MUSIQUE

Georgio : « J’ai envie de vivre l’aventure Héra »

Le 4 novembre, sortait Héra, deuxième album de Georgio. Un pari risque qui s’est avéré payant pour le rappeur du XVIIIe. Pour Maze, il revient sur la genèse de ce projet, mais également sur sa vision de la politique, du rap ou encore de sa relation avec ses fans qu’il entretient à l’instinct et sur ses futurs projets.

© PANENKA

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Un peu plus d’un an après Bleu Noir, te revoilà de retour dans les bacs avec Héra. C’est un pari risqué, non ?

Ouais ! Attendre un an pour sortir un album, dans le rap d’aujourd’hui, c’est presque plus risqué que d’attendre deux ou trois ans. On est rentré dans un mode de consommation tellement rapide de la musique que le public pourrait réclamer un album tous les six mois. Pour l’anecdote, il y a encore deux mois, avant que l’album ne sorte, un mec qui me connaît sans vraiment me suivre m’a dit « Ah Georgio, t’as arrêté le rap ou quoi ?  ». Après, je me dis qu’il ne représente pas une globalité, mais il y a eu des gens qui l’ont pensé. Au moins un (rires).

« Limite dans l’urgence »

A quel moment l’idée de Héra a germé dans ton esprit ?

Je ne sais pas vraiment quel est l’élément déclencheur. J’écris toujours. J’avais besoin de souffler après Bleu Noir. Mais, très rapidement, entre décembre 2015 et janvier 2016. Ma vie avait tellement changé. J’ai beaucoup bougé, j’ai rencontré pas mal de monde, je suis parti vers autre chose. Et là je me suis dit : « Putain ! Je suis dans un autre état d’esprit !  » Je me sentais limite dans l’urgence d’écrire un nouvel album. Je voulais vivre ce changement en chanson !

Cet album c’est le prolongement de Bleu Noir un peu.

C’est la suite logique de mon histoire, mais, en même temps, elle est assez différente. Bleu Noir a marqué un tournant et Héra décrit ce tournant.

Le succès de la campagne de financement que tu avais lancée pour Bleu Noir, t’a donné confiance en ta fanbase pour sortir Héra, un an plus tard ?

Oui en partie. Il y a aussi eu les bons retours que j’ai eus concernant Bleu Noir. J’ai rencontré beaucoup de gens qui avaient aimé le projet pendant ma tournée. C’était 70 dates en un an alors forcément, ça donne du baume au cœur, du courage, de la force pour sortir un album dans la foulée et faire autre chose.

Héra t’a été inspiré, en partie, par ta tournée, mais il y a un côté Fauve dans cet album.

Ouais parce qu’il y a un côté rock dans les sonorités et ça flirte un peu avec le spoken-word ou le slam. L’aventure que j’ai vécue avec eux m’a un peu inspiré aussi. Il y a aussi Lil B, un rappeur américain qui a fait des albums de spoken-word.

« Lumineux sans naïveté  »

L’album semble plus lumineux que Bleu Noir. Le titre Héra, déesse du mariage et de la fécondité, semble retranscrire cette lumière qui jaillit de l’album.

Ouais, c’est fait pour représenter les énergies positives, la féminité, l’espoir, l’amour quoi. Mais il n’y a pas que ça pour Héra. C’est aussi la jalousie, le fait d’être tuée par Zeus, son mari qui est également son frère dans la mythologie. Il y a aussi une part d’obscurité qui se sent dans le disque. Il est lumineux sans naïveté. C’est comme une nuit transpercée d’étoiles.

Avec cette logique de progression « lumineuse », le troisième album sera définitivement plein de lumière ?

Je ne sais pas encore. J’ai besoin de vivre l’aventure qu’est Héra. L’amener sur scène déjà. Pour le troisième album, on verra quand le moment se présentera pour le faire.

Tu as travaillé avec Angelo Foley pour la conception de cet album. Comment la connexion s’est établie entre vous deux ?

Je voulais bosser avec un réalisateur issu d’un autre univers que le rap. Je voulais avoir un son bien à moi, avec des vrais instruments, des vraies mélodies, qu’il y ait un vrai grain, que ce soit beau, bien travaillé. Pour ça, je me suis renseigné. J’ai écouté plein d’albums de rap. J’ai découvert le taff d’Angelo. La rencontre s’est faite via notre éditeur car nous partageons le même. On est allés se boire une bière. On a parlé musique, nous nous sommes tout de suite bien entendus. Et on s’est dit « Bon on essaie de bosser maintenant  ». Et direct ça s’est fait.

