MUSIQUE

Rencontre avec Talisco : « Capitol Vision est presque un album souvenir »

En 2014, Talisco faisait une entrée remarquée dans le monde de la musique avec Run, un premier album évocateur de grands espaces. Nous l’avons retrouvé le 9 novembre à La Cigale, à Paris, où il nous a livré un live électrisant nous donnant un aperçu alléchant de Capitol Vision, son deuxième album.

Ton prochain album sort le 27 janvier prochain. Quel sont les enjeux dans la production d’un deuxième album ? Il y a des attentes, des pressions particulières ?

En vrai y a plein d’enjeux, mais surtout pour le label. C’est des enjeux qui sont financiers, le seul enjeu pour moi, vraiment, c’est la peur de décevoir. L’idée de se dire que tu fais un second album et que les gens ne vont peut-être pas apprécier, c’est vraiment le seul truc qui peut faire flipper je pense.

Ça influe sur ton travail, cette peur de décevoir ?

C’est une peur à la con mais je pense que c’est la peur que tous les artistes peuvent avoir. Ce deuxième album je l’ai fait pour moi, l’objectif c’était réellement de faire quelque chose qui aille plus loin, quelque chose d’encore plus authentique, plus personnel. Et après cette réflexion, une fois que t’as créé tous les morceaux, là tu te dis que si ça se trouve les gens vont pas du tout aimer. Mais tu peux pas faire la musique en fonction de ça. Après tu rentres dans du marketing, au final tu commences à créer une espèce de produit et là tu perds complètement ton intégrité artistique. Donc l’idée c’est d’abord de faire ce qui te semble le plus juste en fonction de ce que tu es et puis après tu croises les doigts pour que les gens aiment ça.

J’ai cru comprendre que tu avais conçu ton premier album, Run, dans une sorte de rush créatif. Du coup quelle était ton approche dans la conception musicale pour ce nouvel album, c’était pareil ?

Alors malheureusement, pour celui-ci, j’ai été obligé aussi de travailler un peu de cette façon-là… Après c’est ma façon de bosser. Je passerai jamais des heures et des heures sur un morceau. C’est pas possible parce que je m’emmerde au bout d’un moment, le morceau je le trouve nul et du coup je passe à autre chose. Quand je crée j’ai besoin de faire quelque chose d’un peu instinctif, mais le mot d’ordre pour cet album-là, c’était vraiment d’essayer de créer un truc qui raconte une histoire personnelle, et pas être dans le fantasme à 100 %. Je suis toujours dans le fantasme, mais pas à 100 %. Je voulais vraiment coller aussi à une certaine réalité.

On voit dans cet album qu’il y a des sonorités assez différentes du premier, qui t’emmènent ailleurs et qui sont peut-être justement un peu plus ancrées. Qu’est-ce qu’il raconte, cet album, pour toi ?

Cet album parle des trois dernières années qui se sont écoulées. On a tourné avec le groupe, il s’est passé plein de choses dans ma vie perso, beaucoup de choses ont changé, y a eu des moments hyper forts, tellement que tu as presque du mal à les digérer en fait. Déjà, chaque concert que tu vis, c’est un moment fort. On a fait plus de 200 concerts et ce qu’il en reste c’est quelques moments, et c’est presque dommage parce que t’as envie de te souvenir de tout… J’avais envie d’écrire et de raconter ça, c’est pour ça que le titre c’est Capitol Vision. Capitol c’est cette espèce d’énorme monument sur lequel- c’est une métaphore, mais sur lequel j’avais envie de me percher pour contempler ce qui s’était passé et observer les moments qui sont comme des gratte-ciels, tu vois ce que je veux dire ? Ceux qui sortent du lot. C’est vraiment un album qui parle de ça, et ça en fait presque un album souvenir au final.

C’est toi qui écris toutes tes chansons, tu as un processus particulier par rapport à l’écriture ? Qu’est-ce qui t’inspire pour construire tes textes ?

En vrai je me pose et j’écris, je raconte ce qui se passe dans ma tête, je traduis des émotions que j’ai vécues ou des choses auxquelles je pense sur le moment.En fait, je crois que je décide à un moment donné de me poser et puis de regarder les choses avec un œil artistique en fait, et à ce moment-là je traduis. J’attends pas d’être défoncé ou d’avoir l’inspiration ultime pour écrire. En fait j’y crois pas, à ça, quand j’entends parler de certains artistes qui sont comme ça je comprends pas, pour moi c’est surtout du travail.

