SOCIÉTÉ

Les yézidis, peuple d’hier et demain

En France, on parle assez peu des yézidis. Pourtant ce peuple possède une forte communauté européenne de par sa diaspora et est au cœur de l’un des conflits les plus violents et les plus larges en cours. Malgré tout ce n’est que par deux fois que ce nom est venu occuper les premières pages des journaux, malgré l’intérêt de l’ONU pour leur situation et les questions qu’elle pose au monde entier.



Un peuple plusieurs fois millénaire

La France n’a pas beaucoup été en contact avec les yézidis. En conséquence, on ne nous en parle que très peu, et on ne connaît pas bien leur culture. Pourtant, on retrouve des traces de ce peuple très tôt dans l’Histoire et leur tradition fait remonter la fondation de leur culture aux environs de l’an 4750 AEC (Avant l’Ère Commune), et on retrouve des mentions de ce peuple en écriture cunéiforme en Mésopotamie, l’actuel Irak central, (entre le IVe siècle avant notre ère et le IIIe siècle de notre ère). Les fondements de la culture yézidie “moderne” remontent cependant au XIIe siècle avec l’action du Cheikh Adi qui est encore aujourd’hui considéré comme le père fondateur du dogme et de la tradition yézidi.

Carte de la région

Carte de la région – Les yézidis sont considérés comme un peuple kurde

Le monde occidental n’a cependant pas été en contact avec les yézidis pendant longtemps. En effet, ils n’ont jamais connu un essor suffisant pour attirer l’attention des européens. Ceci s’explique par le fait que ce peuple a très souvent été pris dans des conflits au cours de son histoire, conflits pendant lesquels il était persécuté. Suite à différents conflits, ils fuirent des vallées du Tigre et de l’Euphrate pour se réfugier plus au nord dans les montagnes du Kurdistan. Là ils purent se protéger et se couper plus ou moins du monde. Ils sont d’ailleurs considérés comme faisant partie des peuples kurdes.

Une religion à part

L’une des particularités du peuple et de la culture yézidis est la religion pratiquée. En effet, elle est issue des transformations subies par le yazdanisme, une des plus anciennes religions monothéistes. Le yazdanisme est une religion médique (empire prenant son essor dans le territoire mésopotamien pendant le premier millénaire puis laissant place à l’empire perse). Étendant son influence sur tout le territoire entre la Turquie et le Pakistan actuels, cette foi a fini par laisser place au zoroastrisme sur la majorité du territoire perse avec toutefois des zones pratiquant encore le yézidisme.

Au XIIe siècle, le Cheikh Adi réforme cette religion, ancrant alors en elle une forte influence de l’islam. Malgré tout, le monde musulman dans sa majorité ne reconnaît pas aujourd’hui le yézidisme comme une foi islamique. Ainsi, les différent·e·s gouvernements et organisations dirigeant·e·s s’étant succédé·e·s dans les régions occupées par les tribus yézidies n’ont pas reconnu leur foi et les ont souvent persécutées. Certains courants islamiques considèrent même que les yézidis sont un danger car ils adoreraient le diable.

Représentation de Malek Tawus, archange principal des yézidis

Représentation de Malek Tawus, archange principal des yézidis

En effet, leur foi présente un dieu omnipotent, Xwede, créateur de l’univers et de tous les êtres. Il aurait commencé par créer sept anges et en aurait nommé un responsable du monde : Malek Tawûs, représenté par un paon et personnifiant le soleil. Ce dernier est donc au centre du culte yézidie. Une des explications du rapprochement par certaines autorités religieuses de Malek Tawûs avec Shaitan (ou Satan) est qu’il aurait désobéi au dieu unique. Il serait donc l’équivalent de l’ange déchu décrit dans les fois chrétiennes et musulmanes. Quoi qu’il en soit, les yézidis estiment que Malek Tawûs ne représente rien de mauvais, au contraire. Il est adoré en tant que création particulière de Xwede et émanation de son être divin.