Il y a une vraie alchimie qui s’est créée entre vous deux. C’est ce que l’album dégage.

J’avais bossé les textes avant en fait. Donc pour la première fois, nous sommes partis des textes pour bosser la musique et non l’inverse. Et en fait ce qui était assez cool, c’est que je savais exactement où je voulais aller musicalement et Angelo arrivait à traduire mes textes en musique en partant de rien ! Il a tout inventé et vraiment ça correspondait à ce que je voulais. On n’a utilisé aucun sample. Tout est joué. Moi je lui montrais juste quelques influences. Je voulais des choses un peu froides, ou qui font penser à la guerre. Et lui il démarrait par enregistrer une guitare ou une batterie et ça partait comme ça.

C’est possible de vous revoir bosser ensemble après Héra  ?

Ah ouais ! C’est clair et net ! De mon côté, il n’y a aucune porte de fermée. Même si je n’ai pas du tout encore réfléchi au troisième album. Mais il faudra que l’on fasse autre chose et ne pas refaire Héra.

T’écris toujours un peu ou tu t’es arrêté ces derniers temps ?

J’écris un peu pour moi, pour mes proches aussi. Mais pas du tout dans l’optique de faire un album. J’ai envie d’avoir des choses à raconter, et là j’ai rien de plus à dire.

Ça t’a déjà effleuré l’esprit d’écrire des livres, des nouvelles ?

Ça arrivera mais en temps voulu. Quand j’aurai le temps. Et le temps ça se prend, mais je pense que ça arrivera. L’idée d’essayer de faire n’est pas à exclure en tout cas.

On te voit en freestyle avec plein de monde. Jarod, Vald, Sofiane, Nekfeu, pour ne citer qu’eux. Sur Soleil d’hiver, il y avait Alpha Wann ou Lomepal que tu avais invités. Et sur Héra voire même sur Bleu Noir, il n’y a aucun featuring. Comment ça se fait ?

J’aime bien les feats, mais sur des freestyles et tout. Mais sur un album, un vrai projet, l’écriture est vachement importante. Et puis les morceaux, pour moi ce sont des atmosphères, des ambiances qui se dégagent. Du coup, une autre voix, un autre texte, c’est pas forcément important pour moi. Quand j’écoute un projet, ça me fait chier de voir qu’il y a des featurings.

Et puis pour Héra, je ne voyais personne qui puisse avoir sa place sur l’album. Ma musique est assez personnelle, c’est pour ça. Même quand c’est pas ma vie que je raconte, que je fais du storytelling, je montre mon point de vue par rapport aux histoires dont je fais le récit. Ça ne laisse pas vraiment beaucoup de place aux autres.

«  J’aime bien être seul dans mon univers.  »

Tu le disais sur Bleu Noir, « l’album pourrait s’appeler Je ».

Oui. Mais même sur Bleu Noir, il ne devait pas y avoir de featuring à la base. Au final, il y en a deux, mais pour des refrains que j’ai écrits moi-même. En fait c’étaient des refrains qui me servaient musicalement et que je ne me sentais pas capable de faire. Là, pour Héra, j’ai fait ce que j’avais envie de faire. J’aime bien être seul dans mon univers.

T’es un adepte du storytelling. Bleu Noir et Héra contiennent pas mal de titres dans lesquels tu en fais. Comment tu trouves l’inspiration pour ce genre de morceau ?

C’est des sujets qui me touchent plus ou moins. Parfois je pars de rien et pour que ce soit vraiment ancré dans la réalité, je fais des recherches sur le net. Et sinon, c’est mon imagination. C’est vraiment de l’instinct, du feeling.

Dans No future, ou Brûle, on te sent très engagé. Pourtant, dans l’émission Quotidien, tu te définissais comme une personne apolitique. Tu penses qu’on peut faire du rap sans prendre position ?

