Vous saviez peut-être que depuis 2001, 70 000 soldats français ont été envoyés en Afghanistan. Mais savez-vous ce qu’il se passe après, quand ils reviennent ?
Adapté du roman de Delphine Coulin, coréalisé avec sa sœur Muriel Coulin, « Voir du pays » est un ovni cinématographique sur l’impact de la guerre sur les individus. Mais il touche à beaucoup d’autres sujets, comme la place des femmes dans l’armée.
C’est l’histoire de Marine et Aurore, 25 ans, amies d’enfance. Elles sont soldats. Elles sont femmes. Ce sont des militaires françaises qui rentrent d’Afghanistan avec leur bataillon. Mais avant de rejoindre la France, la République leur offre à tous trois jours dans un luxueux hôtel à Chypre : c’est un « sas de décompression ». L’objectif est de les préparer à un retour à la vie normale, le tout grâce à un programme alternant retour sur les violences par réalité virtuelle et détente autour de la piscine parmi les touristes. C’est un moyen d’éviter que, de retour chez eux, les soldats soient dangereux pour eux-mêmes ou pour les autres. Mais tout ne se passe pas comme prévu, certains sont contre l’idée même de ce sas. L’un des personnages va jusqu’à tenir ces propos quelque peu prémonitoires : « C’est ici qu’elles vont arriver les conneries, s’ils continuent à remuer la merde. » Le drame arrivera et remuera le spectateur – le mal vient-il de là où on l’attendait ?
Piscine, sport, séance de thérapie de groupe avec réalité virtuelle, buffet. Le film lève le voile sur cette réalité méconnue qu’est le « sas de décompression ». Une idée venue de l’étranger, les armées israéliennes et canadiennes l’ayant expérimenté avant la France. Pas d’évaluation de son utilité pour l’instant. Certains personnages restent perplexes, nous aussi, « passer de la burqa au string » ça semble trop violent. Cet aspect si méthodique et ordonné a l’air tout simplement absurde. On a du mal à discerner le vrai du faux. Le cadre, un hôtel grand luxe, avec des ascenseurs transparents et des chambres qui ont vue sur mer, est irréel. Les séances de thérapie avec réalité virtuelle pour reconstruire les souvenirs de la façon la plus précise possible ressemblent à des jeux vidéo. Tout le monde va mal mais fait semblant d’aller bien.
L’ambiance est presque aussi oppressante que dans un huis clos. La tension augmente tout au long du film et les réalisatrices nous piègent, elles s’amusent avec les codes du cinéma et avec nos propres idées préconçues. La peur vient d’abord de l’étranger mais finalement, le drame surgit et touche une femme mais le mal vient de ses propres collègues. Comme sur un terrain de guerre, les femmes doivent se méfier de tout, le mal peut surgir de partout. L’Afghanistan n’est pas le seul champ de bataille des héroïnes du film. Ces dernières doivent se battre également contre l’institution de l’armée ; une microsociété masculine ultra excluante. Elles sont invisibles, le bataillon étant accueilli par un « bonjour messieurs » et des références à « vos femmes » mais également humiliées et violentées, les soldats se souvenant de leur existence et de leur sexe lorsqu’un problème surgit puisqu’elles en sont forcément la cause. Pourquoi ont-elles choisi de s’engager ? Parce que de là où elles viennent, c’est l’armée ou le chômage, nous expliquent les réalisatrices, révélant une dimension sociale au film, et puis pour « voir du pays » quoi.
C’est un film classique dans sa réalisation, mais singulier grâce au thème qu’il traite et à la force insufflée par le casting exceptionnel. SOKO et Ariane Labed sont des frondeuses qui se complètent. SOKO est une brute fragile tandis qu’Ariane incarne la droiture, se permettant tout de même de temps à autre de douter. Ce duo magnifique est complété par un casting intelligent et efficace. En plus des acteurs professionnels, les réalisatrices ont recruté de véritables anciens soldats. Le défi est de savoir lesquels ne sont pas acteurs… S’il y a quelques moments de latence, ce film reste, grâce à son scénario intelligent, son thème intense et son casting captivant, une œuvre singulière et marquante.