-Olaf Henkel. De pâles figures, qui répètent inlassablement les mêmes platitudes et lancent de temps à autre une formule provocante pour nourrir l’attention médiatique. Bref, nous vivons une époque de pure et simple décadence où la pensée et l’engagement ne sont plus que souvenirs. C’est en tout cas ce que l’on entend dire à tous les coins de rue.
L’historien Christophe Charle et le politiste Laurent Jeanpierre se sont intéressés à la question et ont récemment sorti un livre sur le sujet : La vie intellectuelle en France. Pour eux, l’Histoire des intellectuels est cyclique. Elle est faite de hauts et de bas. Elle varie selon le contexte et les personnalités qui émergent. Il n’y a donc pas de décadence de la pensée intellectuelle, mais plutôt une phase d’adaptation à un monde en pleine évolution qui est le nôtre.
Alors doit-on se résigner à attendre patiemment l’émergence de nouveaux esprits brillants, capables d’insuffler un nouveau souffle au débat public ? Bien sûr que non ! Aujourd’hui, la vie intellectuelle ne se réduit pas aux grandes figures médiatiques évoquées plus haut (et heureusement). Il y a encore des écrivains qui pensent, s’engagent et protestent. Petite sélection d’auteurs engagés, qui proposent chacun leur vision de la société :
Adonis
Ali Ahmed Saïd Esber, dit Adonis, est un poète syrien naturalisé libanais, qui vit à Paris depuis 1985. Dans sa jeunesse, il a milité au sein du Parti nationaliste syrien, une formation politique et laïque. Il a également connu les geôles syriennes où il a été emprisonné pour ses opinions politiques. Engagé dans un combat contre la dictature théocratique en général, il est un fervent partisan de la laïcité, c’est-à-dire du rejet de la religion au cercle privé. Il a sorti l’an passé le livre Violence et Islam, qui lui a valu de nombreuses critiques. Ce livre d’entretiens avec la psychanaliste Houria Abdelouahed est une critique de l’Islam tel qu’il est pratiqué, qu’Adonis considère comme politiquement dangereux et foncièrement mysogine.
Asli Erdogan
On en a beaucoup entendu parlé lors de son arrestation par le régime turc, puis à l’occasion de sa libération temporaire. Cette écrivaine turque, auteure du Bâtiment de pierre, et fervente défenseuse des droits de l’Homme, s’est engagé contre les exactions envers les populations kurdes. Elle est également l’instigatrice d’une marche des écrivains à la frontière turco-syrienne pour protester contre le siège de Kobané par l’Etat Islamique, en 2014.
Edouard Louis
Prodige littéraire, le jeune Edouard Louis est une étoile montante de la scène intellectuelle française. Avec un premier roman En finir avec Eddy Bellegueule, qui évoque la vie d’un jeune homosexuel issu des quartiers populaires, il se fait chantre de la lutte contre l’homophobie. A travers un travail sur la langue et avec un regard quasi-sociologique, il décrit avec forces les rapports de classe dans Histoire de la violence. Parallèlement à cela, ce normalien de 24 ans s’est engagé aux côtés de Geoffroy de Lagasnerie avec un manifeste intitulé « Intellectuels de gauche, réengagez-vous ! » qui condamne la l’apathie et la fascination de la gauche pour une extrême-droite de plus en plus puissante.
Jean-Christophe Rufin
Médecin, ambassadeur de France en Gambie et au Sénégal, auteur de romans, Jean-Christophe Rufin a tenu différents rôles. Dans ses livres, il évoque des problématiques actuelles et rend accessible à tous ses propres réflexions sur le monde qui l’entoure. Dans L’empire et les nouveaux barbares, il évoque les problèmes de frontières que nous avons actuellement, à travers un parallèle avec l’empire romain. Dans Le parfum d’Adam, Rufin parle avec justesse de l’extrémisme, en prenant l’exemple des écolos radicaux. Dans Checkpoint, son dernier roman, il aborde les problèmes rencontrés par le domaine de l’humanitaire aujourd’hui. A travers la fiction, Rufin s’engage, dénonce, instruit. Il s’est également engagé publiquement en démissionnant de son poste d’ambassadeurs pour …. Raisons.
Mario Vargas Llosa
Prix Nobel de Littérature, grand écrivain de notre époque, Mario Vargas Llosa est aussi un écrivain extrêmement engagé. En 1959, il soutient la révolution castriste à Cuba. Plus tard, il se présente à l’élection présidentielle péruvienne. Un échec qui n’érode pas sa passion pour la politique. A travers son œuvre, récompensée par le prix Cervantès de 1994, il s’oppose farouchement à toute forme de dictature. Les caïds, la guerre de la fin du monde, tours et détours de la vilaine fille… Autant de romans qui combattent le fanatisme et dénoncent les violences de la société latino-américaine.
Ukamaka Olisakwe
Ukamaka Olisakwe est une écrivaine nigérienne, engagée dans la cause des femmes. En 2012, elle publie son premier roman Eyes of a goddess, qui refuse les discriminations que subissent les jeunes filles au Nigéria en raison de leur sexe. Cet ouvrage est également une critique virulente de la dictature et de la violence arbitraire. Les récits d’Olisakwe parlent principalement des femmes : des mères, des adolescentes, des enfants… Ce sont toujours des femmes fortes qui refusent de se conformer à ce que la société attend d’elles.
Ce méli-mélo d’écrivains engagés est bien entendu bien trop bref, bien trop schématique. De nombreux autres auteurs luttent pour faire entendre leurs voix et changer le monde. Ils le font par les mots, par l’action. Certains médias se sont fait un devoir de leur donner la parole. C’est le cas du magazine littéraire Sampsonia Way « an online magazine for literature, free speech and social justice » (“un magazine en ligne en faveur de la littérature, la liberté d’expression et la justice sociale”), qui s’est donné pour mission de faire connaître les écrivains persécutés dans leurs pays. Ils leur ouvrent un espace pour s’exprimer. Leur donnent une visibilité. Ainsi, tout autour de nous, des gens s’activent et réinventent le monde en fonction de leur valeurs. Les intellectuels n’ont pas disparus. Ils sont là. La bouche ouverte, le poing levé, le stylo fertile.