SOCIÉTÉ

Guerre ou paix : le dilemme colombien

Après une guerre de plus d’un demi-siècle, des négociations interminables, la Colombie a enfin réussi à trouver un terrain d’entente pour un accord de paix avec la guérilla d’extrême-gauche, les FARC. Malgré la bonne volonté des deux camps, le parcours du texte a toutefois été tumultueux, puisqu’il a été refusé par référendum en octobre, modifié puis réintroduit en novembre. Le nouveau texte a été ratifié par le Congrès colombien le 30 novembre, et le pays entre désormais dans une nouvelle phase historique.

 

Créées en 1966, les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) combattent en fait dans le conflit national depuis 1964. Ce conflit trouve son origine dans une revendication et s’est rapidement transformé en guerre civile. Aujourd’hui, le combat continue encore, bien qu’un cessez-le-feu ait été mis en place depuis quelques mois dans l’objectif de négocier la paix. L’organisation, connue pour ses meurtres violents, son trafic de drogue et pour l’enlèvement de la franco-colombienne Ingrid Betancourt, alors candidate à la présidentielle en 2002, est listée par les Etats-Unis, l’Union Européenne, le Canada et la Nouvelle-Zélande comme étant terroriste. Le conflit a fait, depuis 1964, plus de 260 000 morts, et plus 6 millions de personnes déplacées dans le pays et dans toute l’Amérique du Sud.

Après 4 ans de négociations, le président colombien Juan Manuel Santos et le chef des FARC, Rodrigo Londono alias « Timochenko » (son nom de guerre) sont parvenus à signer un accord de paix dans le but de mettre fin à la guerre, avec le soutien des dirigeants mondiaux et de l’ONU. Toutefois, malgré la volonté colombienne d’avancer et de tourner la page de ce long conflit meurtrier, l’accord de paix ne convient pas à tout le monde, vu le caractère controversé de certaines propositions qu’il contient.

Entre autres, la transformation de la milice des FARC en parti politique comme les autres, l’éligibilité des anciens combattants aux fonctions politiques, font polémique auprès du peuple colombien, les premiers à avoir souffert du conflit. L’ancien président colombien Alvaro Uribe, issu de la droite conservatrice, en quelque sorte le dirigeant de l’opposition au projet, juge le texte inacceptable vu l’étendue des pouvoirs qu’il donnera aux FARC une fois intégrés dans la société. Le peuple, lui, est partagé, comme le montrent d’ailleurs les résultats du référendum.

Signé en grande pompe par les deux parties le 26 Septembre, le projet d’accord de paix a été soumis à un référendum populaire le 2 Octobre. Toutefois, il a été rejeté avec 50,2 % des voix et avec une participation de 37 %. Cette courte marge a empêché le gouvernement d’avoir la victoire qu’il attendait tant. Malgré l’échec de son projet de paix, le président Juan Manuel Santos s’est vu décerner le prix Nobel de la paix quelques jours après le référendum raté. Loin de récompenser le résultat du scrutin, le prix est bien plus un remerciement pour les efforts du président et pour l’espoir qu’il a su instiller dans la société colombienne, l’espoir que ce conflit un jour se termine grâce à son impulsion.

La deuxième tentative

Malgré ce premier échec, le gouvernement n’a pas abandonné l’idée de voir la paix régner dans le pays, et a continué les négociations avec la partie adverse. En tenant compte de certaines des critiques faites par le camp d’Uribe, la proposition a été profondément remaniée (56 points sur 57 ont été modifiés). Toutefois, le second processus d’adoption n’est pas forcément très démocratique : en effet, au lieu de consulter le peuple une seconde fois, le gouvernement a décidé que l’accord serait ratifié par les deux chambres du Congrès avant la fin du mois de novembre.

Un peu moins controversé, le nouvel accord contient donc toujours la démobilisation des FARC, leur désarmement dans les 180 jours après la ratification de l’accord, leur nouvelle éligibilité aux fonctions politiques, bien que toutefois limitée au Congrès et non pas élargie aux fonctions judiciaires ou gouvernementales. Leurs biens seront confisqués par l’Etat et l’aide étatique à la formation aux partis politiques qu’ils recevront sera amoindrie. Les cultures de drogue devront être détruites et les routes empruntées par les trafiquants révélées aux autorités internationales. Pour satisfaire l’origine du conflit, une réforme agraire sera mise en place afin de favoriser l’accès des paysans aux terres, au crédit, à la santé, et aux services de l’Etat. Les criminels devront être traduits en justice et punis pour leurs actes.

Toutefois, c’est sur ce point que le peuple a du mal à encaisser l’existence d’un accord de paix. Malgré l’assurance que les guérilléros seront traduits en justice et emprisonnés, la peur de leur réintégration dans la société est très présente chez les colombiens, qui continuent de voir les FARC comme un groupe de terroristes, de violeurs d’enfants, de meurtriers et de trafiquants de drogue. Le peuple craint que l’arrivée de la guérilla en politique ne fasse ressurgir la gauche et l’extrême-gauche colombienne.

Beaucoup se posent la question de la légitimité d’un second accord de paix, puisque malgré le fait qu’il soit ratifié par le Congrès, le peuple n’aura pas de voix dans cette décision importante pour le futur. Certains critiquent également la précipitation avec laquelle le gouvernement a voulu faire adopter son texte. Le 30 Novembre, le projet a été accepté par les deux chambres parlementaires, le rendant ainsi prêt à être le premier officiel accord de paix entre les FARC et le gouvernement colombien.

Le dilemme colombien était de choisir entre la guérilla meurtrière et sanglante des FARC, avec l’assurance que l’organisation, malgré son pouvoir immense, resterait illégale et condamnée, même si le conflit n’était pas résolu ; et la paix incertaine d’une société où des meurtriers et terroristes sont libres de leurs mouvements et d’entrer librement en politique. Toutefois, malgré les critiques, il semble que l’accord ratifié marque le début d’une période dédiée à la reconstruction de la société après le conflit interminable, en une entité plus tolérante et égalitaire. Lors de la première cérémonie de signature de l’accord, le président Juan Manuel Santos a salué l’entrée des FARC dans la démocratie, et pour répondre aux critiques de l’accord, il a précisé qu’il préfère « un accord imparfait qui sauve des vies à une guerre parfaite ».

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