Du coup tes morceaux se construisent assez vite avec cette façon d’approcher l’écriture ?

Ouais complètement. En vérité je bosse énormément : cet album, il est composé de 12 morceaux mais j’en ai fait 50, y en a beaucoup beaucoup. Il y en a que je jette, certains qui m’intéressent pas, certains qui ne traduisent pas ce que je voulais traduire, c’est vraiment une construction qui se fait avec le travail et avec le temps. Et avec de la persévérance surtout. Je sais pas, quand tu fais une sculpture ou quand tu fais un dessin, t’as une idée en tête, et quand t’as passé cinq heures dessus, tu le regardes et tu te dis « ah mais en fait c’est naze ». Il faut être capable de se dire ça, il faut être hyper exigeant. Moi je le suis, y a pas de doute ; c’est-à-dire que si c’est pas une évidence pour moi, poubelle.

Cet album-là est, comme le précédent, totalement en anglais. J’ai lu quelque part que tu bossais aussi parfois en français et en espagnol, tu penses qu’un jour tu pourrais intégrer ça dans un album ?

Peut-être mais c’est pas trop mon délire, en fait ; j’aime la musique au sens large. J’ai l’impression que quand t’écris en français, c’est un texte et une musique. Quand j’étais gamin, mes parents écoutaient des trucs anglo-saxons, du coup je comprenais jamais les paroles, donc j’ai jamais focalisé sur les textes. Et en vérité j’écoutais un ensemble, et je focalisais sur les voix, sur les mélodies de voix. Quand (et je pense que c’est pareil pour nous tous) t’écoutes une chanson dans ta langue maternelle, tu vas écouter les paroles, et derrière, la musique va accompagner ces paroles. Quand t’écoutes un truc en anglais tu vas écouter un ensemble. Et forcément je suis habitué à ça et j’aime la musicalité qu’il y a à travers cette langue. Mais je boude pas le français hein, pas du tout.

Tes deux albums déploient un imaginaire très visuel et tu es justement très impliqué dans le visuel autour du projet. Je sais que tu as pas mal collaboré avec des réalisateurs américains et récemment avec Cloé Bailly. Comment se passent ces collaborations ?

Alors Cloé, je lui ai laissé le projet. En fait, plus simple que ça, je voulais pas intervenir sur ce clip-là, j’avais envie d’être détaché ; j’avais envie de voir ce qui pouvait se passer, j’avais envie de collaborer.

Et c’est vrai que ça contraste assez avec ce qu’on a pu voir précédemment autour du projet.

Ouais, complètement. En fait j’avais fait appel à plusieurs réalisateurs, et Cloé a écrit un clip qui est juste pour la chanson. Moi j’ai tendance à être un peu dictateur en fait, j’aime bien que les choses soient comme ça et du coup j’empêche souvent les collaborations de se faire. C’est compliqué en vrai, tu veux travailler avec quelqu’un mais si tu lui dis trop ce qu’il faut faire, au final, ça reste toi. Du coup j’ai voulu un peu sortir de ça, vraiment créer une vraie collaboration et donc lui laisser la main là-dessus.

Je voulais te parler aussi un peu de ton rapport avec les États-Unis, un pays qui continue à nourrir ton imaginaire. Comment s’est passée ta tournée là-bas ?

C’était génial. C’était l’éclate. On est partis avec un gros van, on était plusieurs dedans, on a fait tous les États-Unis pendant un mois et demi… je pensais que ça allait être galère, fatiguant… mais pas du tout, ça a été un bol d’air énorme. Et je suis hyper chanceux pour ça. Là j’ai pris un milliard de trucs, ne serait-ce qu’à travers les gens, leur mode de vie, les personnes parfois hyper étranges, il y a des villes qui sont dingues… Après il faut y aller sans a priori, aux États-Unis. Et puis c’est très vaste, t’as l’impression que t’es plus rien, par moments. C’est pas comme en Europe où tu fais quelques kilomètres et t’es dans un village, là parfois tu peux rouler des heures et il se passe rien. C’est dingue. Tu peux pas faire le tour des États-Unis et finir par tout connaître, donc c’est une histoire de source d’inspiration qui est sans fin.