A partir du moment où on se dit « je ne prends pas de position  », c’est finalement en prendre une. Être apolitique, c’est politique finalement. En fait, mes morceaux sont engagés, mais pour l’humain. Pas pour de la politique de bas étage. Je n’y connais rien en politique. Si on me demande qui est le meilleur entre untel et untel, je pourrais pas répondre. Je ne connais pas leur programme. Je ne connais plus la gauche, ni la droite. Je n’ai jamais connu la distinction finalement puisque je ne m’y suis jamais vraiment intéressé. Même si dans ma famille on est de gauche.

Mes sons engagés le sont pour l’Humain, ses sentiments, le fait de ne plus y croire, d’être parfois dans l’autodestruction mais d’avoir envie de faire bouger les choses, de brûler au fond de soi et de vouloir en sortir.

Tes morceaux parlent désormais à plein de monde. Par rapport à tes premiers EP comme Mon prisme ou Soleil d’hiver, qui visaient plus un auditorat rap. Aujourd’hui ton champ musical est beaucoup plus ouvert. T’as réussi à élargir ton public tout en gardant tes premiers fans. Tu te sens investi, désormais, d’une mission de faire passer des messages sur la société ?

Non pas du tout. Mais je sais que je me dois de pas raconter de conneries dans mes textes. C’est-à-dire que j’ai pas envie de prôner les bienfaits de la drogue ou des choses comme ça.

Certains médias te casent dans la catégorie des « rappeurs littéraires  ». Ça te saoule pas un peu cette image ?

Déjà la question c’est : « qu’est-ce qu’un rappeur littéraire ? » C’est un rappeur qui lit des livres. Moi je n’ai aucun mal à en parler, je partage mes lectures sur Instagram ou Facebook. Ça donne naissance à des clubs de lecture en commentaire, avec des débats. Maintenant, ça me saoule pas dans le sens où à chaque fois qu’on dit ça, c’est à mon avantage. Mais j’imagine qu’il y a plein d’autres mecs qui lisent des livres et qui n’en parlent pas.

C’est une fausse étiquette en fait. C’est comme si on parlait d’un boulanger « littéraire  ». Pourquoi ? Parce qu’il affiche des livres dans sa vitrine ? Mais ça veut pas dire pour autant que les autres boulangers ne lisent pas.

J’essaie juste d’avoir des textes de qualité. Au niveau des rimes, notamment, et sur le choix des mots et leur poids. Ce qui n’est pas la qualité première d’autres rappeurs, mais ils en ont d’autres ailleurs par rapport à moi.

Tu le dis, t’aimes partager tes lectures. Tu n’hésites pas à nous faire vivre les coulisses de tes tournées, de la production de tes albums. Pour Bleu Noir, tu avais fait un petit journal de bord sur YouTube. T’avais fait participer ton public au financement du projet. Pour Héra, c’était via Instagram qu’on a vu le déroulement de la production. Ça te tient à cœur d’entretenir un lien intime avec tes fans ?

C’est l’avantage des réseaux sociaux. Si je peux le faire, je le fais avec plaisir. Avec les outils qui sont à notre disposition, autant le faire.

Durant ta séance de dédicaces à Rennes, on t’avait senti un peu gêné. Tu le ressens aussi ?

En fait, je suis super content d’être là ! Mais quand je suis sur scène, sur CD, ou en interview, je suis toujours protégé par ma musique. Là, je suis un peu plus à nu. Il y a donc un peu de timidité et de gêne qui peuvent ressortir. Tout ça me rend un peu timide (rires). C’est toujours délicat d’entendre de vrais compliments les yeux dans les yeux.

C’est quoi la vision que tu te fais du rap français en 2016 ?

Ça va être très vague comme réponse mais pour moi, c’est une musique éclectique. A tous les niveaux ! Avec la trap, l’afro-trap qui est arrivée, il y des mecs qui sont encore dans des prods à base de piano et de violons, qui sonnent très années 1990. Moi je suis un peu différent avec un truc très rock anglais et chanson tout en restant vachement rap. PNL, ils ont leur style.

C’est pareil pour les lyrics. Il y en a qui écrivent super bien et qui mettent ça en avant. D’autres qui vont mettre plus d’énergie.

C’est quoi le projet qui t’a marqué cette année ?

Sur les cinq derniers mois, le projet que j’ai vraiment saigné et flingué, c’est M.I.L.S (Maintenant, ils le savent) de Ninho.

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