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À Montréal, rencontre avec une fée engagée

C’est vêtue d’un bonnet noir avec une fleur jaune sur le dessus que Patsy me retrouve à notre point de rendez-vous dans un petit café sur Fairmount Ouest, situé dans le quartier du Mile End à Montréal. Celle que le journal Le Devoir a surnommé « La fée du Mile End » entreprend régulièrement des démarches engagées dans son quartier. Retour sur ma première rencontre avec une fée.

Le maître mot de sa démarche apparait dés les premiers instants de notre échange : il s’agit pour elle d’investir la ville pour permettre aux personnes d’un même quartier de se rencontrer et de communiquer. Et pour ce faire, la fée ne manque pas de créativité et réalise de nombreux projets. Elle qui travaillait de façon très isolée dans son atelier lorsqu’elle était créatrice de faire-parts de mariage a décidé de retourner à l’université en 2010 pour explorer de nouvelles possibilités. Ce retour aux études dans le domaine du design d’évènements fut pour elle une révélation et même, une seconde naissance.

Crédit photo : Jacques Nadeau pour Le Devoir, 2012.

Je fée hors des murs

Patsy Van Roost décide alors d’exporter ses projets de son atelier vers son quartier. Pour elle, investir l’espace public et aller au-delà des murs devient une évidence. Il ne s’agit pas seulement de créer dans son quartier mais surtout de mettre en place des dispositifs qui poussent les habitants à se rencontrer. En effet, Patsy vit dans le Mile End depuis plus de 20 ans, croise souvent les mêmes personnes sans les connaitre et souhaite changer cela. Son but est de rassembler, de créer des liens entre voisins avec des dispositifs faits de matériaux qui se trouvent déjà dans son atelier. Patsy souhaite créer l’extraordinaire avec l’ordinaire. Pour ce faire, elle utilise la couture, les mots, l’impression sur les vitres, les murs, les trottoirs et… les boites aux lettres. C’est notamment le cas en 2012 lorsqu’elle a offert à ses voisins de la rue Waverly des morceaux du conte La petite fille aux allumettes. Une fois par jour entre le 1er et le 25 décembre, la fée a distribué une page de ce conte d’Andersen dans lequel elle me confie si bien se reconnaitre. Elle a déposé une enveloppe à laquelle était attachée une boîte d’allumettes avec une petite corde. Une enveloppe par jour dans une boite aux lettres avec l’espoir que le morceau de conte sera affiché sur la fenêtre le lendemain. Le résultat a été au rendez-vous car le voisinage a joué le jeu, et chaque jour une petite troupe de voisins se formait pour aller lire le conte de maison en maison. Entre poésie et rencontres, une nouvelle dynamique s’installe dans le quartier au fur et à mesure des années et de ses créations, particulièrement fortes lors des fêtes commerciales.

La petite fille aux allumettes sur Waverly, conte distribué dans les boites aux lettres. Crédit : Patsy Van Roost

Réinventer le calendrier de l’avent

La fée me conte ne pas aimer la période de Noël qu’elle essaie toujours de transformer en période de création pour pouvoir la passer plus facilement. Le projet de La petite fille aux allumettes est d’ailleurs directement relié à son projet de Noël 2016 : un calendrier de l’avent inspiré de la tradition suisse dans lequel on ouvre une porte du quartier par jour à la place d’une petite case sur un calendrier. Ici à la place du chocolat, ce sont des rencontres qui se font dans une maison inconnue par jour pour un 5 à 7 des plus chaleureux. Patsy m’explique alors : « Je trouve assez fou qu’on fasse des milliers de kilomètres en avion pour aller dormir chez des inconnus en couch surfing mais que l’on ouvre pas sa porte à ses voisins. » En partant de ce constat, l’importance de rapprocher son voisinage était encore une évidence pour elle, surtout pendant une période parfois synonyme de solitude pour certaines personnes. Pour ce projet lumineux, la fée a alors trouvé 22 maisons qui ont accepté de se joindre au projet, et en étant l’instigatrice, a ouvert le bal avec son appartement le 1er décembre.

Porte numéro 18. Crédit photo : Mikael Theimer

Patsy considère avoir une responsabilité citoyenne et orchestre des situations dont le coeur est toujours mouvant et imprévisible. Ainsi, l’angoisse était présente pour les hôtes des 22 maisons qui ont accepté de se lancer dans l’aventure. À la question « Que va-t-il se passer quand on va ouvrir notre porte ? » elle répondait « Je ne sais pas », et le refus de tout vouloir contrôler a grandement participé à la magie de cette initiative. Le résultat fut au rendez-vous et la dernière porte du 23 décembre a même accueilli près de 200 personnes. À la fin de l’aventure, beaucoup de belles rencontres et moins de solitude, notamment pour Astrid 75 ans qui est allée à la porte numéro 5 et les a toutes faites jusqu’à la dernière. Ici, il s’agit d’un projet à l’image de la fée, créatif et poétique qui porte en son coeur l’humain, toujours. Pour Patsy, l’individu est au coeur de ses préoccupations et de ses initiatives citoyennes.

Un voyage de 375 jours dans la ville

Deux années que Patsy y pense, en rêve et voilà qu’en ce début janvier elle décide de se lancer officiellement… C’est d’ailleurs le premier sujet qu’elle aborde lors de notre rencontre. Elle m’annonce qu’elle déménage après plus de 20 ans dans le même quartier pour réaliser un voyage à travers Montréal en partant vivre dans quatre quartiers de la ville qu’elle ne connait pas. N’ayant aucune subvention pour tous ses projets, le défi pour elle est de trouver des personnes qui acceptent de l’héberger. 375 JOURS, nom lié au 375ème anniversaire de la ville de Montréal, sera pour elle l’occasion de sortir de sa zone de confort en s’immergeant dans la vie de quartiers autre que le sien. Sa mission sera alors de découvrir son nouveau quartier durant le premier mois pour se consacrer à la réalisation d’un projet à partir du second mois. Le quartier change et changera tous les trois mois, mais pas son objectif de tisser des liens entre les voisins. Après cette rencontre, aucun doute, Patsy Van Roost porte merveilleusement bien son surnom, c’est une véritable fée.

Amoureuse de photographie, curieuse, passionnée par l'infinité du monde de l'art et aussi très intriguée par la complexité du monde politique.

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