Et par rapport à l’actualité d’aujourd’hui [nous avons rencontré Talisco le 9 novembre, le soir des résultats des élections américaines ndlr]

Trump ? Ouais ça fait flipper, Trump. Voilà, mais je pense que je suis comme tout le monde. On sort d’un président qui incarne –qui incarne, attention, là je parle d’image- quelque chose de nouveau, c’est un Black américain, y a quelque chose de pacifiste, y a un discours qui est hyper encourageant, et là tu te retrouves avec un président qui incarne une espèce d’Amérique un peu rétrograde, tout est remis en question… Donc oui c’est inquiétant, après on verra comment ça va se passer. Je suis pas en train de me dire que c’est la fin du monde, pas du tout.

Dans un climat politique un peu tendu comme en ce moment, tu penses que c’est important de se raccrocher à des valeurs artistiques, à travers la musique notamment ?

Pour moi, la musique c’est une soupape, en général. J’écoute tout le temps de la musique. Je prends souvent le métro et impossible pour moi de pas avoir la musique donc oui, pour moi la musique c’est une soupape au quotidien, quel que soit le contexte.

Est-ce que tu as des références, musicales ou autres, qui t’accompagnent  ?

Ouais, autres que la musique bien sûr, j’ai plein de choses. Par exemple, récemment j’ai fait un voyage en Écosse, à Édimbourg. J’adore cette ville, j’adore tout ce qui est légendes, tout ce qui est conte, dès que ça touche au fantastique. Et là je pense à Tim Burton, c’est pas la référence ultime mais par exemple j’adore son univers, j’adore ses films.

Justement, dans Capitol Visions il y a quelque chose d’à la fois très ancré comme tu le disais dans la réalité de tes souvenirs, et en même temps quelque chose d’assez fantastique, d’irréel presque.

Ouais y a vraiment ce truc-là. En tout cas c’est écrit autour de l’histoire vraie, mais moi de mon côté, je peux pas m’empêcher de magnifier tout ça, de donner un côté fantastique.

Il y a des chansons dont tu es particulièrement fier sur tes deux albums ?

Fier je sais pas, je suis content de ce que j’ai fait… Posé différemment, est-ce qu’il y a des chansons dont je me lasse pas ? Y en a certaines, au bout d’un moment je me dis oui, bon, c’est chiant,  quoi. Mais y en a certaines que je redécouvre à chaque fois. Par exemple sur le premier album, Sorrow : celle-ci je ne m’en lasse pas, au bout de trois ans je l’aime toujours autant. Et sur le deuxième album y a un morceau que j’aime particulièrement, c’est Behind the River. Celui-ci je le trouve hyper cool parce que Capitol Vision c’est un album pop, et Behind the River c’est pas un morceau pop du tout. Il y a zéro chorus, il est hors format et j’aime beaucoup cette idée-là. Donc ouais, je dirais ce morceau sur le deuxième album. Mais en fait, le deuxième album j’en suis hyper content, il est vraiment comme j’avais envie qu’il soit, et ça c’est vraiment cool de pouvoir dire ça.

Maintenant que tu as pas mal tourné avec Run, est-ce que ta conception du live a évolué depuis tes débuts ?

Ah ouais, énormément. Parce qu’en fait, le live, au tout début j’étais hyper stressé, j’avais presque pas envie de jouer même, j’étais un peu tétanisé pour plein de concerts. Et après au final tu commences à découvrir certaines choses, puis tu commences à prendre du plaisir et y a certains lives qui nous ont mis des claques monstrueuses. Avec cet album le live est plein de cascades. Il est beaucoup plus compliqué à exécuter, du coup à chaque fois qu’on joue on est comme sur un fil avec le risque de se casser la gueule… Mais c’est excitant. Pour le coup on est complètement dans le live. A fond. Ce live il ment pas, c’est vraiment nous, on l’a construit à trois avec Thomas et Gautier [les musiciens qui accompagnent Talisco ndlr]. On s’est bien faits chier, mais c’est cool, on est assez fiers.

Tu envisages d’élargir le projet par la suite, de collaborer avec plus de gens ?

Ouais toujours, tout le temps. En fait je fais plein de trucs différents. C’est un petit peu tôt pour en parler mais j’ai toujours des projets, tout le temps.

Tu ne t’arrêtes jamais ?

Si, je vais sans doute prendre une pause, mais une pause, c’est un mois ou deux. Et après je m’y remets parce que j’aime ça, parce que ça me fait kiffer, de créer des musiques et de faire des nouveaux trucs.

 

Etudiante en cinéma à la Sorbonne Nouvelle, passionnée d'art et de culture, et aimant en parler.

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