Outre cette persécution, les pays dont l’Islam est la religion d’état (Turquie, Iran, Arabie Saoudite, Syrie et Irak principalement) minimisent le nombre de pratiquant·e·s du yézidisme de façon à nier leur poids au sein de la population des régions concernées et donc les priver de leur pouvoir de décision politique. L’Irak n’a par exemple reconnu le droit au yézidis d’avoir des députés qu’en 2003 grâce à la nouvelle constitution. Cette minimisation donne lieu à un très large flou au niveau du nombre de membre de la communauté yézidie dans le monde, les estimations allant de 200 000 à 700 000 suivant leur source.

Victimes de génocide

Dans l’Histoire

Les persécutions par les puissances en place ont plusieurs fois atteints d’impressionnants pics de violence pour les yézidis. Toutes ont été orchestrées par des pouvoirs sunnites (dogme musulman le plus répandu) dominant les régions concernées. Le premier acteur impliqué fut l’Empire Ottoman. En 1640, environ 40 000 soldats de l’empire attaquèrent les villages yézidies de la région du Mont Sinjar. Ils firent entre 4000 et 5000 victimes et brûlèrent 300 villages. En 1862, dans le cadre de sa campagne d’islamisation de l’empire ottoman, Abdulahmid II ordonne à l’armée de mettre en place une campagne donnant le choix au yézidis (ainsi qu’aux arméniens et aux communautés chrétiennes) de s’engager et se convertir, ou d’être exécut·é·s.

Début du XXIe siècle

Après ces épisodes, les yézidis purent vivre dans une relative paix, bien qu’ils soient toujours très mal considérés et peu pris en compte. Après l’intervention des États-Unis d’Amérique en Irak en 2003, la situation commença à s’envenimer avec notamment deux attentats terroristes à l’encontre de la communauté yézidi en avril et août 2007, faisant au total entre 350 et 550 morts suivant les sources. Les choses empirèrent brusquement avec l’arrivée sur la scène locale de Daesh. Le groupe, autoproclamé grand défenseur de l’islam, s’est aligné sur les croyance selon lesquelles les yézidis sont des adorat·eur·rice·s du Shaitan. Occupant de plus en plus de territoire au sein de l’Irak et de la Syrie principalement, tout en n’étant que superficiellement ralenti par les armées des pays concernés, le groupe finit par mener le combat vers les territoires des tribus yézidies au nord de l’Irak.

Le 3 août 2014 marque le début de ce qui sera ensuite reconnu par l’ONU comme le génocide des yézidis par Daesh. Les combattants de l’organisation prennent possession, face aux forces indépendantes kurdes, de Sinjar et sa région. Ces territoires sont largement habités par des yézidis. Dès lors, les forces victorieuses commencent de sommaires exécution de certains habitants de la ville. Face à cela, 200 000 citoyens de Sinjar fuirent la ville. Parmi eux, 50 000 yézidis allèrent trouver refuge, acculé·e·s, sur le Mont Sinjar, livrés au climat rude, à la faim et à la soif. Les hommes de Daesh commencèrent le siège de la montagne.

Siège du Mont Sinjar

Le lendemain de la prise de la ville de Sinjar, Tahseen Said, émir des yézidis, envoie une demande d’aide aux dirigeants mondiaux pour que les 50 000 réfugiés du Mont Sinjar ne finissent pas morts de faim ou des mains de Daesh. Dès le 5 août, l’Irak envoie un support de vivres et d’eau par voie aérienne aux réfugiés du Mont Sinjar. La communauté internationale aussi se mobilisa avec des interventions du même type de la part de pays comme les États-Unis d’Amérique, le Royaume Uni, la France ou encore l’Australie progressivement à partir du 7 août.

Dans le même temps, les forces de Daesh maintenaient le siège du Mont Sinjar et pilonnaient toujours les réfugiés yézidis autant qu’ils le pouvaient. En conséquences, Barack Obama décide d’impliquer plus intensément les forces américaines. Elles commencèrent à bombarder depuis les airs les positions des assiégeants le 9 août.

