SOCIÉTÉ

Démocratie version biélorusse

Vous êtes peut-être passés à côté de cette actualité. Les élections parlementaires biélorusses du 11 septembre dernier marquent-elles un pas vers la démocratie ? C’est vite dit : depuis 22 ans, c’est la première fois que l’opposition de cette ancienne république soviétique, coincée entre la Russie, l’Ukraine et la Pologne, remporte un siège au Parlement.

Le 11 octobre 2015, Alexandre Loukachenko a en effet été réélu à sa tête avec 83,5 % des suffrages et ce, pour la 5ème fois consécutive. Mais cette fois, pas question de rejouer 2010, avec la répression violente des manifestations et le bâillonnement des médias. Deux femmes emportent ainsi ces mandats historiques : Anna Konopastkaya (Parti civil uni de Biélorussie) et Elena Anisim (indépendante, de la Société pour la langue biélorusse). Deux sièges sur les 110 que compte le Parlement, depuis 1996. Et les deux nouvelles parlementaires ne s’y attendaient visiblement pas.

Après les incidents de 2010, les Occidentaux ont appelé de concert à une plus grande transparence. Loukachenko leur a offert, avec ces élections, des concessions sur un plateau d’argent : des candidatures d’opposants facilitées et des observateurs externes pour le déroulement du scrutin. Minsk fut même l’hôte des négociations entre la Russie et l’Ukraine – le symbole de son ambivalence, à la fois géographique et politique. La Biélorussie est réputée être le dernier bastion « frère » de Moscou, dont elle a intégrée l’Union eurasiatique. Arguant d’une amélioration sensible des droits de l’Homme, l’UE a mis fin en février dernier à l’isolement économique dans lequel le pays était plongé depuis cinq ans. Les États-Unis semblaient sur le point de lui emboiter le pas, le déroulement de ce scrutin avait valeur de crash test.

On pourrait s’en féliciter si ce scrutin ne se confondait pas dans une vitrine offerte à l’Europe. Dans l’intention, rien ne change. Pour le Président biélorusse, le pays s’est plié aux satisfactions « de leurs demandes », en parlant des Européens. La finalité de cette ouverture met les 27 mal à l’aise : de nombreuses irrégularités ont été constatées. Les listes n’étaient pas consultables, des candidats de l’opposition ont été écartés avec des justifications fallacieuses. L’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) atteste même que le seuil des 50 % des votants s’étant déplacés – indispensable pour que le vote soit valide – n’a pas été dépassé. S’ajoute à ce bilan la révélation, durant l’été, d’écoutes massives, pilotées par l’exécutif, qui dispose d’un accès « potentiellement illimité » à toutes les communications téléphoniques et en ligne. Les opérateurs biélorusses sont forcés de rendre accessible leur réseau aux autorités, qui en usent sans le moindre contrôle procédurier. En conséquence : les diplomates voient leurs conversations écoutées, les opposants voient leurs rencontres et leurs manifestations mourir dans l’oeuf.

Loukachenko aurait-il donc procédé à un forçage des urnes ?

Depuis l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 et la déflagration du conflit ukrainien, les Biélorusses craignent un face à face avec l’interventionnisme – ou doit-on dire l’impérialisme ? – moscovite. Ils ont donc témoigné de grands signes d’ouverture auprès des Européens, en libérant les prisonniers politiques de 2010 par exemple… Et en irritant Poutine. L’aide russe au développement a depuis été réduite drastiquement, renforçant le virage « européen » de Loukachenko en quête de financements. L’économie nationale accuse -3,6 % de croissance.

Alors, c’est un bien triste petit pas vers la démocratie, pour le peuple biélorusse : oui, pour la première fois, ils ont pu assister à des débats entre des candidats divers, mais ces débats étaient censurés. Oui, les sept millions de votants ont pu se sentir libres de glisser leur bulletin dans l’urne mais les Biélorusses sont en majorité désintéressés par un scrutin, aux résultats connus d’avance, et par la vie politique, en général. Oui, deux candidates de l’opposition ont rejoint le Parlement mais rien ne devrait révolutionner le jeu parlementaire – l’écrasante majorité des députés continuera de voter sans ciller les textes dictés par le Président, comme elle le fait depuis 22 ans.

Sudiste exilée à Paris, Mazienne #fromthebeginning. Droguée à l'actu, le plus souvent par seringue radiophonique.

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