CINÉMA

Neruda – L’anti-biopic, hommage d’un Pablo à un autre

Un mois avant la sortie de l’attendu Jackie où la première dame est interprétée par Natalie Portman, le réalisateur chilien Pablo Larrain s’est attaqué au monstre de la poésie chilienne : Pablo Neruda. Un portait poétique où le spectateur se laisse bercer par l’illusion offerte par cette traque fantasmagorique. Un OVNI à ne manquer pour rien au monde.

Nous sommes en 1948, au beau milieu de la Guerre Froide, au Chili. Le poète Neruda (Luis Gnecco) est sénateur au congrès. Mais ce communiste égocentrique, qui récite ses propres poèmes déguisé en Lawrence d’Arabie lors de soirées qu’il organise, qui se change en prêtre pour voir des prostitués, n’est pas du tout en accord avec le gouvernement de son pays. Le président exige alors l’arrestation du provocateur. Il demande à un jeune mais brillant inspecteur, du nom d’Oscar Peluchonneau (Gael Garcia Bernal) de s’occuper de cela. Bloqué sur le territoire, Neruda tente de se cacher avec son épouse. La traque qui se profile l’excite autant qu’un enfant. Le poète s’amuse avec son chasseur, laissant ici et là des indices glissés dans des polars (passion que les deux hommes partagent) afin de sentir son souffle toujours plus près derrière lui tout en le façonnant à l’image de sa littérature. Il y voit là son oeuvre littéraire majeure, un grand défi poétique.

L’anti-biopic tant attendu

Sous son apparence de faits véridiques racontés au cinéma, Neruda est beaucoup plus qu’un classique biopic ou “film inspiré d’une histoire vraie” comme nous pouvons en voir tous les jours (ou presque) au cinéma aujourd’hui. Et pour une fois le spectateur ne veut pas vraiment savoir si les anecdotes qui lui sont présentées sont vraies ou fausses, il se laisse porter. Le film va même à l’encontre des poncifs barbants du genre en les envoyant carrément balader, d’où le terme d’anti-biopic. Pablo Larrain porte ici à l’écran une oeuvre à la hauteur de la poésie du concerné, soutenu par un duo d’acteurs impressionnant. Le réalisateur chilien prouve ici son immense talent en créant une véritable odyssée visuelle qui termine sur de superbes plans panoramiques enneigés, non sans rappeler les plus belles scènes de western.

Gaël Garcia Bernal joue Oscar Peluchonneau, dans Neruda © Participant Media

Ce qui est étonnant avec Neruda, c’est que Larrain a réussit à associer parfaitement liberté dans le manière de filmer et de mettre en scène et complexité du scénario. Et alors qu’il aurait pu se perdre et passer à côté, cela fonctionne. Le spectateur est littéralement pris au piège et n’en sortira pas indemne. Car comme Neruda, il a le goût du risque et l’excitation ce jeu du chat et de la souris agit comme une véritable tornade.

Chasseur chassé

La haine transformée en fascination réciproque des deux hommes se développe de manière impressionnante dans le scénario. Mais non, l’insupportable Pablo Neruda, n’est pas la proie de cette course haletante, il est le maître du jeu, l’instigateur de cette fable ludique. Les premiers mots de la voix off du personnage d’Oscar Peluchonneau qui nous conte l’histoire tout au long du film prennent peu à peu leur sens plus la traque avance. Le grand amateur de polars met en scène le sien aussi grand et complexe que l’est son personnage. “Tel est pris qui croyait prendre” comme nous dit l’expression. Le spectateur participe inconsciemment à l’écriture onirique de l’auteur, en rendant vivant le rêve. Et un réalisateur qui parvient à ça, c’est magnifique. Dans un de ses plus célèbres poèmes, Le Chant général, nous pourrions presque croire que le fascinant Neruda s’adresse à son alter-égo inspecteur ” A toi, à celui qui sans savoir m’a attendu, j’appartiens, je reconnais et je chante.”

Le génie de Pablo Larrain réside avec Neruda donc dans le fait non pas d’être fidèle au personnage controversé de son compatriote Pablo Neruda, mais d’être fidèle aux mots et à l’imaginaire du poète. Neruda est mort mais le mythe est bel et bien vivant, et la mystérieuse légende est perpétué par le talentueux réalisateur. Un bel hommage.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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