Pendant ce temps, le PKK (Parti des Travailleurs Kurde, opposant politique et armé à différents pays se partageant le Kurdistan, considérés comme terroristes par la communauté internationale) et l’YPG (Unité de Protection du Peuple, bras armé du parti kurde en Syrie) arrivent à créer un couloir sûr et à évacuer un large nombre de réfugié·e·s des montagnes pour les emmener en lieux sûrs. On estime que grâce à leur action, en n’étant pas soutenus par la communauté internationale, ils évacuèrent près de 35 000 réfugié·e·s.

Les 12 et 13 août, les forces spéciales américaines déclarèrent que la situation était stabilisée et que l’intervention précise des États-Unis d’Amérique n’était plus nécessaire. À l’issue de cet épisode, 5 000 à 10 000 personnes restèrent sur le Mont Sinjar par peur de retourner à l’extérieur.

Autres massacres

Parallèlement à ce siège et par la suite, les massacres de yézidis par Daesh continuèrent. Les forces du groupe génocidaire parcourent les territoires occupés par les yézidis et en attaquent les villages. Ils organisent généralement l’exécution de tous les hommes, parfois en les forçant à se convertir à leur interprétation de l’islam d’abord. Ils ne ciblent cependant pas uniquement les hommes. En effet, le 10 août, les femmes et les enfants d’un village furent enterré·e·s vivant·e·s après l’exécution des hommes capturés. Cette attaque à elle seule fit environ 500 victimes.

Ce type d’attaque et de massacres est toujours courant sur les territoires contrôlés par Daesh. L’ONU estime aujourd’hui le nombre de civils morts dans ce génocide à plusieurs milliers, sans compter toutes les personnes portées disparues ou tenues prisonnières.

L’histoire de Nadia Murad et Lamia Haji Bachar

Nadia Murad et Lamia Haji Bachar ont toutes deux reçu en 2016 les prix Sakharov de la paix. Si elles ont reçu cette récompense, c’est pour leur action de représentation du peuple yézidi et leur travaille auprès de l’ONU pour faire reconnaître puis arrêter le génocide en cours.

Lamia Haji Bachar et Nadia Murad

Lamia Haji Bachar et Nadia Murad

Elles sont issues de villages yézidis. En août 2014, elles sont capturées par les forces de Daesh. En fant que jeunes femmes elles ne sont pas simplement exécutées. Elles sont au contraire enrôlées comme esclaves pour les hommes du groupe armé.

À ce moment là, Lamia a 16 ans. Elle est emmenée chez un sympathisant de Daesh. Là-bas, elle est son esclave sexuel, subissant viols et maltraitances tant physiques que mentales. On lui demandera aussi de confectionner des ceintures d’explosifs pour les hommes allant commettre des attentats suicides. Elle finit par s’évader avec l’aide d’une famille. Dans sa fuite, elle fut blessée par une mine anti-personnel puis soignée en Allemagne avant de se mobiliser pour les droits de l’Homme.

Nadia, elle, a 21 ans en 2014. Elle aussi est emmenée comme esclave sexuelle. Après son premier viol, elle tente de s’échapper mais est immédiatement attrapée par un garde. Elle est alors enfermée dans une cellule pour subir ce que les hommes de Daesh appellent le “jihad sexuel”. Derrière ce terme, qui veut donner une légitimité à cette pratique, se cache une réalité bien plus simple, cruelle et inhumaine. Il s’agit là d’un viol collectif. Après avoir subit cela, Nadia Murad n’essaie plus de s’enfuir. Elle racontera plus tard que la peur de vivre à nouveau un tel traitement l’empêchait de penser qu’elle pouvait s’enfuir. Ce n’est qu’après avoir changé de propriétaire qu’elle s’enfuya en contactant une famille n’entretenant aucune relation avec Daesh. Ces gens l’aidèrent en lui donnant des vêtements et des papiers. Elle put ainsi quitter le territoire de Daesh.

Les deux jeunes femmes n’ont regagné leur liberté qu’en 2016.

La pratique de l’esclavage, notamment sexuel, a été institutionnalisée par Daesh. Avec une clientèle dans les pays limitrophes sunnites, le trafic d’êtres humains est devenu une part non négligeable du financement de l’organisation. Non seulement nous disposons aujourd’hui d’une quantité certaine de témoignages de ce système, mais comme internet est l’un des moyens de communication utiliser pour cette activité, les médias et les gouvernements ont pu se procurer différents documents attestant de la réalité du trafic. De plus la pratique est tellement institutionnalisée que l’organisation a mis en place des systèmes pour alerter ses hommes des esclaves s’enfuyant pour mieux les rattraper à chaque contrôle d’identité sur le territoire qu’elle contrôle. Chaque esclave est enregistré·e dans une base de données visant à leur surveillance et leur trafic.

L’un des arguments (qui vaut ce qu’il vaut) de Daesh pour justifier ce traitement réservé au yézidis (et communautés chrétiennes) est qu’il aurait un but religieux. En effet, les responsables de l’organisation utilisent une lecture de l’islam leur permettant d’assurer qu’il s’agit là des prémices de l’Apocalypse et que c’est donc tout à fait dans l’ordre des choses. On estime que le nombre de victime de cet esclavage (presque uniquement des femmes) s’élève à peu près aussi haut que celui des défunts, soit plusieurs milliers de personnes.

Vivre en paix pour les yézidis, une utopie ?

En connaissant l’histoire des yézidis, il serait très tentant de dire que ce peuple en connaîtra jamais la paix, ou en tout cas pas avant plusieurs centaines d’années. L’Histoire cependant nous apprend aussi à ne pas tomber dans le fatalisme et à garder un oeil sur l’improbable car il a tôt fait de gagner saisir sa chance. Il y a huit ans, qui aurait parié sur Donald Trump pour succéder à Barack Obama, fraîchement élu ? Il y a cinq ans qui aurait prédit avec assurance l’état actuel du monde politique français ? En 2014 qui aurait pu dire le futur qui attendait Nadia Murad et Lamia Haji Bachar ?

D’autres exemples existent, dans l’Histoire de l’Homme, de peuples longtemps opprimés dont la situation change pour devenir beaucoup plus clémente. On peut penser par exemple à la Corée du Sud qui aujourd’hui est une puissance rayonnante au même titre que le Japon qui l’a pourtant occupée et colonisée des années durant. On peut aussi au peuple et au territoire belge qui ont pendant presque toute leur histoire été sous domination française, autrichienne ou espagnole mais qui aujourd’hui tiennent une place importante et symbolique dans l’Union Européenne (ne serait-ce que par la possession sur leur territoire d’une grande partie des institutions).

Enfin, l’histoire du peuple yézidi n’est bien sûr pas sans rappeler celle du peuple juif. Bien qu’une issue semblable à celle de la seconde guerre mondiale n’est ni à espérer ni très probable, le peuple et la culture juive ont acquis aujourd’hui une certaine paix. On peut donc espérer cette même paix pour les yézidis. On peut d’ailleurs aller plus loin que l’espérance en co-construisant, chacun·e à son niveau, cette paix autour de nous.

Sources

https://fr.wikipedia.org/wiki/Y%C3%A9zidisme

http://www.leparisien.fr/international/irak-mais-qui-sont-les-yazidis-ce-peuple-menace-09-08-2014-4055929.php

https://www.theguardian.com/world/2014/aug/07/who-yazidi-isis-iraq-religion-ethnicity-mountains

https://en.wikipedia.org/wiki/Genocide_of_Yazidis_by_ISIL

https://en.wikipedia.org/wiki/Nadia_Murad

https://fr.wikipedia.org/wiki/Lamia_Haji_Bachar

http://www.europarl.europa.eu/news/en/news-room/20161024STO48414/nadia-murad-and-lamiya-aji-bashar-winners-of-2016-sakharov-prize

http://www.bbc.com/news/world-middle-east-37384324

http://time.com/4435297/sinjar-anniversary-yazidi-nadia-murad/

http://www.wsj.com/articles/ancient-prophecies-motivate-islamic-state-militants-1416357441

 

Je suis un ingénieur créatif, étudiant en curiosité, vadrouilleur de l'Internet amateur de culture.

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